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Chacune des aires coutumières de Nouvelle-Calédonie publie chaque année un calendrier (sous forme de calendrier mural ou d’agenda) portant son nom, agrémenté de photos de la région et souvent signé d’une personnalité locale. Ce calendrier est ensuite distribué aux membres des institutions locales et offert à d’autres.

En étudiant scrupuleusement le ‘calendrier IAAI’ de 2007, calendrier « officiel » d’Ouvéa si l’on peut dire, on peut constater que seules les fêtes chrétiennes sont mentionnées et qu’apparemment son caractère local n’implique aucunement la mention des événements propres à Ouvéa, pourtant récurrents et largement célébrés, que sont les fêtes patronales et la fête du lagon.

La lecture des textes de Leenhardt, A. Bensa, Tjibaou ou encore celui d’I. Leblic intitulé « Le chronotope kanak » effectuée en amont semblait nous avoir emmené vers l’idée que dans la société kanak, le temps était conçu d’une manière circulaire, et que les saisons, associées à des périodes agricoles, y constituaient des points de repères fondamentaux ; le calendrier de l’igname semblant à cet égard, former un ensemble de balises au sein de l’organisation de la société.

Concernant Ouvéa, il faut cependant remettre en cause, dans une certaine mesure un tel constat. Les observations empiriques effectuées au sein de la communauté locutrice du

fagauvea ne nous permettent pas, en effet, de dire que le temps n’est appréhendé que comme

Tout d’abord, les extrémités Nord et Sud de l’île, toutes deux de ferventes communautés catholiques, ne semblent utiliser qu’un seul comput, à savoir le calendrier chrétien, et ceux de 2004 et 2007 nous fournissent, à ce titre, des exemples intéressants.

Edité par l’annexe30 de la province des Iles Loyauté qui se trouve sur la commune d’Ouvéa dans la tribu de Wadrilla, et destiné aux habitants de l’île, ces almanachs sont systématiquement distribués à toutes les personnes employées à l’annexe de la Province de même qu’à celles de la commune. Signé du Maire, il a été pour 2007, à l’exemple des précédents calendriers, distribué à certains élèves des collèges de l’île.

La forme de ces calendriers ne présente a priori aucune différence majeure avec d’autres calendriers chrétiens. L’année y est divisée en 365 jours, eux même regroupés en douze mois allant de janvier à décembre, associant par ailleurs un saint chrétien à chaque jour. Les rares jours mis en évidence, au moyen d’une typographie particulière, sont les plus grandes fêtes chrétiennes, à savoir les jours de Pâques, de Noël et de la Pentecôte.

Aussi étrange que cela puisse paraître, on n’y trouve aucune référence aux fêtes et célébrations locales. On aurait en effet raisonnablement pu penser que des événements qui semblent constituer des dates importantes auprès de la population, tels la fête du lagon qui a lieu au mois de septembre chaque année, et dont la date est fixée d’une année sur l’autre, ou encore les fêtes patronales (dates fixes) propres à chaque tribu de l’île, auraient bénéficié d’un statut spécial au sein du calendrier local.

Les entretiens effectués nous permettent de réaliser que les dates des fêtes patronales (le jour et le mois), des baptêmes (le mois) et des confirmations (le mois) sont, à quelques exceptions près, bien connues de tous. En revanche, aucune référence n’est jamais faite aux récoltes, pas même à celle de l’igname. Plusieurs personnes m’ont d’ailleurs affirmé que sur l’île, l’igname n’était plus utilisée dans la coutume comme elle avait pu l’être jadis et ne constituait aujourd’hui plus qu’un tubercule parmi d’autres, contrairement à ce qui pouvait se passer sur l’île de Maré par exemple, ou encore dans la région de Canala sur la Grande Terre où il constituait toujours un élément central de la coutume, ce que j’ai pu vérifier.

30 Rappelons que le siège administratif de la Province des îles Loyauté se trouve à Lifou et qu’il n’y a à Ouvéa

On notera aussi que le calendrier IAAI présente le printemps, l’été, l’automne et l’hiver comme les quatre différentes saisons qui rythment l’année, en dépit du fait qu’elles ne sont absolument pas observables à Ouvéa, puisqu’on a affaire à un climat tropical qui ne comprend que deux saisons, la saison sèche et la saison des pluies. La température moyenne annuelle d’Ouvéa s’élève par ailleurs à 24°, rendant plus que métaphorique l’utilisation du terme « hiver ».

Enfin, le calendrier de l’aire IAAI arbore les mêmes jours fériés que ceux que l’on peut trouver en métropole : le 14 Juillet anniversaire de la prise de la Bastille, la fête des travailleurs du 1er mai (très largement célébrée à Ouvéa), le 8 mai, le 11 novembre,

l’Ascension, Pâques et Noël.

Ce calendrier ne mentionne pas non plus, sous aucune forme, les tragiques dates des 4 et 5 mai. Ces jours sont pourtant des jours de deuil collectifs pour la totalité de l’île. Les habitants rendent hommage aux victimes de la tragédie de « la grotte » de 1988, ainsi que la mort de ceux qui sont considérés par la population kanak comme les premiers libérateurs du peuple Kanak, J-M Tjibaou et Yéiwéné-Yéiwéné, assassinés au même endroit un an plus tard, lors de la levée du deuil de ceux que l’on appelle communément « les 19 ».

Outre les dizaines de drapeaux ‘Kanaky31’ qui flottent alors dans les airs, la journée du 5 mai, régulièrement déclarée « jour férié » par la commune (dans le cadre de la journée du maire) ou la province, est systématiquement commémorée : à l’échelle de l’île tout d’abord, par une cérémonie collective qui se situe à côté du monument de la tombe des 19 dans la tribu de Wadrilla, et à l’échelle des tribus ensuite, par des rassemblements autour de repas familiaux qui rassemblent les clans essentiellement. Notons qu’en 2007, ce jour ne fût pas déclaré férié, mais rares sont ceux qui se sont pour autant rendus au collège ou au travail, préférant souvent commémorer l’événement en famille, en compagnie de ceux venus pour l’occasion de Nouméa, comme les membres de l’Association des Familles de iaai32 par exemple. Sachant que la majorité des victimes de cette tragédie était originaire du Nord de l’île, on comprendra alors que les célébrations familiales soient d’autant plus nombreuses et particulièrement importantes dans ces zones-là.

Ainsi, qu’il soit sous forme d’agenda ou de calendrier cartonné mural, l’almanach IAAI est l’unique calendrier écrit de référence dans les extrémités Nord et Sud d’Ouvéa.

On a pu noter que les photos (locales) qui l’agrémentent ainsi que le mot du Maire de la commune en constituaient les seuls éléments spécifiques, toutes les autres caractéristiques relevant quant à elles d’un calendrier chrétien ordinaire.

Ajoutons que seuls ceux qui travaillent à la commune, à la province ou dans les associations locales semblent véritablement l’utiliser. Le besoin d’organisation écrite à moyen ou long terme ne semble donc pas être une nécessité de la vie de tous les jours pour ceux qui ne sont pas investis d’une fonction « administrative », « officielle », au sein de la communauté.

Le moyen écrit utilisé pour matérialiser le temps, ne laisse donc transparaître ici aucune forme de circularité quelle qu’elle soit, si ce n’est dans la répétition des jours de la semaine, des mois et des années. On sait cependant que l’utilisation de ce calendrier est très relative, ce qui nous incite à porter à présent notre regard ailleurs, à savoir sur la question de l’heure.