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Partie III :Enjeux socioéconomiques du développement de l’écotourisme dans la Province

1.2. Ecotourisme et renforcement des inégalités

1.2.1. Une inégalité existante entre acteurs économiques et communautés

La première inégalité observable est la répartition inéquitable des bénéfices du tourisme entre les différentes parties prenantes, notamment entre les excursionnistes et les communautés. Un professeur de l‟UNL, qui a fait sa thèse sur le partage des charges et bénéfices de l‟écotourisme au Laos, l‟avait noté et il ajoute : « Après l’étude, il s’avère que ce sont les excursionnistes qui récupèrent l’ensemble des bénéfices, les opportunités

137 destinées aux communautés sont très minimes. » (M. X, entretien exploratoire n°3, 22/04/2019, Vientiane)

Même si cette observation a pu être confirmée en partie sur le terrain, il a cependant été remarqué que de nombreux TO s‟organisent pour apporter des avantages aux communautés. La période de terrain n‟a pas été assez longue pour permettre un suivi sur une saison de la répartition de l‟ensemble des bénéfices directs mais aussi indirects.

Toutefois nous avons pu aussi noter une inégalité de statut au sein du secteur qui peut ensuite se traduire par des conséquences, souvent négatives. La plupart des employés et guides embauchés dans les TO sont majoritairement sous contrats, à ces guides s‟ajoutent parfois des prestataires freelance. Le contrat de travail offre aux guides une garantie de revenus et par la une certaine sécurité pendant la saison basse. Les communautés, majoritairement rémunérées à la prestation, sont, elles, dépendantes de la fréquentation ou des TO quand ceux-ci monopolisent l‟activité, dans ce cas ils peuvent choisir les communautés jugées les plus attractives et favoriser certaines au détriment d‟autres.

1.2.2. Une inégalité spatiale

Il est important de rappeler, en effet, que l‟écotourisme au sein des villages est fortement conditionné par un certain nombre de critères qui peuvent s‟avérer contraignant pour l‟activité en tant que levier de développement. Au Laos, particulièrement, le tourisme est très influencé par le cadre institutionnel, qui délivre des autorisations avant de démarrer un partenariat avec un village en fonction des demandes. Le développement écotouristique dépend alors fortement des bureaux de districts et de leur capacité, en matière de gouvernance, à gérer le territoire.

Hormis ses conditions légales et politiques, les villages doivent aussi répondre à des critères esthétiques et géographiques pour être considérés attractifs au niveau touristique. Ces conditions incluent une relative accessibilité, même si les touristes sont à la recherche de villages isolés, ils vont rarement accepter de faire deux jours de marche pour voir un village qui ressemble fortement à d‟autres situés à seulement deux heures de route. Ensuite il est important de prendre en compte la qualité paysagère des villages, ils seront sélectionnés en fonction des paysages que les touristes pourront contempler au cours de leur excursion. Ainsi, dans le cadre de Luang Prabang, les villages les plus sollicités sont

138 ceux situés à proximité des sites naturels et touristiques et l‟on se retrouve donc avec des zones ultra-fréquentées dans lesquelles les villages vont travailler avec plusieurs TO et vont recevoir jusqu‟à 25 touristes par nuitée en saison haute43

. A ces zones s‟opposent d‟autres moins attractives selon ce critère et de ce fait défavorisées. Un expert en développement écotouristique au Laos, interrogé au cours de la période de terrain, s‟exprime sur le sujet :

« Quand j’ai travaillé avec la BAD, dans le cadre du « Mekong Tourism Development Project » dans la province de Luang Prabang ont a conçu des circuits touristiques, certains ont fonctionné et sont toujours exploités aujourd’hui, d’autre non, ils ont été abandonnés car il n’avait pas assez de demande, sans doute qu’ils n’avaient pas les attraits naturels et culturels recherchés par la clientèle. Il faut alors se demander avant de développer les circuits si ceux-ci répondent aux caractéristiques recherchées et c’est là qu’on a peut-être échoué sur certains circuits avec la BAD. » (M. X, entretien acteur de l‟aide au développement, 05/07/2019, Luang Prabang)

A Muang Ngoi, les villages les plus sollicités sont les plus proches et les plus accessibles par les sentiers. Après Muang Ngoi, trois villages situés à même distance se partagent la fréquentation touristique. Les villages situés plus loin qui voudraient pourtant profiter de cette ressource économique ne le peuvent pas en raison de leur éloignement et leur isolement. Comme le souligne un chef de village interrogé dans la zone de Muang Ngoi lors d‟un échange informel, au cours d‟une visite d‟un autre village :

« Ils sont contents que je ramène de nouveaux touristes, ils m’expliquent que les derniers touristes qui sont passés ici étaient 3 et c’était il y a un an maintenant, en même temps qui va venir ici, c’est trop loin, il y a personne et rien à voir, les gens sont pauvres et personne ne peut entretenir le village ». (M. X, échange informel chef de village, 16/05/2019, Muang Ngoi)

L‟observation, les témoignages au cours des entretiens et les différents échanges informels, nous amène à postuler que le processus de développement touristique est

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Données obtenues grâce à plusieurs échanges informels avec des guides salariés et indépendants opérant sur le Province de Luang Prabang et grâce à l‟enquête préliminaire qui a permis d‟identifier les sites et villages intégrés dans les circuits organisés.

139 fortement inégalitaire, ceci est aussi valable pour l‟écotourisme, car on note une inégalité spatiale qui subsiste entre zones centrales et zones périphériques. Premièrement, l‟écotourisme contribuerait au renforcement des inégalités existantes, il pourrait également en créer d‟autres et induire une hiérarchisation dans les relations de pouvoir entre les villages. Deuxièmement, cet élément vient décrédibiliser en partie la théorie d‟un tourisme comme levier de développement. En se concentrant sur des villages plus ou moins accessibles et ayant des atouts attractifs, l‟écotourisme se focaliserait alors sur des espaces ayant déjà d‟autres opportunités de développement en n‟apportant pas de réelle réponse aux communautés éloignées, isolées et sans ressources. L‟introduction de l‟écotourisme pourrait parfois tendre à les marginaliser un peu plus. Le choix de villages peut également se faire en fonction de caractères esthétiques et ce critère sélectif peut s‟avérer, dans certains cas, discriminatoire. Les villages les plus recherchés doivent être attrayants. Les villages les plus pauvres et moins bien entretenus seraient alors pénalisés par rapport aux villages prospères qui, grâce à leur meilleure santé économique, peuvent plus facilement gérer l‟entretien des habitats et espaces communs.

1.2.3. Une inégalité interne à la communauté

Au sein des villages, un même processus va opérer : ce sont les individus bénéficiant généralement des meilleures situations et ayant certaines fois par conséquent les plus hauts niveaux de responsabilités qui vont se voir attribuer le rôle d‟hôtes. Le risque de l‟écotourisme est de favoriser les élites locales au détriment de la participation des autres membres de la population (Ounmany, 2015, p. 191). Les conditions nécessaires intrinsèques à l‟écotourisme (espaces ou pièces supplémentaires attribuées aux visiteurs) vont avoir tendance à favoriser les villageois ayant de meilleures situations aux membres ne disposant pas des conditions nécessaires pour accueillir des touristes, ceux-ci peuvent alors rapidement se trouver exclus de l‟activité. C‟est une situation que nous avons pu observer notamment à Muang Ngoi, où la plupart des chambres d‟hôtes sont tenues par les chefs de village. Un chef de village nous explique que c‟est notamment afin d‟atténuer ce problème que les villageois ont mis en place des activités pour que tout le monde puisse bénéficier de la ressource touristique y compris ceux qui n‟ont pas la possibilité de proposer un hébergement chez eux. Toutefois, nous avons aussi observé que les touristes venant séjourner aux villages et participer aux activités payent généralement directement le chef du village à la fin de leur séjour. Suite à nos questions concernant la répartition des

140 revenus celui-ci nous explique qu‟il y a une répartition effectuée après leur départ. Après plusieurs questions sur la redistribution de l‟argent celui-ci nous répond :

« Il n’y a pas une redistribution par factures et tarifs comme tu as l’habitude de voir chez toi, la répartition de l’argent se fait autrement, lorsqu’on offre des activités aux touristes pour nous tous c’est aussi une façon de s’impliquer pour le village. La répartition se fait ensuite à différentes occasions, hier il a fallu accompagner une femme enceinte à Luang Prabang car sa grossesse avait des complications, toutes les personnes qui pouvaient aider l’on fait. Aujourd’hui je vais donner une partie de l’argent à mon neveu [...] il est revenu depuis Vientiane avec sa copine pour nous la présenter. » (M. X, échange informel chef de village, 16/05/2019, Muang Ngoi)

Dans les deux autres cas, à Luang Prabang et dans le PN de Nam Et-Phou Louey, la répartition des bénéfices et gérée autrement car ce sont des acteurs extérieurs qui régulent la gestion et le contrôle de l‟activité.

Tout d‟abord, des fonds renouvelables par village et alimentés par les recettes du tourisme sont créés afin de sécuriser l‟apport des bénéfices pour l‟ensemble de la communauté. Ces fonds peuvent être gérés par les autorités du village ou par l‟opérateur local en fonction de la situation. La fonction principale du fonds renouvelable de village est de servir de mécanisme de micro financement aux villageois, qui ont besoin de capitaux pour investir dans l'agriculture ou d'autres activités. Outre la fonction de micro finance, les fonds servent de système de couverture sociale, permettant aux villageois d‟emprunter pour faire face aux soins médicaux ou autres. Ce fonds est aussi utilisé pour payer des impôts, acheter des terres et d‟autres activités de développement. Il peut être utilisé pour la rénovation de l‟école par exemple ou l‟installation d‟autres facilités. De même, le fonds du village est utilisé pour des activités culturelles et sociales, par exemple, pour l‟organisation de festival ou cérémonies.

Ensuite, des dispositifs de rotation des tâches sont mis en place afin de garantir l‟implication de chaque membre de la communauté. Pour les familles qui peuvent loger les touristes une rotation s‟opère à chaque visite. Pour les autres, d‟autres fonctions leurs sont attribuées comme la cuisine ou l‟entretien et la gestion des habitats touristiques quand les touristes y dorment, avec un système de rotation par familles également.

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2.

Une activité perturbatrice qui peut s‟expliquer par un manque

d‟implication des communautés