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L’histoire des coopératives agricoles est souvent abordée du point de vue économique, afin de justifier leur efficience dans ce domaine. Outre cette dimension, la coopérative offre des différences avec les entreprises traditionnelles, notamment par la participation de ses adhérents à sa gestion. Ainsi, les dirigeants sont élus parmi les adhérents, et le mandat d’administrateur

est souvent vécu comme un engagement fort.

On entend ici par « dirigeant » celui qui, au sein de l'organisation, occupe un poste susceptible de lui conférer du pouvoir dans la conduite de la stratégie de l'entreprise. Dans notre cas, il s'agit principalement du Président et du Directeur général. Dans les coopératives

agricoles, ce couple est très important puisque symbole de l’alliance entre les adhérents et les

salariés. De manière plus large, on peut considérer que tous les administrateurs font partie de l'élite dirigeante, notamment parce qu'ils font souvent l'objet d'une cooptation et d'une élection. Cependant, leur implication est moindre que celle du Président et du Vice-président. Le conseil

d’administration constitue le centre décisionnel puisqu’il est en charge de la définition de la stratégie de l’entreprise. Ainsi, le conseil tient le rôle de conseiller du directeur général dans les

orientations à donner à la coopérative. Il apporte également, et cela est spécifique des coopératives, son expérience du terrain. Le président, élu parmi les administrateurs, est un

symbole pour l’organisation.

La comparaison entre les générations s’appuie ici essentiellement sur les histoires individuelles collectées lors des entretiens réalisés auprès de dirigeants passés et actuels.

Questionner l’engagement des jeunes élargit notre horizon et permet de préciser les formes qu’il prend et les chemins qu’il emprunte. Préalablement à ces exemples particuliers, nous

présenterons l’engagement tel qu’il a été décrit dans la littérature.

1. L’adhésion primaire

Si la mobilisation des intérêts, c’est-à-dire « toute forme de rassemblement se produisant

dans ou autour d’une organisation chargée de défendre ou de promouvoir un nouvel ordre de vie »294, signe le passage d’un groupe passif à un groupe actif, elle ne permet pas l’action

294 MANN Patrice, L’action collective. Mobilisation et organisation des minorités actives, Paris, Armand Colin, coll. « U Sociologie », 1991, p. 94.

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collective est impossible sans organisation. Les coopératives agricoles sont une forme particulière résultant de la mobilisation d’un intérêt collectif. Elles sont actuellement des organisations dont l’objectif est de défendre au mieux les intérêts de leurs adhérents en fonction de leur environnement, de leurs ressources et des opportunités qui se présentent à elles.

Diverses théories de l’action collective expliquent le passage à l’acte, l’adhésion de l’individu à un mouvement ou une organisation. Selon Patrice Mann295, la décision de s’engager résulte de la différence entre la perception de sa situation par l’individu et ce qu’il imagine qu’elle pourrait être. Selon lui, dans ce processus, on ne peut se fonder uniquement sur l’individu rationnel : la dimension subjective compte pour beaucoup dans la décision de

s’engager dans un mouvement ou une organisation. François Purseigle le rejoint dans cette définition. L’engagement est « une prise de conscience progressive par les jeunes de leur rôle dans la défense et la promotion d'une profession en mutation dans une société elle-même en mutation »296. Pour s’engager, l’individu doit penser que sa participation va contribuer à

changer sa condition. Les raisons d’adhésion à une coopérative peuvent alors être multiples, l’agriculteur ayant des motivations économiques ou éprouvant de la confiance envers

l’organisation. Ces deux raisons sont des motivations parmi d’autres, nous y reviendrons

ultérieurement.

L’engagement de l’individu dépend aussi de son entourage. Si les individus se trouvent rassemblés dans un même lieu et soumis aux mêmes conditions, de travail pour les ouvriers, de

vente ou d’achat de produits agricoles pour les agriculteurs, la mobilisation est facilitée par les

échanges qu’ils peuvent avoir. Les conditions peuvent paraître anormales aux individus, qui en discutent grâce à la proximité géographique. Une fois organisé, le groupe peut aussi être mené par une élite, une « avant-garde » qui organise l’action collective.

Les coopératives sont-elles une forme d’action collective ? Reprenant les origines des

coopératives, nous pouvons dire qu’elles ont été créées pour organiser une action concertée, pour atteindre un but clairement fixé. Ainsi, par exemple les caisses de Crédit agricole, encadrées par des notables ruraux ou urbains, avaient pour objectif de mobiliser l’épargne des

paysans pour financer leurs investissements. Ensuite, le fonctionnement de la coopérative

jusqu’à l’ouverture aux clients non-sociétaires ou aux associés non-coopérateurs est

typiquement celui d’une action collective dans le cadre d’une organisation, puisqu’une

participation financière est demandée : l’adhésion se fait par la souscription de parts sociales.

295 Ibid.

296 PURSEIGLE François, Les sillons de l’engagement : Jeunes agriculteurs et action collective, Paris, L’Harmattan, coll. « Débats jeunesse », 2011, p. 121.

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De plus, l’organisation œuvre à l’origine pour un groupe particulier, les agriculteurs, puis plus

largement pour un territoire, les campagnes. L’hétérogénéisation du sociétariat et

l’autonomisation de l’entreprise par rapport aux adhérents semblent avoir dilué les liens entre ces derniers. Par contre, la diversité des adhérents peut constituer un atout pour susciter de nouveaux engagements.

L’adhésion de nouveaux membres est cruciale pour les coopératives car le sociétariat

détermine la force économique et politique de l’organisation. Il est intéressant de se poser un certain nombre de questions concernant l’adhésion afin d’améliorer la connaissance de ce

processus. Le comprenant mieux, peut-être des outils peuvent-ils être mis en place pour

accompagner les individus vers ce premier pas dans l’engagement. Suivant François Purseigle,

« nous partirons de l'idée qu'il n'y a pas de refus générationnel d'inscription et de participation au sein du système professionnel […]. À quel âge les jeunes agriculteurs adhèrent-ils pour la première fois à une organisation professionnelle agricole ? L'adhésion peut-elle précéder ou suit-elle systématiquement l'installation ? Quelles sont les raisons qui conduisent à adhérer ? Ces raisons sont-elles différentes d'une organisation à l'autre »297 ?

2. L’engagement

Passée l’adhésion primaire, qui ne se concrétise pas toujours par une participation plus

active, l’engagement est synonyme de responsabilités. Quelles sont les motivations pour franchir la ligne entre participation passive et active ?

Les théories de l’action collective s’intéressent également à la prise de responsabilité. Les premières motivations qu’elles envisagent sont la possibilité et l’attrait pour l’adhérent d’exercer des responsabilités au sein de l’organisation. Si l’attrait est plus difficile à cerner, les possibilités d’engagement sont, elles, assez clairement identifiables dans une coopérative agricole. À l’occasion des assemblées générales, une partie du conseil d’administration est

réélue, généralement le tiers. Un adhérent a la possibilité de faire acte de candidature assez régulièrement. Une fois administrateur, le membre peut faire partie de commissions ou du bureau, voire briguer la présidence du conseil d’administration. Des postes d’administrateurs

stagiaires sont assez régulièrement proposés aux jeunes. Enfin, l’engagement s’exerce à différents niveaux territoriaux : local, départemental, régional voire national et européen, multipliant ainsi les postes disponibles.

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La question de la rémunération de ces positions se pose assez rapidement : l’organisation

peut-elle permettre à certains membres de tirer un revenu de leur engagement ? Max Weber fait la distinction entre la possibilité de vivre pour la politique, qui suppose d’avoir des ressources

personnelles, et la possibilité de vivre de la politique, qui suppose quant à elle une rémunération

des postes à responsabilité. Cela peut permettre d’envisager la démocratisation de la vie

d’organisations telles que les coopératives. En effet, nous avons remarqué au cours de l’histoire de la composition des conseils d’administration une diversification au profit des agriculteurs.

Si l’on peut compter sur une part de conviction, comme nous le verrons par la suite, la question

de la rémunération n’est sans doute pas étrangère à ce phénomène. En effet, les présidents

actuels sont au service de la coopérative entre trois et cinq jours par semaine, en parallèle de leur activité agricole. Une compensation financière, sans leur permettre de vivre de leur mandat,

couvre en partie les frais engagés pour assurer la conduite de l’exploitation pendant leur

absence.

Le rapport sur les coopératives et les mutuelles dirigé par Etienne Plimlin apporte des précisions quant à la question du bénévolat des administrateurs. « Le bénévolat des

administrateurs est généralement le principe affirmé. Il est réel pour l’essentiel dans le cas des

administrateurs locaux, pour lesquels seuls les frais de déplacement sont remboursés. Il est adapté pour les administrateurs régionaux et nationaux. Trois observations peuvent être faites

quant à l’indemnisation des administrateurs régionaux et nationaux. Premièrement, les

administrateurs dont la fonction nécessite plusieurs heures par semaine sont indemnisés à

hauteur de leur perte de revenu. […] Deuxièmement, des indemnités complémentaires peuvent

être attribuées aux administrateurs consacrant une part significative de leur temps et exerçant des responsabilités importantes. Le mandat exercé ne peut pas être une source d’enrichissement

pour le dirigeant. En aucune manière un dirigeant élu de coopérative ou de mutuelle ne peut disposer de parts de capital pouvant être assimilées à des stocks options »298. De ces remarques découlent une recommandation : « Le bénévolat est à maintenir dans toute la mesure du possible. En tant que de besoin, les indemnités versées aux administrateurs doivent être transparentes et communiquées à tous les membres du Conseil d’administration et à l’assemblée

générale en précisant autant que possible les critères appliqués, ce qu’implique la logique du

298 PFLIMLIN Etienne, Coopératives et mutuelles : un gouvernement d’entreprise original. Rapport du groupe de travail présidé par Etienne Pflimlin dans le cadre de l’Institut Français des Administrateurs., IFA,

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mandat électif dans un système démocratique. Un Comité de Conseil pourrait préparer les décisions correspondantes »299.

Comment ces étapes ont-elles été vécues par les dirigeants passés et actuels ? Comment sont-elles appréhendées par les jeunes ? C’est ce que nous allons nous efforcer d’illustrer

maintenant, en commençant par les présidents et administrateurs ayant pris leurs fonctions au

cours des années 1960 puis pendant les années 1990. Enfin, nous nous fonderons sur l’étude de François Purseigle sur l’engagement des jeunes agriculteurs aujourd’hui. Cette comparaison

historique nous permettra de comprendre les modalités d’accès aux positions de responsabilité

au sein des coopératives agricoles.

3. De la JAC aux JA, de l’engagement à la prise de

responsabilités, de la formation à l’action

La plupart des jeunes qui entrent au cours des années 1960 dans les conseils d’administration des coopératives ont participé à des fêtes, réunions ou autres actions organisées par la Jeunesse Agricole Catholique, avant de rentrer dans le syndicalisme agricole,

par la voie de la branche « jeunes ». Comment ces deux mouvements ont-ils influencé ces

jeunes ? Dans quel contexte pour l’agriculture ces mouvements évoluent-ils après la Seconde guerre mondiale? Comment conduisent-ils aux coopératives?

La Jeunesse Agricole Catholique est un mouvement créé en 1929 avec comme premier objectif la ré-évangélisation des campagnes. Elle s’implante dès le début des années 1930 dans la Loire, connaît un fort développement dans les zones de montagne auprès de la petite et de la moyenne paysannerie. Elle rassemble des jeunes, hommes et femmes, qui trouvent aux réunions des éléments de réflexion sur leur activité professionnelle et aux fêtes de nouveaux loisirs. La JAC connaît son âge d’or dans la Loire entre 1950 et 1955, en formant une deuxième génération aux questions de la modernisation agricole. La première génération, moins nombreuse et formée avant la guerre, est rentrée dans les organisations professionnelles, notamment au sein de l’Union du Sud-Est, et milite pour le développement des actions de formation300.

Trois concepts sont centraux dans la pensée jaciste. La liberté de l’homme est primordiale : la JAC permet au jeune de se définir comme acteur social301 alors que sur l’exploitation il se définit selon son rôle et son groupe. Deuxièmement, le jeune est invité à

299 Ibid.

300 VERCHERAND, op. cit., p. 69. 301 PURSEIGLE, op. cit., p. 27.