En 1977, les coopératives sont peu présentes, voire complètement absentes, dans certains secteurs. Philippe Nicolas relève les domaines suivants : les produits très élaborés visant une consommation finale, les produits nouveaux avec une forte élasticité de la demande par rapport au revenu, les fabrications intéressant les capitaux étrangers (chocolaterie-confiserie, biscuiterie-biscotterie, bouillons et potages), les produits à haute valeur ajoutée, avec une forte productivité et une rentabilité élevée111. Au contraire, les coopératives sont très
présentes dans les industries d’amont utilisant des matières premières agricoles, dansl’abattage – mais pas dans la transformation –, dans la conserverie et dans le lait. Avant 1968, cette présence se caractérisait par une activité lait de consommation. La situation évolue avec le dynamisme de SODIMA-YOPLAIT dans les yaourts et les produits frais.
Koulytchizky et Mauget font le même constat à l’orée du XXIe siècle, soit trente ans
plus tard112. Les groupes coopératifs agricoles sont plus présents que les entreprises non coopératives dans la collecte et la première transformation, et moins dans les industries apportant beaucoup de valeur ajoutée aux produits agricoles. En moyenne, en 2001, les entreprises coopératives agricoles maîtrisent 57% de la collecte, 35% de la transformation et
60% de l’approvisionnement.
Cette place fonctionnelle occupée dans l’industrie agroalimentaire est liée aux motifs de création des coopératives. Elles ont d’abord pour mission d’écouler et de valoriser les produits
agricoles de leurs adhérents. Leur implantation géographique explique leur réussite dans des territoires défavorisés ou difficiles, de fait délaissés des entreprises non-coopératives.
Les chiffres communiqués par Coop de France rendent compte de cette répartition dans les IAA en 2012. Dans la branche « Collecte et Approvisionnement », les coopératives sont majoritaires dans les différentes activités mise à part la meunerie [Fig.2.11]. Elles sont 185 entreprises au service de 300 000 adhérents grâce à 25 000 salariés. Elles occupent donc une place dominante dans les activités traditionnelles que sont la collecte de céréales ou la commercialisation des produits nécessaires aux cultivateurs.
111 Ibid.
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Figure I-11 - Répartition de l'activité « Collecte et Approvisionnement » (Source Coop de France, 2012)
Les entreprises coopératives occupent la même place dominante dans la collecte laitière [Fig.1.12]. On compte encore en 2012 260 entreprises liées au lait, qui sont en relation avec 45 000 adhérents via 20 500 salariés.
Figure I-12 - Répartition de l'activité « Lait » (Source Coop de France, 2012)
Les coopératives sont soumises à davantage de concurrence dans la branche « Bétail et Viande » [Fig.1.13]. Le secteur est plus restreint en termes d’entreprises, 140, d’adhérents,
83 000, et de salariés, 14 800. 74 70 40 70 66 66 26 30 60 30 34 34 0 10 20 30 40 50 60 70 80
Collecte Semences Meunerie Aliment Phytos Engrais
Coopératives Autres 54 66 51 46 34 49 0 10 20 30 40 50 60 70
Collecte Lait Beurre
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Figure I-13 - Répartition de l'activité « Viande et Bétail » (Source Coop de France, 2012)
Enfin, dans un secteur jusqu’à récemment très protégé, les coopératives assurent l’essentiel de l’activité d’insémination artificielle de 150 000 adhérents grâce à 52 entreprises et 3 000 salariés [Fig.1.14].
Figure I-14 - Répartition de l'activité "Insémination artificielle" (Source Coop de France, 2012)
Enfin, le tableau suivant nous permet d’avoir un aperçu des activités des dix-neuf premières coopératives agricoles françaises en termes de chiffre d’affaires consolidé en 2010.
Nous y retrouvons notamment SODIAAL [Tab.2.1].
29 63 30 21 31 34 71 37 70 79 69 66 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
Collecte Bovins Collecte Porcins Collecte Ovins Abattage Bovins Abattage Porcins Abattage Ovins Coopératives Autres 95 57 100 5 43 0 0 20 40 60 80 100 120
Bovins Porcins Caprins
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Tableau I-6 –Activités, marques et chiffre d’affaires consolidé (2010) des coopératives agricoles françaises (Source Coop de France)
Entreprises Coordonnées Activités principales Marques principales CA consolidé 2010 (M€)
INVIVO Paris
Céréales, approvisionnement,
nutrition animale Gamm Vert, Semences de France 4433
TERRENA Ancenis Polyvalente Gastronome, Douce France, Paysan Breton, Régilait, Tendre et plus 3871
TEREOS Origny Sucre Beghin Say, L’Antillaise, Origny,
La Perruche 3529
SODIAAL Paris Lait Yoplait, Candia, Riches Monts, Régilait, Entremont, Juragruyère 2631 (4000 avec Entremont)
CHAMPAGNE
CÉRÉALES Reims Céréales, approvisionnement meunerie, malt Delifrance, Francine, Campaillette 2443
AGRIAL Caen Polyvalente Florette, Créaline, Priméale, Écusson, Danao, Loic Raison 2261
AXÉRÉAL Bourges
Céréales approvisionnement
meunerie, malt Banette, Francine, Lemaire, Treblec 2205
TRISKALIA Landerneau Polyvalente Paysan Breton, Prince de Bretagne, Régilait, Ronsard 2200
GROUPE
EVEN Ploudaniel Lait, approvisionnement, nutrition animale Even, Paysan Breton, Kerguelen 1767
COOPERL
ARC
ATLANTIQUE Lamballe Viande Calidel, Brocéliande 1700
LIMAGRAIN Ennezat Semences, Bio-santé Vilmorin, Clause, Jacquet, Brossard 1349
MAÎTRES LAITIERS DU
COTENTIN Sottevast Lait Montembourg 1305
CECAB Vannes Polyvalente D’aucy, Louis Gad 1300
EURALIS Lescar Polyvalente Montfort, Rougié, Pierre Champion, Stalaven 1242
CRISTAL UNION
Corbeilles en
Gâtinais Sucre Daddy 1126
MAÏSADOUR
Mont-de-Marsan Polyvalente Delpeyrat, St Sever, Comtesse du Barry 1006
UNÉAL
Saint Laurent
Blangy Polyvalente 723
3A Toulouse Lait Boncolac, Yéo 709
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D. Conclusion
« On ne peut identifier les coopératives agricoles aux autres entreprises
agroalimentaires. Nées en régime capitaliste à partir d’une agriculture surtout familiale, elles restent indispensables, en tant qu’éléments spécifiques, au fonctionnement, à la cohésion et au développement d’un système complexe »113. Par contre, aujourd’hui, seul un petit nombre de
coopératives existe encore à l’état pur. Il convient d’examiner les changements qui se sont opérés et, sans doute, d’abandonner une analyse purement doctrinale. Pour René Mauget, un
nouveau type d’entreprise est apparu, conciliant capitalisme et acapitalisme, à étudier sur les faits et non plus exclusivement sur le respect de principes et valeurs114. Rappelons-nous que les coopératives sont filles de la nécessité, créées pour répondre de façon pragmatique à des problèmes concrets. La forme « groupe coopératif » peut, grâce aux filiales, éliminer des contraintes juridiques, ouvrir la coopérative sur des logiques différentes, diminuer les risques en diversifiant les activités et permettre une plus grande transparence dans les comptes et les résultats.
Cependant, les coopératives ne peuvent se réduire à devenir une nouvelle forme d’outil dans la panoplie de l’économie capitaliste ne serait-ce que pour conserver leur fonctionnement
particulier. La connaissance de l’histoire de la coopérative peut aider à satisfaire ce besoin de compréhension exprimé par les adhérents face au fonctionnement de leur outil.
Suite à la Révolution, l’État proclame la primauté de l’individu et interdit toute forme d’association par la loi Le Chapelier de 1791. Cependant, face à l’incapacité de la puissance publique d’assurer une protection contre les aléas de la vie et du travail, les premières sociétés
de secours mutuel se créent parmi les ouvriers, sur une base sectorielle (par usine) ou géographique (par quartier). Si ces dernières sont tolérées, les activités syndicales de revendication sont quant à elles interdites. Les premières coopératives, principalement de consommation, datent du début du XIXe siècle. « Filles de la misère », les coopératives naissent
de la recherche d’une solution à un problème très concret. Ainsi, les pionniers de Rochdale
cherchent à se soustraire des prix usuraires pratiqués par les marchands. Ils créent donc une structure correspondant à leurs besoins, une coopérative de consommation, dans laquelle les produits nécessaires sont achetés par la coopérative et revendus par elle dans ses magasins, à ses adhérents. Ils furent également les premiers à formuler explicitement les valeurs et les principes qui déterminent le comportement de la coopérative et des coopérateurs.
113 NICOLAS, op. cit., p. 55. 114 MAUGET, op. cit.
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D’autres initiatives avaient été prises, notamment, dans le domaine agricole, dans le Jura avec les premières fruitières, dont l’origine remonte au XIIIe siècle. On retrouve la même
volonté de répondre collectivement à un problème. L’organisation collective permet certes de réaliser des économies d’échelle. Elle augmente aussi la coordination entre les individus, voire entre les acteurs d’un même secteur, et contribue à réduire les incertitudes de l’environnement
des individus, ce que, d’une manière individuelle, ils ne pourraient faire. L’organisation
collective peut également proposer des services à ses membres, auxquels ils ne pourraient prétendre autrement, ou encore donner des accès à des marchés ou des ressources difficiles à
atteindre individuellement. L’organisation collective, grâce à sa composante démocratique,
garantit aux sociétaires un but commun pour satisfaire du même coup des besoins personnels. Depuis leur création, les coopératives agricoles ont dû faire face à de profondes
modifications dans leur secteur d’activité. Baisse du nombre d’agriculteurs, mondialisation des
échanges, spécialisation des exploitations, concurrence : autant de données que les dirigeants ont intégrées à leurs stratégies afin de pérenniser leur activité et continuer d’apporter leurs
services aux adhérents. Cependant, les coopératives agricoles sont confrontées à de nombreux
défis qui s’adressent non seulement à leur place dans le système économique mais aussi à la place des adhérents dans l’organisation. Les enseignements tirés de l’histoire grâce aux archives
et aux témoignages permettent d’éclairer l’organisation de l’action collective au sein des
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