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II- Promoteurs de la vaccination

1- Les vaccinateurs

C’est grâce au dévouement des vaccinateurs que la vaccine a pu se propager en Seine-inférieure. Il s’agissait de médecins, de chirurgiens, d’officiers de santé, rejoints ensuite par les sages- femmes, qui avaient acquis les connaissances et le matériel nécessaire à la vaccination et qui vaccinaient bénévolement.

Il est important de replacer le métier de médecin au XIXe siècle : l’art de guérir était partagé entre docteur en médecine et officiers de santé. Ces derniers représentent un groupe mal connu de la branche médicale de cette époque. L’officier de santé était habilité à exercer la médecine sans avoir le titre de docteur. Contrairement aux docteurs qui étaient diplômés d’une faculté de médecine, les officiers de santé, après s’être instruits selon les cas dans une école, une faculté, un hôpital ou auprès d’un médecin, devaient passer devant un jury médical qui leur délivrait une autorisation d’exercer.

97 Ibid.

98 ADSM, 5M237, rapport de la Commission Permanente de Vaccine, 1866. 99 ADSM, 5M237, rapport au préfet par le Dr Levasseur, 1873.

45 Leur profession fut encadrée de 1803 jusqu’en 1892, date à laquelle on supprima leur statut100.

Leurs postes laissés vacants ne furent pas remplacés et leur disparition aggrava le manque de médecins dont le nombre allait en diminuant101.

Selon l’arrêté du 20 nivôse an 12 (11 janvier 1804), les vaccinateurs chargés de propager la vaccine étaient choisis par l’administration préfectorale, ils recevaient alors une « commission » afin de propager la vaccine102. Le comité central de Rouen se concertait pour établir une liste de vaccinateurs ensuite nommés par le préfet. Le choix était fait à partir de la liste de tous les praticiens du département, et non parmi une liste de volontaires. En général les médecins choisis étaient les plus dévoués à la vaccine, ils étaient déjà reconnus pour pratiquer des vaccinations. (Figure 8) 103,104

100 FELTGEN K., Les officiers de santé en Seine-Inférieure au temps de Charles Bovary. Bulletin d’information du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de Seine-Maritime, n°24, novembre 2016. p. 14-15 101 Projet de loi sur l’exercice de la médecine, op. cit.

102 ADSM, 5M225, arrêté du préfet Beugnot, 20 nivôse an 12.

103 ADSM, 5M242, arrêté portant nomination de vaccinateurs en Seine-Inférieure, 31 mai 1820.

104 BLANCHE E., vice-président, BORDEAUX G., secrétaire. Rapport sur les travaux de la Commission permanente de vaccine. Rouen, Imprimerie Cagnard.

56% 27%

17%

1894

Docteurs en médecine (médecins et chirurgiens) Sages-femmes (vaccinatrices, mais non

officiellement commissionées) Officiers de santé 27% 20% 52% 1%

1820

Médecins Chirurgiens

Officiers de santé Pharmacien

46 Le vaccinateur nommé devait pratiquer des séances de vaccinations gratuites et publiques au

moins une fois par an, dans la ou les communes dont il avait la charge. Le choix du jour devait être fait après concertation avec le maire. Des affiches indiquaient l’heure et le lieu de la séance au moins huit jours à l’avance.

D’autres professionnels de santé, non commissionnés, pratiquaient des vaccinations de manière non règlementée. Il est difficile d’en établir le nombre exact ou d’évaluer leur activité car ils sont absents des relevés officiels des archives départementales.

❖ Un nombre de vaccinateurs insuffisant

Ces vaccinateurs n’étaient pas assez nombreux pour répandre la vaccine parmi toute la population. Au XIXe siècle, le département était essentiellement rural et l’offre de soins était inégalement répartie.

En 1804 en Seine-Inférieure, 51 vaccinateurs avaient été nommés par le préfet, soit 1 pour 12 267 habitants105. Ce nombre augmenta progressivement : 76 vaccinateurs en 1819, 107 en 1820…106

En 1826, la plupart des vaccinateurs inscrits sur les listes officielles du département étaient décédés ou avaient déménagé, sans qu’ils soient remplacés. La liste des vaccinateurs a été totalement réorganisée, avec de nouvelles nominations. En 1827, le département comptait 123 vaccinateurs.

Ce nombre continuait d’augmenter : en 1836, on dénombrait trois fois plus de vaccinateurs par habitant qu’en 1804. Chacun de ces vaccinateurs avait la charge de quatre ou cinq communes107.

Malgré le zèle de certains médecins, beaucoup de petites communes rurales n’ont pas bénéficié du passage de vaccinateur, c’est pourquoi certaines années il n’y eut aucune vaccination dans les villages. En 1819, malgré l’épidémie de variole qui sévissait, de nombreuses petites communes rurales n’ont pas pu bénéficier de la vaccine. Le 23 germinal an 12 (13 avril 1804), le sous-préfet de Neufchâtel réclama au préfet que des médecins de campagne soient commissionnés afin d’aider la diffusion de la vaccine en milieu rural108.

Bien qu’en faible effectif, certains professionnels de santé se démarquèrent par leur dévouement. L’un des principaux acteurs de la diffusion de la vaccine en Seine-Inférieure était Antoine Louis Blanche, chirurgien rouennais. Il rapporta du vaccin jusqu’à Rouen et s’appliqua à propager la vaccine dès la fin de l’année 1800. Grâce à lui, l’usage de la vaccine se développa. En un an, entre septembre 1800 et aout 1801, il vaccina à lui seul près de 600 patients. Il fut un

105 « ADSM, 5M225, arrêté du préfet J. Beugnot, 20 nivôse an 12 (11 janvier 1804). », op. cit.

106 « ADSM, 5M242, arrêté portant nomination de Vaccinateurs en Seine-Inférieure. 31 mai 1820 », op. cit. 107 MOMOT J., « La variole en Seine-inférieure », op. cit.

47 membre actif du comité central de vaccine de Rouen et fut l’un des principaux vaccinateurs

rouennais jusqu’en 1812109.

Au Havre, le docteur Foubert, médecin chef de l’Hospice, fit les premiers essais dès le 23 germinal an 9 (13 avril 1801) avec des vaccinations gratuites en très grand nombre110. Il s’était lui-même rendu à Paris afin de constater les résultats de cette nouvelle méthode.

❖ La contribution des sages-femmes

Les sages-femmes avaient un rôle important. La vaccination leur fut ouverte en 1813 par l’article 19 de l’arrêté du préfet Girardin et les élèves sages-femmes furent envoyées en campagne afin de pratiquer des vaccinations sur les nouveau-nés. Elles étaient initialement critiquées par leurs confrères médecins : « la plupart d’entre elles sont dépourvues des

connaissances nécessaires pour justifier la validité de leurs opérations »111 puis leur participation fut finalement reconnue et approuvée.

Très peu de sages-femmes furent nommée vaccinatrices par le préfet, nous pouvons néanmoins citer madame et mademoiselle Bachelier, mère et fille, à Dieppe, ou encore mademoiselle Thierry, sage-femme en chef à la maternité de Rouen112. Cela ne les empêcha pas de répandre la vaccine. Beaucoup d’entre elles reçurent des médailles d’honneurs pour leurs vaccinations. Le sous-préfet de Dieppe venta les mérites de mademoiselle Cartier, sage-femme aux Grandes Ventes : « plusieurs personnes, hardis par les conseils de cette femme, sont revenus de leurs

anciens préjugés, et ont consenti à faire vacciner leurs enfants »113. En 1898, mademoiselle Thierry vaccina 1 246 enfants à elle-seule114.

Grâce à la relation privilégiée que les sages-femmes entretenaient avec les mères, elles jouèrent un rôle important dans la propagation de la vaccination chez les enfants. Leur plus grande disponibilité leur permettait probablement de venir vacciner à domicile, où leur venue n’était pas considérée comme une intrusion, contrairement à celle des médecins.