• Aucun résultat trouvé

Chapitre I - Une question de recherche qui se construit dans le dialogue

Chapitre 1 - Ce qui est en jeu dans le développement de l’activité

I.1. La construction de l’accès à l’activité professionnelle pour créer et produire les

I.1.3. Le développement et l’ouverture du champ des possibles

En définissant l’activité comme « une épreuve subjective où l’on se mesure à soi-même et aux autres pour avoir une chance de parvenir à réaliser ce qui est à faire », Clot (2011 pp. 17-19) montre que « le réalisé n’a pas le monopole du réel » (Clot, op. cité. p.18). Entre réalisé et réel de l’activité, s’ouvrirait l’horizon des « possibles » du fait que les buts non réalisés informent sur les possibles de l’action. Pour l’auteur, si le but de l’activité indique le résultat escompté, l’efficacité de l’action ne se trouve pas uniquement dans l’atteinte des buts poursuivis par le sujet. Elle s’élargit également par la découverte de buts nouveaux. L’auteur nomme cette genèse, « dissonance créatrice », comme source d’énergie. L’activité est cette « entrevue » qui donne à voir les préoccupations nouvelles de l’individu. A contrario, l’auteur interroge ce qui se passe pour l’individu lorsque les buts importants pour lui sont « réduits au silence » ou mis « en jachère ». Dans ce cas, l’activité est dévitalisée. La capacité à agir est modifiée par le sens donné à l’activité dans ce qui est fait, pas fait, ce qu’on aurait voulu faire, etc. En transformant le sens de l’action, le réel de l’activité fait reculer l’horizon subjectif, il augmente le « rayonnement possible de l’activité ». Dit autrement en augmentant l’énergie ainsi mise en mouvement, des possibles se présentent. L’inverse est vrai aussi, l’activité empêchée peut boucher l’horizon. Activités empêchées et activités réalisées organisent le parcours d’un développement possible et d’obstacles.

Je trouve très précieuse la façon de comprendre le développement de l’activité proposée par cet auteur car il donne une place importante à l’initiative de l’individu et met en avant la façon de retisser des liens dans le rapport entre le pouvoir d’agir et les possibles. « Ce pouvoir

70 d’agir n’est autre qu’une activité productrice et recréatrice de liens renouvelés entre ses objets, ses destinataires et ses instruments » (Clot, op. cité. p 19). En psychologue du travail, Clot s’intéresse ici à la santé prise dans une acception large. Je propose de mobiliser cette compréhension au service du développement des compétences professionnelles vu comme un enjeu de l’efficacité de l’action repositionnée dans une organisation sociale du travail. D’ailleurs, Clot lui-même nous y invite en nouant les dimensions personnelles de l’activité aux dimensions interpersonnelles et impersonnelles, avec les notions de « genre » et de « métier ». Clot & Faïta (2000, pp. 7-42) ouvrent des perspectives pour appréhender les dynamiques sociales de l’activité. En nommant « Le genre, comme intercalaire social », genre social du métier, genre professionnel, en relation avec le « style » appartenant à l’individu, ils mettent en exergue les présupposés sociaux de l’activité comme ressource à l’action individuelle. Le genre désigne « des faisabilités tramées dans des façons de voir et

d’agir sur le monde considérées comme justes dans le groupe des pairs à un moment donné ».

En formant un répertoire de manières de faire et de penser propres à un milieu professionnel, le genre organise « une mémoire impersonnelle et collective ». Il est le résultat d’une reconfiguration de l’organisation du travail par le travail du collectif dans le milieu social où il s’est construit. Il « fait autorité » afin de ne pas « re spécifier la tâche à chaque fois qu’elle se

présente ». Exposé à l’épreuve des changements organisationnels, au déficit de tâche, le genre

est malmené dans les évolutions du travail. Les professionnels disent ne plus se reconnaitre dans ce qu’ils font collectivement. De ressource, le genre devient obstacle, en s’affaiblissant, il dérègle l’action individuelle et provoque de la perte d’efficacité du travail. Le « grippage » de la dynamique des rapports entre styles et genres, par « amputation du pouvoir d’agir » (Clot & Faïta, op cité. p.18) constitue un obstacle au développement des sujets.

En insistant sur la nécessité d’appartenir à la même histoire à travers le genre professionnel pour étayer l’activité individuelle, « se reconnaître dans ce que l’on fait au travail » devient une ressource pour le développement de l’activité professionnelle. Dans cette intention, le métier dit cet auteur, « est à la fois un instrument technique et un instrument psychologique pour chaque sujet », car il permet de disposer d’un garant commun (Clot, 2011, p. 36). Le métier c’est tout à la fois « personnel, interpersonnel, impersonnel et transpersonnel », et ces quatre dimensions sont intimement liées et structurellement en conflit. Ainsi, le métier équipe l’activité, en retour elle le modifie. Les deux dimensions, transpersonnel et impersonnel intégrant la dimension sociale du travail sont alors considérées comme constitutive du « travail bien fait », (Clot, 2011, p. 19). Ce dernier est en effet « celui dans lequel on peut se

71 reconnaître individuellement et collectivement au diapason d’une histoire professionnelle qui se poursuit et dont on se sent comptable ». Cette histoire qui « laisse son empreinte au dehors des sujets, donne contenance à l’activité en cours ». Du coup, la façon dont cet auteur convoque la notion de métier rend envisageable l’exploration, trop souvent ignorée en formation professionnelle, du développement du pouvoir d’agir tel qu’il est affecté par les pratiques collectives et les outils de coordination mis en place par l’organisation.

Pour rendre possible l’accès à l’activité, la clinique de l’activité a construit un outillage composé de l’auto-confrontation et de l’instruction au sosie44. L’auto-confrontation a pour objectif de refaire l’expérience du travail et de mettre en évidence ce que l’individu, confronté aux images de son travail, par la mise en mots, pense être des constantes de son activité. Cette mise en mots est adressée à un chercheur ou à un chercheur et des pairs. L’instruction au sosie est censée, par un effet de socialisation pratique de l’entretien et par l’artifice des consignes adressées à un pair, contourner partiellement les difficultés de la mise en récit par la recomposition par le professionnel de ce que doit faire un novice pour réussir l’action.

Confronté aux contingences (Clot, 1995) l’individu en visant ses propres fins, construit une réponse adaptée à la situation, dans l’interaction des savoirs de référence, dans la construction du référentiel, des possibles et de l’inscription dans le métier.

Je propose de considérer l’accès à l’activité en vue d’un développement professionnel, à partir de l’idée que pour agir, l’individu dispose de moyens et de ressources mises en œuvre dans la diversité des situations et la complexité du travail. Toutefois, toute activité requiert la mise en œuvre de ressources dépassant les seules capacités personnelles (Leplat, 1997, p.44-55) elle emprunte des ressources construites dans l’environnement de travail «sur lesquelles l’individu peut s’appuyer pour se développer ». Ainsi Chiapello & Gilbert, (2013, p. 153) rappellent que en mobilisant l’entrée par l’activité, «analyser une activité c’est analyser un système qui inclut les individus, les outils, matériels ou conceptuels, que l’individu utilise en relation avec la communauté qui l’entoure et le produit qu’il se propose de réaliser, les interactions qui s’y produisent, les transformations qui s’y opèrent tout en conservant une vue globale du système », avec l’entrée par l’activité, l’outil devient un instrument « représentant tout ce qui est utilisé dans le processus de transformation ».

72