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CHAPITRE 4- L’ÉMERGENCE D’UN REGARD URBANISTIQUE SUR LES ENSEMBLES URBAINS ANCIENS

4.2 L A TYPOMORPHOLOGIE : UNE CRITIQUE DU PLAN DE LA FORME DE LA VILLE FONCTIONNALISTE

4.2.4 L’approche typomorphologique et la question patrimoniale

4.2.4.2 La place de la ville ancienne dans l’approche typomorphologique

La nécessité d‟une approche cognitive des établissements urbains s‟est imposée en réaction aux destructions des quartiers anciens engendrées par une pratique urbanistique fonctionnaliste. L‟approche typomorphologique s‟élève contre la dissolution et la destruction de la ville ainsi que contre sa perte d‟identité et d‟unité formelle. Si les principaux protagonistes du mouvement fonctionnaliste évoluent à l‟intérieur des CIAM, un certain nombre d‟architectes, théoriciens pour la plupart, s‟insurgent contre cette approche qui nie les structures héritées. Gustavo Giovannoni est l‟un des précurseurs de ce

mouvement de réaction qui chercha à réintégrer le problème architectural dans un contexte urbain plus global.

Comme nous l‟avons esquissé précédemment, l‟apport de Gustavo Giovannoni au développement de l‟approche typomorphologique est considérable. Son influence s‟est fait surtout ressentir dans le regard posé par les typomorphologues, Muratori le premier, sur les ensembles urbains anciens. L‟intérêt de Giovannoni pour le tissu banal ainsi que pour l‟arrimage de la ville ancienne à la ville contemporaine constituent deux de ses principaux apports à l‟approche typomorphologique.

La première contribution de Giovannoni à la typomorphologie concerne l‟intérêt porté aux ensembles bâtis vernaculaires. Celui-ci souligne l‟importance des tissus banals pour l‟étude historique des formes bâties ainsi que leur signification patrimoniale. Intégrant les apports de Ruskin et de Sitte, il insiste sur la valeur mémoriale et esthétique de la ville ancienne. Pour lui, les tissus « mineurs », c‟est-à-dire les ensembles vernaculaires, revêtent un plus grand pouvoir de commémoration et un plus grand intérêt esthétique que les monuments de la ville.

Tout comme Giovannoni, les typomorphologues ont souligné l‟importance des tissus banals dans le processus de constitution de la ville. En cherchant à établir une typologie processuelle des ensembles urbains, ces derniers insistent sur le rôle de ces tissus dans la constitution des formes urbaines et architecturales. Ainsi, s‟ils cherchaient à expliquer la genèse de la formation et de la transformation des tissus urbains, ils ont postulé l‟existence d‟un ordre sous-jacent réglant la croissance du tissu urbain, cet ordre résidant dans les tissus banals.

Bien qu‟il revienne à Muratori d‟avoir nommé le tissu urbain, Giovannoni en saisit l‟essentiel quelques décennies plus tôt. Celui-ci pose la densité de l‟habitat, dans son rapport bâti/parcelle, ainsi que le réseau viaire comme étant les principaux éléments de différence entre les quartiers anciens et modernes. Selon Giovannoni, chacun répond à des

rôles différents, les deux s‟enrichissant mutuellement par leurs rapports. Bien qu‟il ne le nomme pas directement, Giovannoni cerne en soulevant les différences morphologiques de la ville ancienne et de la ville moderne les principales composantes du tissu urbain, soient les rapports entretenus entre les formes bâties, l‟organisation du parcellaire et le réseau de voirie.

Le second apport de Giovannoni à l‟approche typomorphologique concerne l‟attention qu‟il porte aux échanges entre la ville ancienne et la ville contemporaine. Ce dernier met en avant l‟idée que la ville moderne est issue des interrelations entre l‟ancien et le nouveau, où ceux-ci s‟influencent et se complètent. L‟approche typomorphologique repose sur cette idée de complémentarité. Comme nous l‟avons mentionné, elle considère, par la notion d‟histoire opératoire, tout objet construit comme étant issu d‟un processus historique de spécialisation des formes. Si on peut identifier des variations, on peut néanmoins percevoir dans les formes bâties des éléments de permanence. Ces éléments correspondent aux formes qui conservent leur caractère malgré le renouvellement de leurs composantes. Elles prennent part au processus de formation du tissu urbain en orientant sa croissance et en conditionnant sa forme. C‟est donc un rôle actif que jouent les formes héritées dans le processus de constitution de la ville contemporaine. Bien que le discours de Giovannoni porte essentiellement sur la nature des échanges et des interrelations entre ces ensembles, il introduit la notion de complémentarité entre la ville ancienne et moderne. C‟est là une rupture manifeste avec les positions du mouvement fonctionnaliste qui avaient cours à la même époque.

Bologne : une première application de l’approche typomorphologique à un centre urbain ancien

Le cas de Bologne, en Italie, constitue l‟un des premiers exemples d‟application de l‟approche typomorphologique à la conservation d‟un centre urbain ancien. Bien qu‟aujourd‟hui questionné quant au caractère rudimentaire des modèles théoriques qui y

sont développés, cet exemple illustre quelques-uns des principaux apports de l‟approche typomorphologique à la compréhension des ensembles urbains. Tout comme la création des secteurs sauvegardés en France, des historic districts aux États-Unis, des conservations areas en Grande-Bretagne ou des arrondissements historiques au Québec, cet exemple témoigne du changement de regard sur les ensembles urbains historiques qui a opéré à partir dès années 1960.

Comme la majorité des grandes villes européennes, Bologne fait l‟objet au début des années 1960 d‟une véritable politique de croissance. On prévoit alors le doublement de la population, la construction de grands ensembles, ainsi que l‟agrandissement du centre-ville par l‟aménagement d‟un centre des affaires à proximité du centre ancien. Cependant, à la fin des années 1960, l‟administration municipale contrôlée alors par les forces de gauche décide de renoncer à son extension, celle-ci profitant essentiellement au secteur privé. Le plan d‟extension du centre-ville de l‟architecte japonais Kenzo Tange est à ce moment abandonné. C‟est à la faveur d‟une réorientation politique que l‟on constitue un nouveau plan directeur de la ville basé sur la « croissance zéro ». Contrairement au premier plan, celui-ci prescrit une limite à la croissance de l‟agglomération ainsi que la consolidation des relations entre la ville centre et sa périphérie. Il mise à cet effet sur la sauvegarde du centre historique de la ville comme principal vecteur de redynamisation.

C‟est ce changement radical d‟orientation qui jeta les bases de l‟organisation d‟ensemble de la ville ainsi que de l‟aménagement du centre historique. Le plan de conservation et de réaménagement du centre de Bologne s‟inscrit dans le cadre de ce nouveau plan directeur. Bien que la littérature portant sur le réaménagement de Bologne insiste beaucoup sur la participation citoyenne comme moteur de réalisation du plan directeur, notamment via la constitution de conseils de quartiers, c‟est le regard proposé sur la ville ancienne qui constitue selon nous son principal intérêt. Comme les artisans du réaménagement de Bologne le mentionnent (Cervellati, Scannavini, de Angelis; 1981 : 37-38), la ville

ancienne est considérée dans ce plan comme le foyer du développement urbain, revêtant à la fois une valeur culturelle et économique.

À partir d‟une méthode d‟analyse issue de la typomorphologie, les autorités de la ville se sont intéressées aux modalités de variations du bâti et à la façon dont celui-ci fonctionnait dans le temps. Parce qu‟il constituait le principal foyer de l‟activité urbaine et parce que la ville s‟était formée par une succession d‟agrandissements au pourtour du noyau originel, la mise en valeur et la redynamisation du centre ancien ont été considérées comme le principal levier de développement de la ville (Cervellati cité dans [anonyme], 1975: 49). Comme le mentionne Gangneux (1975: 45), à Bologne la mise en œuvre de l‟approche typomorphologique a permis « de briser les mythes anti-urbains en prenant le centre historique comme point de référence de cette urbanité ».

Dans cet exemple, l‟application d‟une méthode d‟analyse typomorphologique a permis aux autorités d‟insister sur la valeur culturelle et économique du centre historique de la ville. En mettant à disposition des techniciens de l‟aménagement des outils et des guides quant à la transformation du cadre bâti existant, on a souligné l‟intérêt des tissus anciens. Si la valeur culturelle de ces milieux justifie le développement d‟outils adaptés à leur contexte, leur application chercha à mettre en rapport les possibles transformations du bâti et les besoins formulés par les habitants. C‟est ce rapport qui est cœur du cycle qui lie les opérations du centre historique au développement de la périphérie. La croissance de la périphérie ferait croître la valeur foncière du centre, provoquant ainsi la reconstruction des anciens édifices et le déplacement de la population vers l‟extérieur. Cette croissance de la périphérie de la ville contribuerait à son tour à l‟augmentation des valeurs foncières du centre, provoquant de nouvelles transformations et ainsi de suite (Cervellati, Scannavini, de Angelis; 1981 : 38). On voit bien là la traduction du processus typologique proposé par Caniggia selon lequel les phases d‟extension de la ville s‟accompagnent d‟une « mise à jour » du bâti des zones centrales.

Comme l‟illustre l‟exemple de Bologne, le discours typomorphologique aborde les centres urbains anciens comme des foyers de développement. Bien qu‟il s‟agisse là d‟une évidence, celle-ci n‟est pas sans conséquence. Cette position met en avant le rapport de complémentarité qui prévaut entre le centre et sa périphérie dans le processus de constitution de la ville. Le centre historique est à la fois objet en soi et partie prenante du processus de croissance. S‟il apparaît davantage qu‟un bien culturel, c‟est que la croissance urbaine se pose toujours à travers lui. Tout comme l‟avait proposé Giovannoni, le discours typomorphologique propose de considérer les ensembles urbains anciens dans leurs relations avec la ville moderne. Comme nous l‟aborderons par la suite, cette prise de position est à la base des principaux apports de l‟approche typomorphologique au discours de la conservation.

4.2.4.3 Les contributions de l’approche typomorphologique à une approche