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II- Promoteurs de la vaccination

5- La place de l’Église

Voici un extrait d’une lettre du docteur Marshall au docteur Jenner, récit de son voyage en 1802 en Italie où il y répandait les bienfaits de la vaccine : « Il n’était pas inhabituel de voir pendant

les matinées de vaccinations publiques à l’hôpital des processions d’hommes, de femmes et d’enfants conduits à travers les rues par un prêtre portant une croix pour les mener à la séance »143.

136 MOULIN A.M., « Les vaccins, l’état moderne et les sociétés », in médecine/sciences, vol. 23 (1 avril 2007), no 4, p. 428‑434.

137 Journal de Rouen. Nouvelles diverses. 2 novembre 1840.

138 JORLANDG., « La variole et la guerre de 1870 », in Les Tribunes de la sante, n°33 (2011), no 4, p. 25‑30. 139 NOLTE F., L’Europe militaire et diplomatique au dix-neuvième siècle. 1815-1884, op. cit.

140 DARMON P., « Les dernières vicissitudes de la vaccine en France », in La longue traque de la variole, Perrin., 1985, p. 362.

141 ADSM, 5M237, lettre de la 9e brigade d’infanterie, 1876. 142 ADSM, 5M237, tableau des vaccinations réalisées en 1877.

143 BARON J., The Life of Edward Jenner [...] With Illustrations of His Doctrines, and Selections from His

53 Cette citation montre que l’Église avait une grande influence sur les opinions publiques, cette

emprise conduisait les autorités à solliciter l’appui des ecclésiastiques. Des directives furent envoyées par l’État aux évêques, afin qu’ils sensibilisent les prêtres et les pasteurs sur leur responsabilité dans la diffusion de la vaccine. Le Comité central de vaccine de Paris envoya à l’évêque de Rouen une copie d’un arrêté ministériel du 4 avril 1804 l’encourageant à s’impliquer dans la propagation de la vaccine « Afin que se réalise ce vœu que les mêmes

hommes qui conseillent l’humanité dans les afflictions de l’âme fussent appelés pour adoucir les souffrances et guérir les infirmités. Ainsi s’est renouvelée par cette pratique moderne l’alliance antique et auguste du sacerdoce et de la médecine »144.

Le docteur Guillotin (1738-1814), président du Comité Central de Vaccine de Paris, était un partisan de la vaccination systématique de toute la population, seul moyen selon lui de lutter efficacement contre la variole. Il obtient le soutien du pape Pie VII en 1804 lors de son séjour à Paris, officialisant l’appui de l’Église. Ce fut une grande avancée dans l’union avec le clergé puisque jusque-là une partie de celui-ci s’affirmait contre la vaccination.

En janvier 1804, le préfet de la Seine-Inférieure Beugnot incita le clergé à intervenir dans la diffusion de la vaccination : « l’administration invoque surtout le concours de messieurs les

curés ; c’est à eux qu’il appartient de faire circuler la conviction jusque dans les dernières classes de la société. Ils sont intéressés à prévenir les malheurs, ils sont toujours appelés à les secourir. Ils ne peuvent faire plus digne usage de l’empire qu’ils exercent sur les opinions ».

Il officialisa cette demande la même année par l’article 19 de son arrêté préfectoral « Les curés

et desservants sont invités à concourir, par tous les moyens qui sont en leur pouvoir, à la propagation de la vaccine »145.

De nombreuses demandes en ce sens figurent dans les archives départementales :

« Vous avez sans doute invité Monsieur le curé à employer dans cette circonstance tout l’empire

qu’il exerce sur l’opinion et l’esprit du peuple qui lui est confié, pour le déterminer à profiter du bienfait de la Vaccine »146.

« Je crois extrêmement utile que vous vouliez bien monsieur le préfet écrire vous-même à

l’honorable curé de St Marc, qui craint peut-être trop d’user d’une influence et d’une divinité qui ne pourrait cependant que retourner à l’avantage de ceux dont il veut le bien »147.

En 1812, le sous-préfet d’Yvetot déclara : « Il est reconnu que les Ecclésiastiques ont, surtout

dans les campagnes, une bien grande influence sur les opinions de leurs paroissiens. Il serait avantageux d'obtenir de son excellence monseigneur Le Cardinal archevêque de Rouen de bien vouloir inviter MM. les curés et desservants à faire connaître les avantages de la vaccine, et à combattre le préjugé qui la fait considérer comme contraire aux principes Religieux »148.

144 ADSM, 5M225, séance générale de la société centrale de vaccine, 24 frimaire an 13 (15 décembre 1804). 145 « ADSM, 5M225, arrêté du préfet Beugnot, 20 nivôse an 12 », op. cit.

146 ADSM, 5M225, lettre de monsieur Lenoury, floréal an 12 (mai 1804). 147 ADSM, 5M140, lettre du Dr Vingtrinier à monsieur le Baron, 1830. 148 ADSM, 5M225, rapport du sous-préfet d’Yvetot, vaccinations en 1812.

54 En 1813, par l’arrêté du Comte Stanislas de Girardin, la possibilité de pratiquer la vaccination

fut étendu aux Sœurs de la Charité, une congrégation religieuse composée de femmes, afin d’utiliser leur influences dans les campagnes.

En 1821 un édit ecclésiastique exprimait la pleine adhésion du pape à la vaccination. Il attribuait les hésitations des parents à « la honteuse ignorance des plus pauvres » et qualifiait « d’impiété » le refus des personnes instruites. La vaccination était considérée comme un « don

du Très-Haut »149.

Un ouvrage destiné aux pères et mères de familles fut publié en 1836. Il décrit sous forme de pièce de théâtre, une discussion entre « monsieur le curé, monsieur le chirurgien, monsieur et madame Bonnefoi et Jean Rétif ». Dans ce texte le curé du village éclaire ses auditeurs sur les caractéristiques de la vaccine et parvint à convaincre toute l’assemblée de ses bienfaits150. Face à ces sollicitations, l’Église s’est impliquée rapidement dans la diffusion de la vaccine auprès de la communauté : « je dois ajouter que messieurs les curés et vicaire de

Valmont ont usé de tout le crédit et de toute l’influence que leur donne leur Ministère pour en accréditer la propagation. » Cette découverte, envoyée par Dieu, était considéré par l’Église

comme un moyen de lutter contre la souffrance du peuple.

Le curé de Bois-Guillaume organisa dans son presbytère, de concours avec le vaccinateur local, une distribution aux enfants vaccinés de figurines et autres objets à la suite de l’opération151.

En 1836, le préfet de la Seine-Inférieure suggéra dans un arrêté que la vaccination soit réalisée de façon systématique lors de la première communion des enfants. Cette mesure n’a finalement pas abouti mais démontre le rôle important que l’État accordait à l’Église.

Cependant, certains curés ou desservants pensaient que le rôle des ecclésiastiques était avant tout spirituel et qu’ils ne devaient pas se soucier des problèmes du corps. Cet argument fut contré par des exemples de la bible décrivant Jésus guérissant les malades. Un autre argument affirmait que la variole était une punition divine pour les péchés des hommes, ou encore qu’il ne fallait pas contrecarrer la volonté de Dieu de ramener une âme auprès de lui, la Providence ayant fixé un terme à la vie de chacun des mortels : « la petite vérole nous a été donné par Dieu,

mais le cow-pox est une invention présomptueuse de l’homme »152.

Les ecclésiastiques qui s’opposaient à la vaccine étaient surtout actifs dans la première partie du XIXe siècle et ils ne reflétaient pas la tendance générale. Au contraire, les religieux partisans de la vaccine étaient les plus nombreux et le clergé participa activement à la lutte contre la variole. Les questions d’éthique et de théologie autour de la vaccination avaient été soulevées au siècle précédent à propos de l’inoculation variolique. Les opinions ecclésiastiques

149 BERCE Y.-M., « Le clergé et la diffusion de la vaccination », in Revue d’histoire de l’Église de France, vol. 69 (1983), no 182, p. 87‑106.

150 « Bibliothèque patrimoniale de Rouen, I 2547-2, La vaccine soumise aux simples lumières de la raison. 1836 », op. cit.

151 ADSM, 5M, le secrétaire du comité départemental au préfet, Rouen, 1819.

55 initialement très partagées avaient finalement été favorables à l’inoculation. La vaccination fut

plus facilement et plus rapidement acceptée.

De nombreuses personnalités religieuses participèrent concrètement au service de la vaccine. En 1857, l’abbé Bénard fut nommé membre du comité secondaire de vaccine du Havre. En 1829, le curé Molé fut membre du comité secondaire de vaccine d’Yvetot et en 1816 le curé Payen intégra le comité secondaire de Dieppe. En 1847, l’abbé Forbras, bien connu dans le département pour son aide considérable aux malades et aux nécessiteux, fut nommé membre du comité central de Rouen153.