• Aucun résultat trouvé

1- La première génération d’anti-vaccins

Les premiers à s’opposer à la vaccination étaient les médecins contemporains de Jenner. Ces premiers « vaccinophobes » étaient des anciens variolisateurs dépossédés de leur art. Ils étaient pour la plupart convaincus du pouvoir de la vaccine, mais ils craignaient de voir leur échapper le monopole de l’inoculation296. L’un des opposants les plus virulents fut le chirurgien Lemaire- Ternante, exerçant à Rouen. Il écrivit en décembre 1801 un ouvrage intitulé « Observations sur les effets de la vaccine comparée à l’Inoculation varioleuse ». Il y décrivait la vaccination comme une méthode inutile, dangereuse voire mortelle 297.

293 BIRABEN J.-N., « La diffusion de la vaccination en France au XIXe siècle », op. cit. 294 « ADSM, J856, Observations sur la vaccine, Dr Guillemont. 1814 », op. cit. 295 RENGADE J., « Variole », op. cit.

296 DES-ALLEURS, Discours [sur la vaccination] prononcé à la Société de charité maternelle de Rouen, 1824. 297 LEMAIRE-TERNANTE C., Observations sur les effets de la vaccine comparée à l’Inoculation varioleuse [...] Paris. Petit, Libraire. 11 pluviôse an 10 (1802).

91 La mise en place d’une pratique nouvelle comme la vaccination suscitait la méfiance. Les

opposant appuyaient leur argumentation sur les points vus précédemment : l’origine animale et anglaise du vaccin, son aspect contre-nature, ses effets indésirables. Ils argumentaient fréquemment que la vaccine empoisonnait le corps et l’esprit des Hommes. Ils accusaient le vaccin d’être la cause de nombreuses maladies (cancer, sénilité, typhoïde…) auxquelles s’ajoutait le problème des contaminations accidentelles par la syphilis et d’autres germes298.

Des anti-vaccins rédigèrent de volumineux ouvrages combattant la vaccine avec hostilité comme le docteur William Rowley ou le docteur Chappon qui écrivit en 1803 un « traité historique des dangers de la vaccine ».

L’abandon de la variolisation à la fin du XVIIIe siècle pour une technique plus sûre aurait pu mettre un terme aux oppositions mais les critiques restaient virulentes. Les anti-vaccins affirmaient l’avantage de l’inoculation variolique car ils avaient plus d’expérience avec cette méthode et s’appuyaient sur les accidents provoqué par la vaccination. Mieux valait s’inoculer la variole naturelle plutôt qu’une substance étrangère aux conséquences inconnues.

Les journalistes du XIXe siècle décrivaient parfois le comportement regrettable de quelques « antivaccinistes », et déploraient « l’aveuglement des anti-vaccinateurs » ou encore les actions des « détracteurs de la vaccine »299. Ces opposants n’étaient pas organisés, mais leur discours propageait la crainte de la vaccination parmi les habitants : « Monsieur de Bérulle, âgé de dix-

sept ans, vient de périr des suites de cette cruelle maladie [la variole] près de Saint-Laurent- en-Caux. Ce jeune homme se sera laissé influencer par quelques anti-vaccinistes »300.

Le débat entre pro et anti-vaccins était inégal. Bien que minoritaires, les opposants se faisaient facilement remarquer. Ne pas contracter la variole est un « non-événement » dont personne ne pouvait parler contrairement aux cas d’effets indésirables dus à la vaccine.

La concurrence de ces anciens variolisateurs était cependant peu développée en Seine- Inférieure et ne freina pas significativement l’extension de la vaccine. Ces premiers opposants restaient discrets en France par rapport aux pays voisins comme l’Angleterre ou l’Allemagne. L’opposition de ces quelques médecins n’a pas constituée un obstacle majeur comparé à l’indifférence et à l’inertie de la population.

La vaccine rencontra ensuite de nouveaux adversaires dans les années 1820-1830, avec l’apparition des cas de variole malgré la vaccine, provoqué par la dégénérescence du vaccin humain et l’absence de rappel vaccinal.

Après l’épidémie de 1870-1871, la population perdit de nouveau confiance. Le vaccin était efficace mais la couverture vaccinale était encore insuffisante pour empêcher les épidémies.

298 SALVADORI F.,VIGNAUD L.-H, « Le triomphe de la vaccine et la montée des oppositions », in ANTIVAX la

résistance aux vaccins du XIXe siècle à nos jours. Vendémiaire. 2019, p. 62.

299 Journal de Rouen. 27 novembre 1819. 300 Journal de Rouen. 15 février 1805.

92 2- Les vrais vaccinophobes

Une nouvelle génération d’anti-vaccins apparut à partir de 1880 dans les milieux hygiénistes de la fin du XIXe siècle. Ces opposants, plus virulents, étaient bien organisés. Cette génération

fut contemporaine des travaux de Louis Pasteur. Les opposants réfutèrent sa théorie des germes qui indiquait que les maladies étaient provoquées par des micro-organismes301.

Un autre de leurs arguments était la protection animale. Les anti-vaccins s’opposèrent aux manipulations réalisées sur les génisses et les veaux dans le but d’obtenir du vaccin. Ce mouvement « antivivisectionniste » né en Angleterre, était répandu dans plusieurs pays dont la France dès les années 1880302.

L’opposition était symbolique et prônait le droit de disposer de soi-même. Elle s’appuyait sur les échecs de la vaccination et ses accidents, comme les cas rares mais graves d’encéphalites vaccinales. Les opposants manifestaient le refus de prendre un risque individuel pour le bien de la majorité. Ils luttèrent contre la vaccination obligatoire. Ils réussirent à repousser la loi Liouville de 1880 qui avait pour but l’obligation vaccinale pour tous. Un nouveau frein apparu avec les obligations vaccinales, celui de la revendication de la liberté individuelle et l’opposition aux pouvoirs publics303.

Ces freins à la vaccination entretenus par les anti-vaccins sont résumés dans un ouvrage médical de 1899 : « Quelques faits de contamination syphilitique et d’infection érysipélateuse, ont

fourni des armes aux anti-vaccinateurs ; un amour exagéré de la liberté individuelle, l’influence déraisonnable de quelques journalistes, la faiblesse des politiciens ont mis en péril le principe de l’obligation dans certains pays. La vaccination commence à perdre du terrain, jusqu’au jour où le retour offensif de la variole jettera la foule dans les bras des hygiénistes »304.

La première ligue anti-vaccinale française fut constituée à Paris en 1880 par le docteur Boens, la « Ligue Universelle des anti-vaccinateurs ». Le bureau de ce mouvement fut composé de médecins de plusieurs pays d’Europe (France, Belgique, Angleterre, Suisse et Allemagne). En 1954, fut créée la « Ligue nationale pour la liberté des vaccinations » issue de la fusion de plusieurs groupes anti-vaccinaux305.

La résistance aux vaccins prit des formes parfois violentes en Angleterre à la fin du XIXe siècle

ou au Brésil en 1904. Les opposants en France étaient moins nombreux. En Seine-Inférieure, le discours de ces opposants à la vaccination s’est surtout rependu parmi le corps médical. Certains de leurs arguments ont pu faire écho dans les campagnes, pour alimenter les préjugés, mais leur influence est restée marginale306.

301 SALVADORI F.,VIGNAUD L-H,« Antivaccinisme et révolution bactériologique », in Antivax. La résistance aux

vaccins du 18e siècle à nos jours. Vendémiaire, 2019, p. 88.

302 Ibid.

303 GUIMIER L., « La santé publique au défi de la vaccination », op. cit.

304 GUINON L., « Chapitre Vaccine », in Traité de Médecine, de Bouchard et Brissaud, 2e édition, 1899. 305 POSTEL-VINAY N., « Lobbys antivaccins versus promoteurs de la vaccination » (2013), p. 5.

306 DANIEL M., La lutte contre la variole en Seine-Inférieure entre 1800 et 1850, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Rouen 2001.

93 Pour le docteur Leudet, médecin à l’Hôtel-Dieu, la victoire de la vaccination contre les

opposants était acquise à la fin du XIXe siècle : « La vaccination antivariolique, maintenant

centenaire, conserve plus que jamais son efficacité. Même ses adversaires, du moins s’ils sont instruits et de bonne foi, luttent plutôt contre l’obligation de se faire vacciner que contre la vaccine elle-même »307.

3- L’influence de la presse

Au début du XIXe siècle, les anti-vaccins utilisaient la presse comme outils pour discréditer la

vaccine. L’opinion de ces opposants était rendue publique sous forme de caricatures, de photos, de pamphlets, de courriers, de livres ou d’affiches.

De nombreux caricaturistes s’attaquèrent à la vaccine. Une célèbre gravure de James Gillray, datant de 1802, illustre de façon humoristique la crainte de la société face à la découverte d’Edward Jenner. Cette carricature met en scène des personnes vaccinées dont le corps se recouvre de tête de vache, en allusion à l’origine bovine du vaccin.

307 ADSM, H dépôt 3, R5, texte du Dr Robert Leudet, in La Normandie Médicale (1897), p. 476. Figure 20 : « The Cow-Pock, The wonderfull effects of the new inoculation » 1802.

94 Les comités de vaccine tentèrent dès le début du XIXe siècle de filtrer les informations, de faire taire les accidents et de publier les succès afin de préserver l’image de la vaccine. Les ministres de l'Intérieur Chaptal, puis Fouché, imposèrent aux journaux, y compris médicaux, d'obtenir l'accord du Comité de vaccine parisien avant toute publication sur le sujet308.

Cette tentative de censure n’empêchât pas de nombreuses représentations de ce type de circuler. Plusieurs livres furent publiés dans lesquels leurs auteurs combattaient la vaccine avec virulence. Dans son ouvrage de 1805 « La vaccine combattue dans le pays où elle a pris naissance » William Rowley traduisit et annota des textes d’anti-vaccins anglais, luttant contre la « secte des vaccinateurs » et le « poison vaccinal »309.

Des articles rédigés dans des journaux non scientifiques remettaient également en doute la vaccine. A l’échelle nationale nous pouvons citer La lanterne, journal fondé par Henri Rochefort. Le secrétaire général du comité central de vaccine de Rouen s’en plaignait dans une lettre de 1843adressée au ministre : « Je veux parler de ces discussions, qui ont eu un fâcheux

retentissement, par leur imprudente reproduction dans les journaux […] qui ont fait un mal qu’il faudra bien des années pour réparer »310.

Des charlatans publiaient des affichettes ou des messages publicitaires dans les journaux et donnaient à la vaccine de nombreuses vertus, comme celle de guérir d’autres maladies, ce qui risquait de jeter le discrédit sur la méthode. En 1864, on saisit chez un pharmacien rouennais 38 flacons d’une mixture baptisée « préservatif de la variole » dont il faisait la publicité311.

Lorsque les ligues anti-vaccinales commençaient à s’organiser, elles détenaient leur propre support de propagande comme Le Réveil médical, un journal hebdomadaire publié entre 1881 et 1886. On pouvait y lire des articles sur « les victimes du vaccin » ou sur l’organisation d’un « congrès international d’anti-vaccinateurs »312.

308 Lettre de Fouché à M. Sauvo, rédacteur du Moniteur, 25 juillet 1809. Archives de l’Académie de médecine. Citée par DARMON P. In : La longue traque de la variole : les pionniers de la médecine préventive, Perrin, 1986. 309 ROWLEY W., La vaccine combattue dans le pays où elle a pris naissance, Paris, Guiguet, 1805.

310 « ADSM, 5M236, rapport sur la vaccine à monsieur le ministre de l’Agriculture, 1843 », op. cit. 311 MOMOT J., « La variole en Seine-inférieure », op. cit.

312 LABBEE E., Les victimes du Vaccin, in Le Réveil médical : journal international de médecine, de chirurgie et

95