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l’écologisation des politiques de l’eau ?

1.3.3 Controverses autour du nouveau modèle d’aménagement des rivières

La territorialisation de la gestion de l’eau implique des luttes dans les champs politiques, institutionnelles et scientifiques qui ont fortement évolué entre le XIXe et le XXe siècle (Ghiotti 2006) et continue de le faire au XXIe siècle. La restauration écologique, et notamment la suppression d’ouvrages hydrauliques, génèrent des conflits principalement locaux. Cela confronte les politiques environnementales émanant de l’Etat aux acteurs locaux, aux rôles, usages et perceptions de la rivière assez divers (riverains, usagers, élus, gestionnaires de collectivités territoriales, services de l’Etat…) (Navarro 2010; Germaine et Barraud 2017a). La première opération d’envergure en Europe fut l’arasement en 1996 du barrage de Kernansquillec sur le Léguer dans les Côtes d’Amor. La raison sécuritaire motivait à l’époque cette suppression, mais la population locale a d’abord eu du mal à accepter le projet de suppression. Un projet aux volets environnemental et social (dont préservation du patrimoine industriel) a finalement abouti, salué et souvent montré en exemple (Germaine et Barraud 2013b; Barraud et Germaine 2017). L’acceptation locale est en effet rarement aussi acquise, et une opposition de plus en plus puissante s’observe sur le terrain lors des projets d’arasement d’ouvrages, même si celle-ci peine à trouver un

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écho au-delà du territoire et du petit nombre d’acteurs concernés (Germaine et Barraud 2017a).

Les cas Angevins : Le Layon et l’Aubance

En Anjou, sur l’Aubance et le Layon (deux cours d’eau tributaires de la Loire), les actions de restauration de la continuité écologique sont menées sur des terrains dit « favorables », potentiellement peu conflictuels, plutôt en amont ou sur des ruisseaux où les enjeux majeurs sont absents. Certains élus locaux, comme des riverains, qui ont connu les stratégies de gestion liées aux problématiques hydrauliques, n’adhèrent pas toujours au « discours écologiste » qui guident ces opérations. Sur l’Aubance, à proximité de Brissac-Quincé, les enjeux écologiques qui ont guidé la gestion sont parfois masqués par un travail de mise en valeur esthétique de la rivière (iris, motifs de pas japonais,…), peut- être pour faire accepter le changement aux plus réticents (Montembault et Caillault 2017). Cela contribue au « pittoresque écologique » dont certains auteurs signalent la montée en puissance depuis quelques années (Luginbühl 2012; Barraud et Portal 2013). Plusieurs études ont montré que la qualité environnementale est évaluée par le critère esthétique, notamment par un public « non-expert », quand bien même les arguments relevés témoignent d’une action humaine et donc d’une naturalité moindre (Cottet, Rivière- Honegger et Piegay 2010; Cottet et al. 2014).

A Chalonnes-sur-Loire, toujours à proximité d’Angers, le plan d’eau de la commune (d’environ 10 hectares, situé à la confluence du Layon avec la Loire) a subi des phases d’aménagements et de désaménagements contradictoires après une obligation de mise en conformité avec la DCE. Le magazine d’information de la commune consacre dans son numéro 20 (décembre 2014-janvier/février 2015) un dossier spécial sur l’étang, qui retrace son contexte historique et expose les possibilités quant à son devenir (

annexe 3

)15. En

1975 la commune de Chalonnes, qui cherchait à installer des équipements sportifs, a gagné du terrain en remblayant des terres inondables à partir de matériaux extraits directement du lit du Layon. Un plan d’eau a été installé dans la dépression générée par l’extraction. L’abaissement progressif du lit de la Loire provoque l’envasement du plan d’eau, ce qui contraint en 2006 la municipalité à établir un seuil et un clapet (avec passe à poissons) pour gérer le niveau d’eau. Ce genre d’installation se positionne en contradiction avec la gestion prônée par la DCE, ce qui provoque un refus de contribution financière de la part des institutions partenaires (Conseil Régional, Agence de l’Eau pour une participation symbolique de 1%). Les élus locaux réussissent tout de même à obtenir l’autorisation du

15 Dossier disponible sur : https://www.chalonnes-sur-loire.fr/wp-

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préfet (2007) et l’aménagement est opérationnel en 2009. Mais celui-ci n’a pas les effets escomptés (désenvasement) et les poissons n’arrivent pas à franchir l’obstacle malgré la passe. En parallèle, l’association écologiste « Sauvegarde de l’Anjou16 » attaque l’arrêté

préfectoral en 2007 au tribunal administratif de Nantes et obtient gain cause et donc annulation de l’arrêté en 2012. Cette décision entraine une obligation de retour à un état initial (avant installation des ouvrages) pour permettre la libre circulation des eaux, des sédiments et de la faune piscicole. L’abaissement du clapet, la suppression du seuil et une échancrure dans le guide d’eau entraine une vidange du plan d’eau en 2015. S’ensuit une succession d’articles dans la presse locale relayant la parole d’usagers et de riverains exprimant leur incompréhension et/ou mécontentement lié à la gestion du plan d’eau. Ainsi dans le Courrier de l’Ouest (23/07/2015), des promeneurs déplorent la perte d’un paysage qui était « […] tellement beau avant » et dénoncent « […] une énorme bêtise […] ». Ils affirment aussi subir les prémices des effets de cette mise au sec : l’arrivée des moustiques et des odeurs « insupportables »,

annexe 4

). Le président de l’association de pêche « La Brème Chalonnaise » s’exprime quant à lui dans le Ouest France (28/11/2016) à propos de la gestion du nouveau projet du site (suite à la vidange) et demande plus de cohérence : « Il faut arrêter de faire et de défaire » (

annexe 5

). Ce discours témoigne de l’incompréhension par certains riverains et usagers des changements de logiques de gestion de l’eau par les autorités compétentes.

Ce cas est particulièrement intéressant car il révèle plusieurs aspects clés dans la compréhension de la problématique de RCE, que nous avons résumé en 6 points : 1) Le décalage entre législation nationale (et européenne) à visée environnementale et stratégie de « petites » collectivités locales, et plus surprenant l’incohérence avec une décision préfectorale. Cela peut révéler une non-adhésion au paradigme de la nouvelle réglementation. A noter qu’à l’époque le préfet est M. Jean Claude Vacher (en poste du 10 janvier 2005 au 25 mai 2008) qui prit sa retraite à la fin de son mandat ; 2) la place prise par les associations environnementalistes dans le processus de démantèlement des ouvrages (Germaine et Barraud 2013b) ; 3) la succession de travaux d’ampleur et coûteux (dépenses publiques) dans une période très réduite (8 ans)17 4) « acceptabilité sociale » :

incompréhension de l’action par les riverains et usagers (Germaine et Barraud 2013b; Germaine et Barraud 2017) observable dans les articles de la presse locale (É. Comby et

16 Association créée en 1965 pour la protection des sites, monuments et vieilles demeures d’Angers. Elle a

étendue son territoire d’action au département et s’investit d’une mission de protection de l’environnement en plus de celle existante. Aujourd’hui fédération départementale d’associations (18 associations) et membre de « France Nature Environnement ». Source : http://www.sauvegarde-anjou.org/qui-sommes-nous/ [consulté le 05/06/2018]

17 Travaux de 2007 : 640 000 euros hors maitrise d’œuvre (financement 55% Syndicat de rivière ; 34% commune

de Chalonnes ; 0,7% association Brème Chalonnaise ; 1% Agence de l’eau Loire Bretagne ; 9% Conseil Général 49) Source : Magazine d’information de Chalonnes-sur-Loire, numéro 20 (2015) / Travaux de 2015-2016 : 600 000 euros, 80 000 euros de compensation d’irrigation (suite à la vidange)

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Lay 2014; Montembault et Caillault 2017) ; 5) travail de pédagogie et de communication (nécessité de convaincre et sensibiliser, Montembault et Caillault 2017) de la part des pouvoirs locaux pour faire accepter le projet (réunion publique permettant des échanges quant aux scénarios possibles,

annexe 3

-C). Arguments écologistes (compatibles avec le tourisme et le récréatif) : « l’objectif est de garder un espace de loisirs et d’agrément, de

restaurer un écosystème humide, régulateur des débits de l’eau, riche en biodiversité, un espace de découverte pour les enfants, et un atout supplémentaire pour le développement du tourisme à Chalonnes. »

Annexe 3

-B) et l’évocation des espèces patrimoniales du site (

annexe 3

-D) pour justifier les projets ; 6) Afin de préparer la population aux changements paysagers importants liés à la vidange du plan d’eau (et prévenir des « traumatismes » que cela peut engendrer, Germaine et Barraud 2017), la municipalité fait référence à l’état du lieu avant le creusement par extraction en s’adressant directement « [aux] Chalonnais

qui ont connu le site avant 1976 et se souviendront que le plan d’eau n’a pas toujours existé et que le Layon était bordé de prairies » avec insertion d’une carte postale ancienne

et d’une ancienne photographie aérienne oblique en noir et blanc (non datées) comme preuve à l’appui (

annexe 3

-D).

Montembault et Caillault (2017) avancent, à propos du cas de Chalonnes, que la vidange de l’étang a dû faire baisser la valeur des nouvelles habitations construites en bordures immédiates (« avec vues sur le plan d’eau ») et en concluent donc que les interventions (onéreuses) à visée écologique peuvent avoir des effets sur l’économie locale.

Des obstacles à une gestion « apaisée » : le déséquilibre « savoir savant » / « savoir commun » et le problème de l’état de référence

La vision technicienne de la gestion de la rivière prend le risque de « couper les populations locales des environnements qu’elle fréquentent régulièrement », d’autant plus si elle se complexifie toujours un peu plus, comme L.Lespez, M-A.Germaine et R.Barraud (2016) l’illustrent avec l’évaluation par les services écosystémiques. Si l’idée d’une démarche participative semble favorable à l’intégration des usages et des différentes sensibilités liés à la rivière, la mise en application n’est pas aisée. Par exemple, l’Association de la vallée du Léguer s’est heurtée, lors de l’élaboration d’un diagnostic participatif et d’une stratégie globale, à l’obstacle de la domination des « savoirs savants » sur les savoirs des usagers. Au-delà des divergences, c’est l’aspect formel de l’invitation des riverains à la réflexion qui entrave l’aboutissement en un projet concerté (Barraud et Portal 2013; Germaine et Barraud 2017b) et l’absence de lieux et procédures où les « savoirs communs » seraient légitimes et reconnus au même titre que la connaissance scientifique (Bortoli et Palu 2000). G.Bouleau et C.Barthelemy (2007) expliquent que les écologues

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(scientifiques) et les écologistes (militants) sont parfois les mêmes individus, qui utilisent la science pour appuyer leurs revendications, comme les élus sont également capables de traduire des éléments provenant de la sphère scientifique pour défendre leur position politique. Enfin, les conflits résident parfois dans les demandes au retour à des états anciens qui ont existés à des périodes diverses et qui ne sont pas compatibles. Par exemple, le tourisme de pêche du XXe siècle avec la présence du saumon ou le retour de la navigation fluviale, dans le cas de l’Aulne, présenté par Le Calvez et Hellier (2017). Cela questionne plus largement sur le paysage de référence vers lequel le projet doit tendre (Aronson et al. 1995 in Lepart, Marty et Rousset 2000).