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Chapitre I - Une question de recherche qui se construit dans le dialogue

Chapitre 2 - Le potentiel de développement de l’activité de conseil

I.1. Des contenus de la base d’orientation

I.1.2. Place tenue et activité empêchée : une double contrainte sur le pouvoir d’agir

Selon Clot & Simonet, (2015, p. 38), le pouvoir d’agir c’est « le développement du rayon d’action de l’activité des sujets dans leur milieu professionnel », il est des situations où la personne « ne dispose plus de la situation » (Clot & Simonet, op. cité. p. 40), ce manque constitue un obstacle à la capacité à agir.

«Mon conseil n’est plus adapté » dit le conseiller79. Au cours de la mise en récit de son expérience, le conseiller éprouve une difficulté à nommer la situation « Comment je l’appelle? », avec l’aide des pairs, elle est appelée « conseil en AAC ». La prescription est d’aider, les agriculteurs, contraints de changer de pratiques, à concevoir un plan d’actions sur un territoire qui est délimité par la règlementation. Des acteurs hors agriculture sont amenés à

150 intervenir dans les décisions sur le plan d’actions, lequel concerne plutôt les agriculteurs. L’expertise technique porte sur la diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires et de l’utilisation de l’azote. Le conseiller se réfère à la situation de conseil de référence, le conseil en conventionnel, pour mobiliser des ressources. Il tient pour vrai que « le conseil abouti » c’est celui où l’on optimise l’utilisation des outils et le raisonnement des apports de produits :

« dire qu’il n’y a pas besoin de traiter […] c’est un peu une victoire environnementale parce qu’on a tous l’idée de dire derrière, en plus du gain technico-économique que je leur procure, j’ai sauvé un traitement. C’est un peu ça ». « Pour l’azote c’est pareil, on est content quand il y a du reliquat sortie d’hiver, on est content de dire qu’il y a du reliquat ». «Ca appuie ton conseil dans le sens où tu dis, et bien finalement, j’apporte toutes les billes pour être au plus près de l’utilisation des outils et en fait, tu n’es pas dans une standardisation des doses et des choses comme ça ». Comme tout acteur opérationnel, il évalue, en disant ça « marche » : « je donne du conseil de groupe » et les agriculteurs « continuent de me demander et ils mettent quelque part en application ce que je leur dis ».

Le conseiller, en portant un jugement sur l’efficacité du conseil en conventionnel, recrée le sens de son activité. Il perçoit deux contraintes : celle de la prescription de la Chambre qui fait bouger le système de places entre conseillers et agriculteurs et entre les agriculteurs eux-mêmes, et celle de la contingence d’un outil spécifique au dispositif AAC qu’est le diagnostic de territoire. Pour la Chambre, il s’agit, d’une part de décloisonner le travail des conseillers en favorisant « le travail en collaboration entre les conseillers environnement et les conseillers grandes culture », et d’autre part de s’appuyer sur des agriculteurs déjà engagés avec la Chambre pour influencer les autres agriculteurs hors de ce réseau « profiter de la porte d’entrée des agriculteurs en groupes techniques qui sont sur le territoire de l’AAC pour faire comprendre ce qu’on cherche à faire ». Le diagnostic de territoire, réalisé par d’autres conseillers de la Chambre, révèle des problèmes d’azote sur un territoire. Ce diagnostic définit le périmètre du territoire concerné par la règlementation qui met en jeu les changements de pratiques. En instrumentalisant la qualification du problème, le diagnostic sert de référentiel à tous les acteurs agricoles ou non80, organisés au sein d’un comité de pilotage. Le conseiller,

151 lui estime que ce diagnostic, en évaluant les pratiques des agriculteurs, évalue ses activités de conseil auprès de ces et/ou « ses » agriculteurs.

« Je me suis dit, ce que je fais bien là ce n’est pas bon là ».« C’est qu’on sorte un résultat qui montre aux agriculteurs qu’ils ne travaillent pas bien, alors que eux, […] ils n’arrêtent pas de dire : on a déjà fait des efforts ». «Ben alors qu’est-ce qui va nous tomber dessus ? […] on ne peut rien faire de plus ».

Vis-à-vis du nouveau système d’acteurs, il exprime les craintes de perdre une « relation privilégiée »qui s’est instituée dans le conseil en conventionnel. Entre les forces de rappel et les contraintes nouvelles, il maintient le but qu’il s’est donné dans la situation de référence, il s’agit de proposer «des méthodes qui permettent d’aller plus dans le sens de ce qui est recherché ». Ilse dit alors sans ressources, «sans munitions, parce que les choses que tu étais sensé proposer, tu les travailles déjà avec le groupe ! (et néanmoins le diagnostic de territoire pointe un problème de pollution azoté)». En réinterrogeant les circonstances de l’application des règles par les agriculteurs, « On n’a jamais la certitude à 100 % qu’ils appliquent réellement toutes les règles qu’on leur prône dans le tour de plaine ou dans les réunions techniques ». Il se reconstruit de nouveaux buts. Tout d’abord, celui de conserver cette «relation privilégiée » ;il est «vu un peu comme le sauveur » par les agriculteurs, par ailleurs il est sensé « être une voix de neutralité », et tente de trouver une place dans la pluralité des acteurs. Ensuite, il s’agit de garder la valeur de l’action collective portée par le milieu professionnel. Pour le conseiller, les agriculteurs n’ont pas à subir la réglementation,

«que ce sont aussi des acteurs et qu’en fait, nous, quand on a exposé ces problèmes d’action avec eux, en préambule du comité de pilotage final, c’était aussi de leur montrer que pour tous les acteurs du comité de pilotage c’était important qu’ils comprennent les enjeux des différentes pistes d’actions proposées ».

Il exprime ses peurs de voir son expertise technique mise en cause « C’est qu’en fait, moi ce que j’ai du mal à faire c’est quand je vais me retrouver en réunion, c’est de continuer à véhiculer ces messages techniques là, en sachant maintenant que dans des situations de bassins où il y aurait une problématique, et bien je ne suis pas bon ».

152 En esquissant un schéma81 il explicite les changements au regard des enjeux du conseil, « l’efficacité technico-économique » pour ce qu’il fait habituellement, « l’efficacité environnementale » pour cette situation inédite. Il compare les deux catégories de situations, d’abord, par leurs finalités, celle de la situation de référence « une bonne efficacité technico agronomique » pour l’agriculteur ; celle de la situation en AAC, « une bonne efficacité environnementale pour le territoire ». Ensuite, il positionne son rôle, dans la première situation, il conduit le conseil avec un groupe d’agriculteurs organisés et volontaires ; dans la deuxième il se situe au milieu d’un cercle, en relation avec tous les autres acteurs agricoles ou non et des agriculteurs non volontaires. En décrivant les conditions de la situation qui modifient le contenu du conseil, il souligne les dimensions qui modifient sa capacité à agir. Dans l’échange avec le groupe sont pointés le mandat, les outils du dispositif, le statut du diagnostic de territoire, le système de places et la distribution des connaissances. La prégnance de la situation de référence organise des forces de rappel, elle est comprise ici comme un empêchement à agir. De ressource pour orienter l’action, elle devient obstacle au développement de l’activité. .En exprimant la difficulté à se représenter l’action à faire, le conseiller dit son désarroi.

Le conseiller interprète ainsi sa difficulté à être efficace. Il est poussé à exprimer d’une part, la dissonance entre la contrainte situationnelle et ses préférences « ce qui satisfait techniquement, ça ne convient pas d’un point de vue environnemental » et d’autre part, sa souffrance devant ce qu’il vit comme la perte d’un pouvoir d’agir.

Par ailleurs, cet empêchement à agir, en interrogeant l’expertise du conseiller autant que sa volonté d’agir en expert, met en question les conditions objectives de la transformation de la situation.

Dans une autre action de conduite d’une action de conseil en AAC, le conseiller décrit comment, pour s’en sortir, il explore la prise en compte de l’environnement. Cette façon de s’y prendre devient un« élément essentiel à la genèse d’une action adaptée » (Leplat, 1997 p.123).

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