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La place et les fonctions des femmes, fafine dans les trois étapes majeures de la vie 112

CHAPITRE 8  ­ DEVENIR UNE FEMME À OUVÉA 107

8.3 La place et les fonctions des femmes, fafine dans les trois étapes majeures de la vie 112

8.3.1 La naissance

À l’inverse de ce qui peut être observé en Polynésie occidentale (Douaire-Marsaudon, 1998), en Papouasie Nouvelle-Guinée chez les Ankave-Anga (Bonnemère, 1996) ainsi que sur la Grande-Terre (Salomon, 1998), à Ouvéa la naissance ne fait pas l’objet de rituels particuliers et certaines femmes d’Ouvéa affirment même que « la naissance c’est pas un événement » (Communications personnelles, 2007, Ouvéa).

Toutefois, le témoignage de Valérie Galzin, sage-femme84 qui a bien voulu partager avec moi ce qu’elle savait de la naissance à Ouvéa (Communications personnelles, 2008, Métropole) révèle des éléments intéressants concernant cette étape de la vie. Le moment de la naissance est le moment où la mère donne à son enfant deux prénoms, préalablement choisis. Le prénom en langue fagauvea est choisi par l’oncle maternel et permet souvent de faire re-vivre une personne décédée. Lorsque le prénom d’un défunt est donné à un enfant, ce dernier va constituer le moyen de « continuer » la vie de celui dont il porte le prénom. Le prénom français résulte d’un choix commun des deux parents et n’a a priori, pas de teneur particulière. Le nom de famille est normalement toujours celui du père, sauf lorsque la mère vit seule. Dans ce cas là, c’est son nom de famille à elle qui est donné à l’enfant et ce dernier sera souvent donné par la suite à ses grands-parents maternels. Depuis cinq ans, la naissance a tendance à avoir lieu à l’hôpital de Nouméa85, mais elle peut, dans de rares cas avoir lieu à la maison. Les deux fois où Valérie Galzin a été confrontée à une telle situation, la future mère était entourée de sa mère et d’une tante. Ceci mérite une analyse plus approfondie dans la mesure où une profondeur historique est suggérée86.

84 Valérie Galzin vit en Nouvelle-Calédonie depuis plus de quinze ans et a vécu et travaillé en tant que sage-

femme à Ouvéa de Juillet 1993 à Décembre 1998.

85 Ceci résulte d’une politique de santé menée depuis 2003 par le gouvernement qui est destinée à garantir une

qualité de soins égale à tout le monde sur le territoire calédonien. Afin d’augmenter la sécurité et de diminuer les risques, les personnels de santé incitent donc les femmes à aller accoucher à l’hôpital de Nouméa qui dispose de tous les équimements nécessaires. En revanche, entre 1993 et 1998, la majorité des naissances d’Ouvéa avait lieu au dispensaire de Hulup, la politique de santé d’alors étant davantage axée autour du développement de structures de santé de proximité.

86 Les témoignages oraux recueillis font état de changements successifs concernant les pratiques rituelles qui

Ses propos laissent par ailleurs entendre que si la naissance ne constitue pas l’occasion de rituels particuliers, la grossesse est en revanche une période pendant laquelle la femme enceinte fait régulièrement l’objet d’attention particulières de la part des autres femmes de son entourage.

La femme enceinte ne semble pas avoir de statut social spécifique lorsqu’elle est enceinte, de son premier enfant ou non, toutefois la grossesse semble être une période pendant laquelle les femmes enceintes, toujours conseillées par leurs mères, vont systématiquement être prise en charge dans la « médecine traditionnelle ». Elles iront ainsi voir certaines « vieilles » qui leur feront boire des décoctions et les masseront pour que le fœtus soit bien positionné, par exemple. Ces éléments semblent nous conduire vers l’idée que si la naissance ne constitue pas l’occasion de rituels particuliers, la femme enceinte n’est toutefois pas traitée de façon anodine et qu’elle est prise en charge par « des femmes ». Il faut aussi se rappeler qu’une femme (au sens français) ne devient vraiment une femme, fafine, qu’à partir du moment où elle a des enfants. Ces quelques éléments suffisent pour suggérer que la grossesse et la transmission d’un prénom doivent être les objets d’analyses approfondies et qu’ils constitueront sans aucun doute un axe de recherche pour un travail ultérieur.

8.3.2 Le mariage

Le mariage comprend deux grandes cérémonies qui n’ont pas lieu en même temps. Il s’agit du mariage coutumier, qui comprend lui même deux grandes étapes et du mariage civil.

La première étape de la célébration coutumière a lieu avant le jour du mariage. A ce moment- là, la famille du garçon se rend « chez la fille pour réserver la fille87 ». Pour cela, les membres

de la famille du garçon vont « faire une coutume » aux parents de la fille en lui donnant surtout des manus (des paréos de coton imprimé) et de l’argent. Les deux familles s’entendent alors sur la réalisation future de ce mariage. Elles sont toutes deux orientées par le choix des alliances que chaque famille souhaite réaliser.

Dès lors que le mariage est annoncé, les préparatifs commencent. Quelques jours avant la cérémonie de mariage, la fille, qui s’apprête à quitter sa famille et son clan pour aller rejoindre ceux de son futur mari, fait chez elle un repas d’au revoir auquel toute sa famille est conviée. Après avoir fait leur coutume - présentation rituelle d’offrandes et échanges de paroles, sika- les différents membres de la famille de la future mariée restent chez elle jusqu’au jour du mariage, date à laquelle ils l’emmènent chez le garçon.

C’est donc dans la famille du fiancé qu’auront lieu les trois jours de cérémonie de mariage. Tous les membres des deux familles sont invités à participer à la fête, aussi les préparatifs destinés à accueillir tout le monde dans les meilleures conditions sont très importants. Ils durent environ un mois. Les femmes qui ont en charge la préparation des repas pour tous les convives, l’hébergement de certains membres de la famille et la décoration préalable des lieux, trouvent souvent que les mariages durent trop longtemps et qu’ils leur imposent trop de travail.

Parce qu’il constitue toujours la meilleure façon de former des alliances stratégiques et de conforter certains clans dans leur statut de puissant, rien n’est négligé dans un mariage. Pendant ces quelques jours de célébration, le mariage religieux (catholique pour ce qui concerne les lieux où j’ai effectué du terrain), et le mariage civil à la mairie sont aussi célébrés, tous les deux dans la même journée.

8.3.3 Le deuil

Pendant les deuils, qui durent environ une semaine à Ouvéa, les fafine ont en charge la préparation des repas. Les funérailles ont lieu chez la personne qui vient de mourir. Les membres de sa famille accueillent donc l’intégralité de la famille du défunt (toutes les personnes qui ont des liens de parenté direct avec le défunt ou avec son clan, toujours plusieurs vingtaines de personnes) ainsi que tous les membres de la chefferie. Dans ce cas là, celles qui ont une plus grande responsabilité concernant l’organisation sont les fafine de sa famille à lui, ses sœurs, ses filles ses nièces et ses petites-filles. Lorsqu’une femme qui a des enfants meurt, peu importe son âge, les funérailles ont lieu chez elle, c’est à dire dans la famille de son mari. Les fafine de la famille du mari de la défunte sont celles qui auront alors le plus de responsabilité concernant l’organisation des repas notamment.

Concernant la préparation des repas, les jeunes garçons vont aiguiser les couteaux, vider et écailler les poissons, rôtir la viande, râper le coco pour certains. Les hommes âgés sont les seuls qui ne prennent pas part aux préparatifs.

Secondées par les plus jeunes lorsqu’il s’agit de préparation ordinaire, toutes les fafine seront très sollicitées lorsque les plats seront plus sophistiqués, comme la préparation du bougna, des boulettes de bananes vertes cuisinées avec de la noix de coco ou encore du manioc avec les feuilles de puka.. Puka désigne l’arbre sur lequel sont coupées des feuilles (du même nom) qui

sont comestibles. Dans l’élaboration d’un repas extraordinaire comme celui qui marque la fin du deuil, ces préparations constituent des mets marqués par la tradition.

Les différentes étapes des préparations et du fonctionnement mis en place à ce moment là sont particulièrement révélatrices de la manière dont les filles et les femmes sont amenées à interagir et à se partager les rôles. A ce titre, la description de la préparation du manioc avec les feuilles de puka nous paraît constituer une étude de cas intéressante.

Pour préparer ce plat qui n’est pas consommé quotidiennement, plusieurs groupes se mettent en place. Quelques jeunes filles, ou jeunes mamans, aidées par de nombreuses petites filles qui râpent les maniocs composent le premier. Pour la préparation de repas collectifs, les quantités sont très importantes et ce seul acte peut durer plusieurs heures. Une fois râpé, le manioc est pressé afin qu’il ne rende pas d’eau lors de la cuisson, puis mélangé avec des feuilles de puka préalablement broyées. Certaines femmes, secondées de jeunes filles vont alors le façonner en petits boudins, que des femmes plus âgées entourent d’une feuille de puka de plus grande taille. Ces feuilles sont ensuite attachées autour du manioc au moyen d’un lien en pandanus habilement fermé par un nœud spécial (qui n’est pas comestible et qui est retiré au moment du service). Seules les femmes plus vieilles le réalisent, cette étape nécessitant plus d’habileté que celles précédemment décrites. Une fois confectionnés, les maniocs enroulés dans les feuilles seront disposés dans une marmite contenant du lait de coco dans laquelle ils cuiront pendant plusieurs heures.

Il est ainsi très intéressant de noter que ce sont d’abord les femmes, seules, qui vont organiser et préparer les ingrédients ainsi que les instruments nécessaires. Au fur et à mesure que la préparation a lieu et que des filles, petites ou jeunes, viennent les aider, et sans que jamais personne n’interviennent pour distribuer ouvertement les tâches, ces dernières sont réparties en fonction de l’âge et de la difficulté présumée de ce qui est demandé. Les petites filles vont ainsi râper le manioc d’un geste simple et répétitif alors que des femmes plus âgées entoureront les petits boudins de manioc d’une feuille et les maintiendrons ensemble au moyen d’un fil de pandanus. Les femmes qui cuisinent ne disent pas ce qu’il faut faire car celles qui ne savent pas sont censées apprendre en observant celles qui connaissent88. Les femmes sollicitent par ailleurs les enfants plus petits pour aller chercher divers objets dont elles peuvent avoir besoin pour leurs préparations.

Figure 16

Figure 17

Figure 18

Figure 15, 16. Lors de la préparation du dernier repas du deuil, à Lekine, le 31 Mars 2007. Hélène (fig.15) et Note (fig.16) enroulent les feuilles de puka autour du manioc.

Figure 17. Les maniocs prêts à être cuits. Le 31 mars 2007 lors de la préparation du dernier repas du deuil à Lekine.

CHAPITRE 9 : CE QUE LES PRATIQUES DU TRAVAIL NOUS