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II- La lutte contre la variole : de la variolisation à la découverte de la vaccination

5- Les techniques d’hygiène au secours des malades

L’accroissement démographique des grandes villes, la précarité des classes laborieuses, et la lutte contre les épidémies (variole, peste, choléra, tuberculose…) suscita une implication croissante des pouvoirs publics sur les questions sanitaires dès la fin du XVIIIe siècle. C’est dans ce contexte que naquit le mouvement hygiéniste60.

Les autorités eurent recours à des procédés de désinfection et d’épuration de l’environnement afin d’éviter la transmission de la variole par contact indirect. À la fin du XIXe siècle, des équipes étaient chargées de l’assainissement des rues et des établissements publics61. En 1894,

le bureau d’hygiène tenait une liste quotidienne des logements désinfectés : « Félicitons la

municipalité de Sotteville des mesures qu’elle a prises et de sa sollicitude pour visiter les maisons où se sont trouvés des varioleux et pour désinfecter les locaux autant que possible »62. Des bons étaient distribués aux familles des malades permettant l’acquisition de nouveaux matelas fournis par les commissariats de police. À défaut de désinfection, la literie était incinérée63. Le thymol était utilisé au XIXe siècle pour ses émanations réputées antitoxiques. Il

60 GUIMIER L., La santé publique au défi de la vaccination : une histoire complexe et ancienne. 2013,

https://www.lalettredegalilee.fr/la-sante-publique-au-defi-de-la-vaccination-une-histoire-complexe-et-ancienne/. 61 ADSM, 5M140, liste des logements désinfectés par le bureau d’hygiène, le 30 avril 1894.

62 Le Travailleur normand : organe républicain de l’Eure et de la Seine-Inférieure. 16 octobre 1904. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6392792p/f2.item.r=le%20travailleur%20normand%20variole.zoom. 63 MOMOT J., « La variole en Seine-Inférieure » Études Normandes, n°3, 2006. Des Normands à l’épreuve. p. 64.

Figure 4 : « Dr Jenner performing his first vaccination on James Phipps, May 1796 » Source : internet, domaine public. Peinture d’Ernest Board.

34 servait de lotion pour désinfecter le visage des malades et éviter la contagion64. On apprit plus

tard qu’il était peu actif sur le virus mais l’odeur couvrait celle de la phase de desquamation65.

Un appareil d’assainissement fut mis en place en 1878 à l’Hôtel-Dieu, situé à l’époque à la place de l’actuelle préfecture à l’ouest de Rouen. L’objectif était de verser de l’air pur dans les salles réservées aux traitements des affections contagieuses. L’air altéré était alors refoulé vers le sol entraînant avec lui les « principes de contagions » qu’il contenait. Les fenêtres étaient prolongées jusqu’au sol et s’ouvraient par le haut et le bas66. Un projet de « calorifère » fut

proposé, une machine à vapeur créant un courant d’air afin d’aérer les chambres67.

La question de l’isolement des malades fit débat. En temps d’épidémie, les varioleux étaient isolés dans leur maison ou étaient hospitalisés. A l’hôpital, ils finissaient fatalement par contaminer les autres malades car tous étaient réunis, sans distinction entre les différentes pathologies. A Rouen, ils étaient répartis au sein des deux hôpitaux de la ville, à l’Hôtel-Dieu majoritairement, et à l’Hospice Général d’autre part. Ce dernier deviendra par la suite l’Hôpital Charles-Nicolle, lorsque l’Hôtel-Dieu cessa d’abriter des malades en 1988 pour devenir quelques années après l’actuelle Préfecture68.

A partir de 1856, les médecins et l’autorité préfectorale discutèrent de la nécessité de regrouper les varioleux. La question de l’isolement était régulièrement relancée à la suite d’épidémies comme en 1864, 1870 et 1876. Ce procédé était répandu dans de nombreuses villes ces années- là comme Londres, Paris ou Bordeaux avec de bons résultats. L’isolement ne semblait pas faire l’unanimité des médecins de la Seine-Inférieure. Beaucoup s’y opposaient encore en 1879 justifiant qu’il ne fallait pas créer de foyers d’infection qui seraient dangereux pour le voisinage et pour les malades eux même, et qu’il serait plus judicieux de disséminer les malades dans diverses infirmeries69. D’autres soulevèrent le problème de la répartition des malades : il semblait inconvenant de réunir dans un même lieu les soldats, les vénériens, les femmes et les enfants.

Le docteur Flaubert, le frère de Gustave Flaubert, chef de la première division chirurgicale de l’Hôtel Dieu, et le docteur Levesque, médecin chef à l’Hôtel-Dieu, s’opposaient à la réunion des varioleux dans un même service70. Le docteur Leudet, médecin à l’Hôtel-Dieu et directeur

de l’école de médecine, se montrait quant à lui très favorable à l’isolement des varioleux. Ses rapports démontraient le nombre considérable de contaminations internes. Entre 1855 et 1869, sur 292 cas de varioles recensés à l’Hôtel-Dieu, 90 s’était développés à l’intérieur des murs71.

64 RENGADE J., « Variole », in Les grands maux et les grands remèdes, Paris, 1879, p. 184.

65 ASSOCIATION DES DAMES FRANÇAISES, Bulletin de l’Association des dames françaises. Croix-Rouge française.

p. 143, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9689291s.

66 ADSM, H dépôt 3, R5, lettre aux membres de la commission administrative des hôpitaux, mars 1878. 67 Ibid.

68 FELTGEN K., « Les maladies contagieuses et leur impact sur l’architecture hospitalière rouennaise », in Revue

de la Société française d’Histoire des Hôpitaux, n°153, mai 2015, p. 38-46.

69 ADSM, H dépôt 3, R5, lettre des membres de la commission administrative des Hospices de Rouen, 1879. 70 ADSM, R5, extrait de la séance du conseil municipal de Rouen, novembre 1870.

35 Dans le journal Le mouvement médical en 1876 le constat était le même : « L’Hôtel-Dieu de

Rouen continu à être le principal foyer de variole de la ville »72.

La nécessité d’isoler les patients fut finalement démontrée et la décision fut prise en 1878 de construire un établissement éloigné de toute habitation. Il fallut attendre 1884 et la menace d’une épidémie de cholérapour voir apparaitre un premier chalet d’isolement dans les jardins de l’Hôtel-Dieu, rue Stanislas Girardin73. Deux ans plus tard, un deuxième chalet fut construit, réunissant vingt-cinq lits dans une salle unique74. Les fenêtres des chalets s’ouvraient sur la rue et les habitants s’inquiétaient de la propagation des germes jusqu’à leur foyer. Une pétition circula pour demander leur destruction « Tant que l’on ne supprimera pas les chalets

d’isolement, la variole passera à pieds joints au-dessus des murs de l’Hôtel-Dieu et infestera tout le quartier de la Madeleine »75.

La construction d’un hôpital en dehors de la ville était trop onéreuse et les voisins durent se contenter de la plantation d’une rangée de peupliers entre les chalets et la rue. Mais comme l’expliquait le directeur de l’Hôtel-Dieu en 1895 : « Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour

éviter les plaintes du voisinage, toutefois il semble que ces personnes pourraient se mettre à l’abri de toute appréhension en ce qui concerne la variole : la vaccine est un moyen efficace de se préserver de cette affection »76.