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Chapitre I - Une question de recherche qui se construit dans le dialogue

Chapitre 2 - Le recueil et l’analyse des données

II.2. L’analyse des données d’un dispositif qui s’invente

II.2.3. Construire l’action de formation dans son rapport à l’incertitude

En m’intéressant au « format de connaissances» qui outille la coordination (Thévenot, 2006) je peux rendre compte de la dynamique de construction de la formation par les ajustements entre formateurs et conseillers à partir de l’analyse de l’épreuve que subit le format. A la suite de Thévenot (1991), je propose de rentrer dans l’action « par le moment du retour interprétatif » dont l’auteur nous dit que c’est une « entrée raisonnable ». En effet, elle « tient compte des limites auxquelles les acteurs sont astreints pour identifier les actions des autres et leurs propres actions » (Thévenot, 1991, p. 427-428). En outre, et toujours selon cet auteur,

122 cette connaissance de l’action ne peut se former que dans « l’expérience de l’échec , c’est à dire dans la rencontre avec ce qui cloche, dans la découverte d’une anicroche. Il souligne que c’est dans les moments d’inquiétude « orientés vers le jugement, où s’affrontent plusieurs réalités » (Thévenot, 1991 p. 437) que cette explicitation des « divergences d’interprétation » peut ouvrir « la voie à d’autres possibilités ».

Dans cet affrontement, ce qui m’intéresse c’est de comprendre comment les protagonistes en viennent à opérer ce retour réflexif pour que l’action advienne. A partir des « arrêts sur image »64 je repère la manifestation de désaccords exprimés. Ils souvent exprimés par des questions qui expriment le doute qui sont selon l’auteur des moments propices au retour « réflexif » (Thévenot, 1991, p. 426). Ce sont ces moments où la question porte non pas sur l’exploration des contenus mais ce qui la justifie. « Quel est le sens de cette exploration ? » ou dit autrement « Pour quoi faire ce travail ? » ou dit encore autrement «Ils ont fumé de la moquette !». Ce sont autant d’indices que l’interprétation fournit par les repères du format donnés à saisir est plus que discutable.

Un exemple caricatural permet d’illustrer cela :

C’est une situation de formation dont l’objet est de continuer à formaliser des savoirs d’action déjà évoqués dans une situation précédente. Les formateurs souhaitent que les conseillers, utilisateurs du futur guide en construction puissent caractériser les situations de conseil en fonction des catégories de changements de pratiques pour l’agriculteur et ainsi aider les conseillers à situer leurs capacités à agir dans la diversité des situations. Dans cette visée, les formateurs ont recomposé une liste « à la Prévert » qui ressemble à un référentiel métier. Les formateurs proposent aux conseillers d’amender cette liste pour la rendre compréhensible par des pairs. Les conseillers disent « ne pas s’y retrouver ». Manifestation de désaccords. Arrêt sur image. Le cours de l’action est bloqué. Le repère c’est-à-dire la liste, n’est pas en capacité de proposer des façons de voir communes.

A ce stade, le format n’est pas en capacité de proposer une « action qui convient ». Toutefois, il ouvre la possibilité de construire des compromis pour que l’action puisse se réaliser.

123 Regardons comment ce compromis se met en place : à partir de l’arrêt sur image et d’une première proposition d’un conseiller, entendue, reprise par le formateur, s’engage une discussion sur la nature du changement pour l’agriculteur et pour le conseiller.

Un conseiller65 : « Mais ce qu’il faut bien préciser, c'est le niveau de rupture » -Arrêt sur image-

Cette demande du conseiller réoriente le cours de l’action.

Le formateur saisit la proposition du conseiller, le groupe acquiesce. Et du coup, dit le formateur « c’est intéressant ce que tu dis parce qu'avant même de parler des situations, déjà, il y a… Apparemment, vous me dites qu’il y a accord sur le fait qu’on a intérêt à faire ce vade-mecum plutôt sur des situations d’accompagnement de changement ».

L’impensé des formateurs était restait bloqué sur la « façon dont on s’y prend » avec un agriculteur pour conduire le changement et l’identification d’un certain nombre de situations pour appréhender cette question.

La non-saisie des repères questionne à nouveau la catégorisation des situations de conseil. Le débat s’engage sur les niveaux du changement du point de vue des agriculteurs. Après un compromis qui se réalise sur le principe de la reconnaissance de l’égalité des connaissances entre conseillers et formateurs, le cours de l’action est modifié. Il ne s’agit plus, pour être trivial, de valider une liste mais d’engager une discussion sur les changements. Un formateur saisit la balle du changement pour évoquer les deux niveaux de changements selon Bateson. (Bateson, 1977). Toutefois le cours de cette action s’arrête à nouveau au moment de la transposition des un cas pratique dans cette nouvelle grille. Cette action s’arrête là. Elle sera reprise ultérieurement.

Cependant, le cours de l’action peut être modifié sans que ne se manifeste pour autant une exigence d’accord sur l’incident : soit on ne sort pas du local, soit on66 redresse en force le cours de l’action sans en examiner les circonstances. « On botte en touche », et là c’est le formateur qui parle. Si la modification du cours de l’action ne fait pas l’objet d’une

65 Annexe 2/7 : Formalisation et validation des situations de conseil

124 qualification partagée, elle peut conduire, soit au repli des professionnels, soit à des tensions entre protagonistes.

La coordination est une provocation à l’activité réflexive sur l’action. En effet, les désaccords, en ouvrant des remises en question, rendent possibles de s’accorder à partir de différentes compréhensions d’une même réalité au nom d’un principe commun. Le compromis est constitutif des éléments d’une dynamique de la construction d’une action en commun. Dès lors, ce cadre est capacitant d’un travail de l’accord pour que l’action advienne. Ce qui dans une analyse de la conformité, comprise comme la régulation d’un écart à un référentiel serait vu comme un échec, n’est pas un problème ici. En effet, la coordination suppose des accords sur la façon de comprendre la réalité, elle légitime le conflit dans un dispositif didactique et interroge une manière de faire et de penser collective. Le retour réflexif (Thévenot,1991) sur ce qui s’est passé et l’interprétation de ce qui est en cours rend possible la construction de l’action chemin faisant.

L’action en commun, celle-là même qui tient le dispositif pendant trois ans se construit sur un principe commun, qui au bout du bout est celui de la pertinence d’échanger sur métier de conseil. Toutefois c’est dans un continuum d’épreuves, où cette pertinence de l’échange se bâtit dans des épreuves, plus ou moins légitimes, que le dispositif se tient.

La conception du dispositif se comprend par l’imbrication de trois catégories d’actions : l’action en commun qui fait tenir le tout. Elle encadre deux autres actions qui celle qui rend possible l’accès à l’activité et celle qui rend possible l’activité de conseil.