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CHAPITRE 4- L’ÉMERGENCE D’UN REGARD URBANISTIQUE SUR LES ENSEMBLES URBAINS ANCIENS

4.2 L A TYPOMORPHOLOGIE : UNE CRITIQUE DU PLAN DE LA FORME DE LA VILLE FONCTIONNALISTE

4.2.2 L’École française de typomorphologie : une critique de l’urbanisme fonctionnaliste

4.2.2.3 Des apports disciplinaires variés

Les travaux français de typomorphologie ne sont pas uniquement le fait d‟architectes et d‟urbanistes, ils apparaissent issus d‟horizons disciplinaires différents. À cet effet, l‟analyse d‟André Chastel et de Françoise Boudon, deux historiens de l‟art, sur le quartier des Halles à Paris constitue une importante contribution à l‟étude des mécanismes de constitution du tissu urbain35. En se fondant sur les acquis italiens, ces derniers développent un mode d‟analyse basé sur la lecture du parcellaire.

L‟analyse historique de la structure parcellaire du tissu urbain est le moyen de faire apparaître le lien entre le lieu et l‟architecture, entre le lieu et sa fonction. Elle seule permet d‟expliquer les rapports de chaque élément avec son voisin et d‟enregistrer la variété de chronies des différentes séquences urbaines. (Boudon, 1975: 773) Selon leur étude, les fonctions les mieux définies, les plus pérennes, n‟ont aucune emprise sur la forme du parcellaire. Celle-ci trouverait ses fondements dans des critères formels plutôt que fonctionnels (Boudon, 1975: 790) : c'est-à-dire que la forme du parcellaire découlerait davantage des nécessités morphologiques du tissu, telles que la scission ou l‟absorption de parcelles, plutôt que du contexte culturel dans lequel il évolue. En ciblant deux grandes périodes historiques, la période préindustrielle et la période industrielle, Chastel et Boudon distinguent le petit parcellaire et son architecture mineure du grand parcellaire et son architecture aristocratique. Bien qu‟ils se soient attardés à la constitution d‟une typologie parcellaire, leur étude porte sur les rapports entre parcelles et bâti.

Une parcelle se caractérise en effet par la forme de son contour, sa surface, ses connexions avec l‟espace qui l‟environne. Déterminer la typologie parcellaire, c‟est essentiellement analyser la variation de ces trois éléments et l‟influence relative de

35 Françoise Boudon, André Chastel, Système de l’architecture urbaine. Le quartier des halles à Paris, Paris, Éditions du CNRS, 1977, 2 vol.

chacun d‟eux sur la forme architecturale, la distribution des masses bâties que supporte la parcelle. (Boudon, 1975 : 784)

Constituée à partir d‟un vaste ensemble de disciplines, l‟école française de morphologie apparaît également influencée par la géographie humaine. À cet effet, elle intégra les travaux de Pierre Lavedan, de Marcel Poëte et de Raoul Blanchard. Comme chez Rossi et Caniggia, on retrouve, chez ces derniers, l‟idée d‟un mécanisme de « sédimentation » urbaine. L‟historicité du territoire est ici exprimée à travers la persistance de certains éléments matériels, naturels ou artificiels. Ces permanences historiques jouent un rôle fondamental dans la formation du tissu urbain en orientant la croissance et en conditionnant la forme, et ce tout en la sémantisant (Lévy, 1995a: 15).

Au tournant des années 1970 et 1980, Alain Borie, Pierre Micheloni et Pierre Pinon développèrent également au sein du Groupe d‟Études des Formes Architecturales et Urbaines (GEFAU) une autre avenue de recherche sur la morphologie des tissus urbains. Ces derniers décomposèrent le tissu urbain en différents éléments, soient : la topographie, le réseau de voirie, le parcellaire et le bâti (Borie, Micheloni, Pinon, 2006). Dans le but de mieux cerner ses mécanismes de constitution, ils s‟intéressèrent aux différents degrés de relations entre ces composantes. Cette méthode d‟analyse inspirée de la géographie humaine visait à démontrer que chacun des niveaux de structuration de la forme urbaine possède ses logiques et ses cultures propres.

Aux précédents apports, il faudrait également mentionner les travaux de Bernard Rouleau. Ce dernier, contrairement à Lavedan, Poëte ou Blanchard, s‟intéresse spécifiquement aux mécanismes de constitution du tissu urbain. Durant les années 1960, il analyse l‟évolution de certains quartiers de Paris à partir de l‟étude de leur réseau de voirie. Tout comme Caniggia, celui-ci insiste sur l‟existence de permanences dans l‟évolution de la structure urbaine. À cet effet, il souligne l‟importance de la voirie dans la constitution du tissu urbain, notamment au travers de son interaction avec le parcellaire. De même, il mit en

évidence l‟influence de la structure parcellaire rurale dans la constitution de la structure parcellaire urbaine.

Ainsi, bien qu‟elle puise son origine dans les travaux italiens sur la morphologie et la typologie, l‟école française de typomorphologie est caractérisée par la diversité de ses axes et de ses méthodologies de recherches. Comme nous l‟avons montré, ces travaux portent autant sur les processus typologiques, bâtis ou parcellaires, que sur la nature des rapports typologie/morphologie. Si cette école apparaît influencée par d‟autres disciplines, notamment par la géographie humaine, l‟histoire de l‟art, l‟anthropologie ainsi que la sociologie, le développement de la typomorphologie urbaine en France a connu un fort contenu social (Castex, Cohen et Depaule, 1995). Les premiers travaux de recherche menés sur Le Creusot visaient notamment à mettre en lumière la nature des rapports entre la typologie bâtie et un certain modèle de production. Sous l‟influence d‟Henri Lefebvre et d‟Henri Raymond, cet intérêt français pour les questions de typomorphologie s‟afficha comme une réaction au mouvement moderne et à la pratique d‟un urbanisme décontextualisé. Dans son ouvrage intitulé L’architecture, les aventures spatiales de la raison, Raymond (1984) insiste à cet effet sur les liens qui unissent les types bâtis au contexte culturel dans lequel ils s‟inscrivent. Comme en Italie, les travaux des différents typomorphologues français visaient à faire émerger les lois de formation et de transformation des tissus urbains, mais en faisant une plus large part aux questions d‟usage et d‟appropriation.