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CHAPITRE 2- UN DISCOURS PATRIMONIAL CENTRÉ SUR LE CONCEPT DE MONUMENT HISTORIQUE

2.2 L’ ÉMERGENCE D ’ UNE APPROCHE PATRIMONIALE DE LA VILLE

2.2.1 La ville industrielle comme objet de réflexion

Les transformations ayant cours à partir de la Révolution industrielle dans les villes européennes se manifestent dans l‟organisation de leur structure. Les changements dans les modes de production et de transport, de même que l‟émergence de nouvelles fonctions urbaines, contribuent à faire éclater le cadre de la ville pré-industrielle. Ce sont les pressions induites par une augmentation drastique de la population ou par l‟intrusion de

nouveaux équipements urbains en rupture d‟échelle qui provoquent l‟éclatement de la structure urbaine traditionnelle.

Selon ces transformations, un nouvel ordre s‟établit entre la structure de la ville et la société qui y habite. Les changements qui sont alors apportés à l‟espace urbain portent sur plusieurs de ses aspects. Mentionnons tout d‟abord la rationalisation des voies de communication qui s‟effectue à ce moment avec la percée de grandes voies de circulation et l‟installation de nouvelles infrastructures de transports. Les nouveaux réseaux de voirie et ces infrastructures, telles des gares et des voies ferrées, facilitent les flux de marchandises et de population à l‟intérieur même des villes, mais également en leur destination et en leur partance. On assiste également à cette époque à une spécialisation de certains secteurs de la ville. Motivé par le désir de restreindre leurs nuisances, certaines activités sont contraintes à des quartiers spécifiques. Par exemple, les activités de production sont exclues des milieux résidentiels et on favorise l‟installation de grands parcs publics à leurs pourtours. L‟arrivée massive de nouvelles populations encourage également la construction de grands équipements; nous n‟avons qu‟à penser à l‟installation de bains publics, de grands magasins et d‟autres lieux de détente et de consommation. Finalement, mentionnons que l‟on assiste à cette époque à la constitution des premières banlieues et à l‟éclatement des limites de la ville traditionnelle. L‟installation d‟entreprises dans les faubourgs et à l‟extérieur des limites de la ville pré-industrielle favorise le déménagement des ouvriers et des classes moyennes vers les quartiers périphériques et vers les proches campagnes environnantes. Face à ces changements induits par un développement technologique sans précédent et l‟arrivée massive de populations, une nouvelle démarche d‟observation et de réflexion sur la ville se constitue. L‟espace urbain fait alors l‟objet d‟un regard de plus en plus objectivant conduisant à sa mise en histoire (Choay, 1993 :13) et l‟amenant à être abordé comme étant extérieur aux individus qu‟il concerne. L‟urbain est à partir de là considéré comme un objet spécifique de réflexion (Beaudet, 1997) auquel l‟urbanisme se donnera

pour objectif de répondre aux exigences et aux nécessités nouvelles engendrées par la Révolution industrielle.

D‟abord, il me fallut donner un nom à ce mare magnum de personnes, de choses, d‟intérêts de tout genre, de mille éléments divers qui semblent fonctionner, chacun à sa manière, d‟une façon indépendante. Mais une observation minutieuse et critique découvre qu‟ils entretiennent des relations constantes les uns avec les autres et que, par conséquent, ils finissent par former une unité. (Cerdà, 2005 [1867] : 80)

C‟est dans ce contexte de transformation et d‟objectivation de la ville que se constitue le pré-urbanisme. Bien que cet ensemble de discours émerge à la fin du XIXe siècle, au moment même où se développe l‟urbanisme comme discipline à prétention scientifique, le pré-urbanisme se caractérise par une vision globale de la société et un discours résolument politique7. S‟il s‟impose comme une critique de la ville industrielle, il renvoie aux réflexions d‟un certain nombre de penseurs préoccupés par la structure urbaine et la signification de son rapport social (Choay, 1979). Ces derniers apparaissent principalement comme des généralistes dont les réflexions sur la ville témoignent de prétentions utopiques. Les pré-urbanistes ont orienté leurs réflexions sur la ville et leurs modèles de projection spatiale à partir de deux discours distincts. Pour les uns, à l‟instar de Patrick Geddes, c‟est selon une démarche descriptive qui impose un certain détachement qu‟est abordée la ville industrielle. Ces pré-urbanistes s‟intéressent à observer et à comprendre les processus par lesquels s‟effectue l‟urbanisation. Pour les autres, la ville industrielle est abordée comme une menace à l‟ordre établi. Ces pré-urbanistes considèrent les transformations urbaines comme les symptômes d‟un processus pathologique. Qu‟ils soient motivés par la dénonciation des misérables conditions de vie, ou qu‟ils soient inspirés par une critique du nouvel ordre social établi, les reproches qu‟ils font à la société industrielle mettent l‟accent sur ses tares sociales, économiques et politiques.

7 Il est important de noter que nous nous référons au pré-urbanisme dans le sens que lui attribue Françoise Choay (1979). Celle-ci s’y réfère surtout pour désigner les différents penseurs politiques dont la démarche et les idées apparaissent alors concernées par une théorie des rapports sociaux. Cette

Tels que présentés par Choay (1979), deux principaux modèles urbanistiques se constituent à partir de ces discours sur la ville industrielle. Nous nous intéressons à ces courants parce qu‟ils portent en eux les modalités par lesquelles est appréhendée la question du patrimoine bâti par les différents mouvements du pré-urbanisme et de l‟urbanisme par la suite. Nous nous attarderons plus spécifiquement à la place du patrimoine bâti dans les versions pré- urbanistiques de ces deux modèles, ainsi qu‟au type d‟interventions qu‟elles ont motivées sur ce patrimoine. Si nous insistons sur les travaux réalisés par Hausmann à Paris durant la seconde moitié du XXe siècle, c‟est parce que ceux-ci apparaissent particulièrement éclairants quant à la position adoptée par le pré-urbanisme progressiste sur la question du patrimoine bâti. Par la suite, nous présenterons les préceptes du modèle culturaliste et nous insisterons plus spécifiquement sur les apports de John Ruskin et de Camillo Sitte à l‟émergence d‟un intérêt patrimonial pour les ensembles urbains anciens.