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Partie I :Ecotourisme et stratégies de modernisation des espaces ruraux

2. Introduction et contextualisation du sujet

1.3. Caractéristiques démographiques d‟un pays pluriethnique

1.3.3. La place des minorités à travers l‟histoire du Laos

Lors la colonisation, les rapports interethniques ont été profondément modifiés et particulièrement durant la période qui s‟étend de la guerre d‟indépendance à nos jours les minorités ethniques ont subi d‟importantes transformations qui ont façonné leur histoire. Premièrement, les espaces montagnards, en marge du territoire national et donc négligés par les autorités publiques, car difficile d‟accès, sont devenu des espaces convoités et stratégiques. Les premiers à s‟y intéresser étaient les colonisateurs français, ils voyaient ces espaces transfrontaliers comme des postes d‟avant-garde permettant la sécurité du territoire « national » et d‟établir un commerce extérieur et transfrontalier. Ils ont tissé ainsi des liens avec les populations minoritaires et montagnardes, également afin de contrer l‟hostilité Taï. Pendant la guerre les zones périphériques montagneuses sont devenues centrales, transformées en ligne de front que les opposants cherchaient à conquérir et contrôler. D‟abord pour y installer des zones de refuge lors des conflits et ensuite pour y marquer leur puissance par la maitrise du territoire. Ces périphéries sont devenues l‟axe même de la guerre, sur la frontière est, les territoires montagneux du nord abritaient le gouvernement révolutionnaire clandestin lao, le centre et le sud étaient traversés par la piste d‟Ho chi Minh. Les minorités qui les habitaient sont devenues des acteurs essentiels de cet affrontement, dont les membres ont cherché le soutien qui s‟avèrait indispensable. C‟est au sein des populations montagnardes que furent principalement recrutés les soldats procommunistes ou proroyalistes et « des gens de groupes différents vont se retrouver (le plus souvent sans l’avoir voulu) à se battre côte à côte, face à des ennemis qui pouvaient être du même groupe ethnique qu’eux, le cas des Hmong est le plus connu. » (Schlemmer, 2015, p. 21).

A la fin des conflits, qui ont définitivement morcelé et déstructuré les anciens territoires d‟Indochine, l‟objectif des nouveaux Etats communistes est la reconstruction nationale. L‟enjeu primordial demeure la constitution et la préservation d‟une unité nationale, il s‟agit

44 donc pour eux de s‟approprier et de consolider leur territoire. La question ethnique devient alors une priorité. Les territoires montagnards, d‟abord isolés et hors de portée, devenus des zones d‟affrontement sont impérativement vus comme des potentiels foyers de danger pour la sécurité nationale. Enfin les populations minoritaires qui les habitent, vivant en marge et impliquées pendant la guerre, autant avec les partisans que les opposants à la résistance communiste, sont perçues comme une menace à l‟unité nationale par les gouvernements.

Le Parti communiste lao, soucieux de préserver son unité territoriale et d‟éviter une implosion sociale due aux divisions ethniques, prône l‟unité du peuple (Ireson, 1991, p. 926). Cette unité passe par l‟intégration des minorités ethniques jusque-là marginalisées et la mise en avant d‟un discours sur l‟égalité entre toutes les ethnies et la reconnaissance d‟une diversité (Pholsena, 2009, p. 67). Mais conformément aux valeurs idéologiques du régime, cette unité se traduit par la création du « Nouvel Homme Socialiste », la référence identitaire à laquelle la population doit se conformer (Doré, 1982, p. 482 ; Daviau, 2011, p. 21). Ainsi, l‟identité LaoTaï est activement promue comme la norme culturelle qui permettra d‟unifier les différentes ethnies de la Nation (Michaud, 2009, p. 33). L‟ethnographie laotienne a été profondément influencée par l‟alignement du parti et une première classification distingue l‟ensemble des minorités ethniques par trois strates écologiques, la terminologie de cette trinité est liée à l‟espace écologique occupé par cette catégorie. Les Lao Loum (Lao « des plaines », dénomination correspondant aux LaoTaï), Lao Theung (Lao « des contreforts », censé regrouper tous les Austro-Asiatiques), Lao Soung (Lao « des sommets », appliqué indifféremment aux Hmong-Yao et aux Tibéto- Birmans) (Petit, 2008, p. 484).

Ces trois catégories incluent le terme «Lao». Le gouvernement soutient que, malgré une différence ethnique attestée, tous les groupes demeurent apparentés à l'intérieur de la grande famille lao : « Cette stratification conçue par certains nationalistes dans les années cinquante dont l'un des buts avoués était de montrer que, quelle que soit la population considérée, l'on n'avait jamais affaire qu'à des « Lao». » (Goudineau, 2000, p. 22). Cette classification a été fortement revendiquée car elle rassemble des communautés dans des groupes ethniques trop vastes. Elle est contestée également car la caractérisation par étagement topographique ne reflète pas les déplacements des populations et des villages entre montagnes et plaines. Cette trinité générique serait aussi la source d‟incompréhension

45 et d‟un usage mal compris qui mènerait à des constats complétement irréaliste comme celui : « […] consistant à dire de quelqu’un qu’il parle Lao Thueng ou Lao Seung. » (Goudineau, 2000, p. 22). Cette classification contestée par le président Kaysonne pour son caractère non-scientifique est donc remplacée par l‟Institut d‟ethnographie du Laos où était affecté Yves Goudineau10, chercheur ethnologue, ayant été directeur de recherche pour l‟IRD et membre du Conseil Scientifique. Une nouvelle classification ethnolinguistique est introduite par la Commission des Ethnies de l'Assemblée Nationale Lao en 2000, elle propose une subdivision en 4 catégories principales (les Thaï-kadai / les Austro-Asiatiques / les Môm Khmers, les Sino-Tibétains, les Hmong-Miens / les Miao-Yao). Cependant l‟ancienne classification, officiellement abolie, mais qui a été l'objet d'une forte diffusion à partir de 1980, est, dans les faits, toujours en vigueur. Elle est toujours représentée sur des supports officiels nationaux (timbres, monnaie, panneaux...) par les 3 sœurs qui incarnent les 3 méta-ensembles culturels. Elle continue aussi d'être utilisée par de nombreux acteurs socio-économiques et également touristiques.

Figure 4 : Billet de 1 000 Kip (10 centimes €), représentation des trois sœurs lao, chacune

représentant l‟une des 3 grandes catégories artificielles promues par le Parti.

Source : Phoudthassak Thammathong

Si la classification tripartite Lao Loum, Lao Theung, Lao Soung est critiquée pour son caractère peu scientifique, il n‟en reste pas moins qu‟elle s‟avère intégratrice, ce qui correspond aux orientations du gouvernement. Par ailleurs, elle fait ressortir un certain étagement par degrés de « développement culturel », correspondant à la littérature

10 Il est, depuis 2004, directeur d'études en "Ethnologie comparative de l'Asie du Sud-Est" de l'École française d'Extrême-

46 ethnographique des pays socialistes asiatiques qui sont eux-mêmes fidèles à un schéma d‟évolution simplifié élaboré par Morgan et Engels (Goudineau, 2000, p. 23). Cette théorie marxiste des stades d‟évolution et aussi reprise dans l‟ethnographie soviétique. Elle consiste à évaluer les degrés d‟arriération d‟un groupe ethnique à savoir si celui-ci est resté à un stade féodal ou ancestral pour ensuite déterminer l‟effort qui doit être fait pour mener cette communauté à rejoindre le développement socialiste. C‟est sur la base de ces critères d‟arriération, comme l‟existence de l‟écriture, le recours à des sacrifices, les familles nucléaires que le Front Lao d‟édification nationale conçoit et adapte ses différents programmes destinés aux minorités ethniques en se basant toujours, selon une conception évolutionniste, sur la culture LaoTaï comme plus haut degré de « développement culturel ». En 1981, le président Kaysonne mentionne : « La culture lao doit être la culture de base partagée par tous les groupes ethniques, et ce doit être cette culture qui permettra des échanges entre groupes différents. La langue lao, écrite et parlée, doit être la langue commune de la nation, et l’écriture. » (Goudineau, 2000, p. 29). Par ces politiques intégratrices destinées aux minorités ethniques, le gouvernement se retrouve alors dans un paradoxe, qu‟il conservera jusque-là, entre reconnaissance de la diversité ethnique et assimilation de la culture majoritaire Lao (Petit, 2008, p. 479).

Néanmoins, il parvient avec un certain succès à mettre en place cette stratégie basée sur une idéologie de la modernité. Premièrement, pour faire reconnaitre sa prise en compte des particularismes ethniques, il utilisera des subterfuges, comme la mise en place de nouveaux ethnonymes, la suppression des anciens ethnonymes dégradants, la création de catalogues des ethnies. Cette prétendue prise en compte de la pluriethnicité passera aussi par la valorisation dans les médias des marqueurs culturels (danses, chants, costumes, traditions…) autant d‟éléments appréciés par les minorités et jugés compatibles avec la modernité et le progrès socialiste mais sans réelle portée politique.

Deuxièmement les programmes visant à l‟assimilation de la culture Lao dominante et l‟intégration des populations minoritaires à la nation, plutôt qu‟être présentés sous une forme d‟imposition, ont été communiqués à la population selon des principes louables, jamais exprimés par les régimes précédents, d‟égalité des peuples. Selon ces principes toutes les populations, des plaines comme des montagnes, devaient pouvoir bénéficier au même titre des services de l‟état (santé, éducation,…), l‟objectif mis en avant était la réduction des inégalités et l‟amélioration de l‟extrême précarité dans laquelle se

47 retrouvaient les populations montagnardes au lendemain de la guerre. Mais sous couvert de ce désir tout à fait honorable, l‟ambition était également de réduire l‟écart de « développement culturel » entre la majorité lao et les minorités. (Goudineau, 2000, p. 26)

Les programmes étaient composés de différentes mesures comme la lutte contre les « mauvaises » pratiques jugées archaïques (superstitions, sacrifices rituels, chaman, guérisseurs…), l‟apprentissage de la langue lao pour tous, la scolarisation mais aussi la relocalisation des villages et la sédentarisation forcée (Goudineau, 2000, p. 7-15).

Les actions de relocalisation, imposées par l‟Etat, des marges vers les axes de communication ont notamment constitué un élément majeur de cette dynamique de modernisation et de progrès promue par le gouvernement. Les arguments avancés par celui-ci étaient de faciliter l‟accessibilité de ces minorités ethniques aux différents services. Le regroupement de villages dispersés, de minorités ethniques différentes, lui permettait aussi de rentabiliser les infrastructures construites dans les zones rurales (routes, hôpitaux, écoles…)(Evrard, 2003, p. 23-43). Grâce à ces relocalisations, l‟Etat pouvait, par ailleurs, exercer un meilleur contrôle sur ces communautés.

A partir de 1986, la période de libéralisation économique est marquée par un relâchement de la surveillance militaire et politique, toutefois l‟ouverture du pays à l‟économie de marché induit de nombreuses transformations économiques et sociales qui vont également fortement impacter les minorités ethniques. L‟intégration transnationale du pays, les politiques d‟ajustements structurels dictées par les institutions multilatérales, la standardisation aux traités internationaux et l‟ouverture aux IDE qui visent principalement les ressources naturelles abondantes en zone rurale, sont autant de nouveaux paramètres qui constituent l‟arrivée d‟une multitude de nouveaux enjeux pour ces minorités.

La transition économique engagée par Kaysone Phomvihane introduit également de nouvelles problématiques qui constituent autant de défis à mener par l‟État. Sur le plan économique, il s‟agit de trouver des ressources exploitables afin d‟attirer les IDE, sur le plan environnemental, il s‟agit de mettre en place des procédures de préservation afin de limiter la déforestation massive du territoire, sur le plan social la réduction des inégalités entre milieux urbains et ruraux, en situation d‟extrême pauvreté, devient une priorité.

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2. Contexte national, les nouveaux enjeux de la libéralisation économique