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de littérature scientifique (par année : 2007-2018)

2.1.6 Quelle place pour les « petits hydrosystèmes » ?

Les cours d’eau majeurs ont fait l’objet de nombreuses recherches (Rollet et Lespez 2013) notamment par rapport à l’étude de leurs projets d’aménagement conséquents (Burnouf et Leveau 2004 in Lespez et al. 2005). Le grand fleuve a généralement tendance

46 La permanente augmentation de publications sur le sujet à partir de 2007, avec un pic recensé en 2017 tient

peut-être aussi au développement progressif de la plateforme et n’est peut-être pas représentatif de l’évolution de la littérature scientifique sur le sujet à cette période.

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à concentrer l’attention, au détriment des cours d’eau des petites vallées, notamment dans les Pays de la Loire (Barraud et Portal 2013). Rollet et Lespez (2013) ont alerté, lors de l’atelier IRD2 « Restauration de cours d’eau », sur le « tropisme scientifique » existant envers les cours d’eau à débit important, charge grossière et de grande taille. Pour cela ils démontrent (à travers la base de données theses.fr) que 50% des thèses sont effectuées sur des cours d’eau à forte énergie, 25% sur les grands fleuves, 15% sur les systèmes tropicaux, 7% en contexte méditerranéen et seulement 5% sur les cours d’eau de faible énergie. De plus, le paysage de fond de vallée dans le contexte d’aménagement des rivières est peu étudié, spécifiquement en ce qui concerne les cours d’eau de faible ordre dans l’ouest de la France (Pichot et Marguerie 2004). Effectivement, la spatialisation du nombre de thèses françaises réalisées (figure 24) illustre le déficit de recherche menée dans le Grand Ouest sur les hydrosystèmes de manière générale, constat partagé par plusieurs chercheurs qui s’y sont intéressés (e.g Barraud 2007; Germaine 2009a; Beauchamp 2018).

Les principaux fleuves français se retrouvent ainsi au centre de nombreux travaux de recherche, tantôt traitant de leurs évolutions (e.g morphologiques, paysagères, biologiques et écologiques ou physicochimiques, …), de leurs liens avec les sociétés (d’aujourd’hui ou il y a plusieurs siècles) ou encore des représentations qu’ils véhiculent et/ou des nouveaux paradigmes qui guident leur gestion et provoquent parfois incompréhensions et tensions entre groupes d’acteurs. De manière non-exhaustive on peut citer les travaux suivants pour la Garonne (Fortuné 1988; Valette 2002; Valette et al. 2014; David 2016) ; le Rhône (Salvador 1991; Savey 1992; Arnaud-Fassetta 1998; Landon 1999; Sabatier 2001; Comby et Emeline 2013; Bouleau 2014) ; la Seine (Maldiney 1994; Miquelis 1996; Dzana 1997; L. S. Martin 2001; Dechezleprêtre 2005; Dubrulle- Brunaud 2007).

La Loire est ainsi l’objet de recherches concernant plusieurs aspects : son endiguement (Dion 1961) et la vulnérabilité face aux inondations (Jousseaume, Landrein et Mercier 2004; Geffray et Ménanteau 2004; Giret 2018) ; ses milieux humides (Degorce 1991) ; les représentations du fleuve, via l’analyse picturale (Joliet, Beaujouan et Jacob 2004b) et leur lien avec la réglementation et les aménagements (Lecoeur 2011). L’aménagement du fleuve dans le contexte de préservation de l’environnement et les tensions qui peuvent en découler est étudié (Rode 2010a) et rejoint les recherches sur les questions de patrimonialisation (Despointes 2008; Davodeau 2013; Barraud et al. 2013) et de gouvernance environnementale (Despointes 2009). La perception des risques de la Loire face au phénomène des inondations en contexte urbain est également abordé à travers deux cas d’étude : Orléans et Tours (Rode 2010b). Les recherches géoarchéologiques s’intéressent quant à elles à la dynamique des paysages ligériens et à leurs relations avec les sociétés humaines à une échelle de longues durées (Holocène et

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Néolithique respectivement dans Carcaud et al. 2002 et Thonniet et Rigot 2016). L’évolution des ponts permettant de traverser la Loire, obstacle « naturel » aux déplacements des biens et personnes par voie terrestre, est également traitée par certains archéologues (Dumont et al. 2014). La revue Norois a consacré un numéro spécial aux études ligériennes (multithématiques : risque d’inondation, représentation paysagère et gestion de l’environnement) suite à une auto-critique sur l’insuffisance de publications accueillies en son sein à propos d’un fleuve qui héberge pourtant plusieurs villes des universités fondatrices de la revue (Jousseaume 2004).

Dans l’Ouest, les fleuves côtiers normands (bien plus « petits » et aux débits plus modestes) sont étudiés quant aux modalités de transferts sédimentaires (Viel 2012). Les glissements de terrain des versants côtiers sont caractérisés (Lissak 2012) ainsi que les effets de la suppression des ouvrages transversaux sur la croissance ligneuse pour l’Orne et la Vire (Depoilly et Dufour 2015). Ces petits hydrosystèmes sont souvent liés à des rivières non-domaniales, ayant une incidence sur leur gestion et réglementation (difficile d’accès, entretien des berges et du lit revient normalement aux propriétaires (Le Lay et Permingeat 2008).

Qu’ils soient appelés « petits cours d’eau », « petites rivières », « petites vallées », les auteurs font toujours référence à un cours d’eau (et à ses espaces associés) de faible débit et/ou aux dimensions peu importantes, qui ont tendance à moins capter l’attention (du « grand public », des politiques et des scientifiques) car ils sont fréquents et leur échelle rend les phénomènes qui leur sont associés peut-être moins « spectaculaires »47

ou leurs aménagements « peu impressionnants » (Pichot et Marguerie 2004). Pourtant, c’est bien cette « ordinarité » qui fait leur intérêt. Ces objets sont omniprésents sur le territoire, à eux tous ils couvrent de vastes espaces et font partie du quotidien de nombreux habitants et usagers (promeneurs, pêcheurs, agriculteurs, …).

Les rivières à faible énergie font elles aussi l’objet de peu de publications (Petit et al. 2015; Lespez et al. 2015; Melun 2012 in Corbonnois et al. 2016). Le concept d’ « hydrosystème fluvial » est particulièrement adapté aux grands cours d’eau, comme le Rhône, sur lequel il a été élaboré et testé (Malavoi et Souchon 1996). La question se pose alors de la base conceptuelle permettant de comprendre et d’étudier les petits cours d’eau. Y’a-t-il besoin de refonder des bases conceptuelles ? Peut-on calquer les modèles des fleuves et grandes rivières, des cours d’eau puissants, sur les petites rivières aux petits débits et/ou de faible énergie de l’ouest de la France et de la Loire moyenne ? Ou la solution

47 Ce qui est une erreur notamment pour les petits torrents alpins qui peuvent avoir des écoulements

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est-elle d’adapter les concepts développés aux échelles et aux caractéristiques de ces cours d’eau ?

« Petite rivière » ou « petit hydrosystème » font référence à des dimensions morphologiques faibles (longueur, largeur, profondeur) et peuvent également comprendre des rivières de faibles débits ou de faible énergie. Une rapide interrogation des principales bases bibliographiques a permis de constater que « petite rivière » n’est pas une association de termes très courante en recherche48. Même constat lorsqu’on recherche les

publications concernant les « ruisseaux » (bien que ce terme puisse dénaturer l’objet « rivière »). Nous nous sommes donc intéressés aux critères qui faisaient que l’on appelait un cours d’eau « rivière ».

• Définitions :

- « Rivière » (Larousse)49 : « Cours d'eau de faible ou moyenne importance qui se jette dans un autre cours d'eau. (Pour la pêche on distingue les rivières de première catégorie, où dominent truite, ombre, saumon, etc., et les rivières de deuxième catégorie, où dominent des poissons blancs) ».

- « Ruisseau » (Larousse)50 : « Petit cours d'eau peu profond »

On remarque que les deux définitions (portant sur des objets distincts) évoquent des critères de faibles dimensions morphologiques, sous entendues dans l’expression « faible ou moyenne importance » dans la définition de « rivière » et de « petit » cours d’eau et « peu » profond pour ce qui concerne le « ruisseau ». Ainsi, sans plus de précisions, il semble très délicat de distinguer « ruisseau » et « rivière ».

Les quelques travaux portant sur les « petites rivières » (ou cours d’eau) ou de « faible énergie » traitent finalement de cours d’eau dont les dimensions et les débits restent relativement important comparés à d’autres rivières, notamment celles étudiées dans le cadre de cette thèse (tableau 6). La puissance spécifique de ces rivières n’a quant à elle pas pu être identifiée de manière systématique. Ces termes communs à l’étude de ces différentes rivières interrogent. Celles-ci structurent-elles les paysages des fonds de vallée de la même manière ? Leur « faible énergie » commune permet-elle de comparer ces objets et les résultats de leurs études ? Nous avons voulu comparer quelques paramètres de rivières ainsi dénommé afin de leur mettre en parallèle et d’identifier les types de rivières concernées par ces qualificatifs.

48 Fouille réalisée dans plusieurs bases bibliographiques/moteurs de recherche (HAL, OpenEditon …) 49 Source : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rivi%C3%A8re/69603

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Tableau 6. Caractéristiques hydrologiques d'exemples de "petites rivières" ou de cours d’eau "de faible énergie" par rapport à celles des deux cas d’étude : l’Aubance et le Couasnon

Cours d’eau (adjectifs cités) Débit moyen mensuel51 Longueur de cours52 Référence bibliographique

Aube (hydrosystème à faible

énergie) 41 m³/s 248,9 km

(Gaillard 1999) Loir (rivière de basse

énergie) 32,2 m³/s 317,4 km

(Corbonnois et al. 2016) Seulles (rivière à faible

énergie) 2,5 m³/s 70 km

(L. Lespez et al. 2015) Mue (débits annuels moyens

faibles) 0,34 m³/s 21,8 km

(Lespez et al. 2005) Thue (débits annuels

moyens faibles) 0,2 m³/s 12,4 km

(Lespez et al. 2005) Huisne (cours d’eau de faible

énergie) 13 m³/s 165 km

(Corbonnois et Rollet 2011)

Des Plaines (« low energy

meandering river » = rivière sinueuse de basse énergie)

15 m³/s 241 km

(Rhoads et Miller 1991)

Anxure (petit cours d’eau) ? 15,4 km (Pichot et Marguerie 2004) Anvore (petit cours d’eau) ? 11 km (Pichot et Marguerie

2004) Mérantaise (petite rivière à

faible énergie) 1,31 m³/s 13,5 km

(Jugie 2018)

Aubance 0,621 m³/s 35,7 km (Paysant, Caillault et Carcaud 2018) Couasnon 0,50 m³/s 34,8 km (Paysant, Caillault et

Carcaud 2018)

On constate que plusieurs rivières concernées ont des longueurs de cours largement supérieures aux deux cas d’étude de cette thèse et il en va de même pour les débits moyens mensuels. A l’inverse, La Mue, la Thue, l’Anxure et l’Anvore présentent des dimensions plus faibles que les rivières qui font l’objet de ce travail. Le débit des deux dernières citées n’est pas connu car il semble qu’elles ne soient pas équipées de stations

51 Source : BanqueHydro http://hydro.eaufrance.fr/ [consulté le 22/08/2018] ou publication scientifique

concernée

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hydrologiques (BanqueHydro53). Cela témoigne d’un certain manque d’investissement (et

donc d’intérêt ?) quant à leur suivi.

Ainsi, si tous ces chercheurs qualifient leurs rivières de « petites » ou comme étant « de faible énergie », nous constatons que dans les faits les cours d’eau concernés ont des caractéristiques bien différentes. La question se pose alors de la dénomination des cours d’eau ayant à la fois des dimensions peu importantes et une faible énergie. Faut-il user changer le nom en « ruisseaux » (au risque de dénaturer l’objet comme évoqué précédemment et sachant que certains ruisseaux ont une forte énergie) ou parler de « petite rivière de faible énergie » comme c’est souvent le cas dans l’ouest de la France, en contexte de plaine et de bas-plateaux. Ces caractéristiques en font généralement des rivières « ordinaires ».

Nous proposons dans le cadre de cette recherche le terme d’« hydrosystème secondaire ». Cette désignation nous semble correspondre à l’idée que nous défendons et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’usage du terme (et concept, 2.1, p.61) d’ « hydrosystème » nous permet de désigner la plaine alluviale dans son ensemble et pas uniquement le chenal, comme le terme de « cours d’eau » ou « rivière » peut laisser entendre si aucune précision n’est apportée. Ensuite la notion de « secondaire » renvoie à un terme déjà utilisé dans les études en hydrologie mais habituellement mobilisé pour désigner une hiérarchie de bras d’un cours d’eau. On parle alors de « bras secondaire » par rapport à un « bras principal ». Cela rejoint la situation décrite précédemment, nous parlons de cours d’eau (et de leur plaine alluviale) inscrits dans un contexte plus large : la Loire. Ainsi, cette dernière peut être qualifiée de « principale » quand ses petits affluents tels que l’Aubance et le Couasnon peuvent être désignés comme « secondaires ». Enfin, la notion de secondarité renvoie, selon le dictionnaire Larousse, à un élément « qui n’occupe pas le premier rang dans un domaine donné, qui n’a qu’une importance de second ordre » (Larousse54). Cette idée est en totale adéquation avec ce que nous défendons vis-à-vis de

nos objets d’étude qui sont « ordinaires » : ceux-ci sont peu « médiatisés » et peu mis en valeur (développé un peu plus loin dans le manuscrit, 3.2.3) et n’ont pas de caractère « exceptionnel ». Des cours d’eau aux profils similaires peuvent être rencontrés en d’autres endroits du territoire et en nombre (à l’inverse d’un fleuve emblématique tel que la Loire). De part ce caractère « ordinaire » nous pensons que les petits fleuves côtiers bas- normands par exemple peuvent être également intégrés dans cette dénomination.

53 Source : BanqueHydro http://hydro.eaufrance.fr/ [consulté le 22/08/2018]

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