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Section 1 : L’analyse « cost of illness »: fondements et méthode

1. Quelle place pour les études COI dans le processus de prise de

La capacité de l’approche COI à fournir une aide aux décideurs a fait l’objet de nombreux débats. Le manque de standardisation de la méthode est une des raisons mais pas la principale. La méthode COI est critiquée car, contrairement aux méthodes coût-avantage, elle n’a pas de dimension comparative (DRUMMOND 1992a). L’approche COI est en réalité un outil essentiel pour la prise de décision que ce soit lorsqu’elle est utilisée directement ou à travers une étude coût-bénéfice.

1.1. COI et analyse coût-bénéfice

De façon générale, les méthodes coût-avantage présentent un intérêt réel pour l’analyse des actions et stratégies en santé au travail, car elles sont opérationnelles. Elles présentent en effet une méthodologie d’analyse et d’évaluation compatible avec la façon dont sont mises en œuvre les stratégies d’intervention en santé au travail. On distingue trois approches au sein des méthodes coût-avantage. Les études coût-efficacité mesurent les effets d’une stratégie de manière unidimensionnelle en unités physiques (nombre de cas de retour au travail, nombre d’années de travail gagnées par exemple), et produisent un ratio appelé ICER (Incremental cost effectiveness ratio) entre la différence de coût et la différence des effets de deux politiques concurrentes (HOCH et alii 2002, HOCH et DEWA 2005). Les études

coût-utilité produisent un ratio nommé ICUR (Incremental cost utility ratio) en intégrant au dénominateur une mesure de la qualité de vie des personnes concernées par la politique, dans la mesure où deux stratégies différentes peuvent entraîner des effets distincts en termes de douleur, souffrance psychologique, handicap. Enfin, les études coût-bénéfice nécessitent de traduire sous forme monétaire les effets d’une politique. Les bénéfices attendus sont ainsi convertis en coûts auxquels on soustrait les coûts de mise en œuvre de la politique. Si les bénéfices du programme excédent les coûts, le solde est positif et la politique « vaut la peine » d'être réalisée. Le choix entre ces méthodes coût-avantage dépend notamment du point de vue adopté par l’étude, qu’il soit celui de la société dans sa globalité, celui du système de protection sociale, de l’organisation dans laquelle est mise en œuvre la politique d’intervention ou celui du travailleur.

Si l’on se place dans le cas d’une politique publique de prévention mise en œuvre à l’échelle d’un pays, le point de vue retenu peut être celui de la collectivité dans son ensemble, ou de manière plus restrictive celui du financeur, la branche ATMP par exemple. Si l’approche coût-bénéfice est utilisée, il est possible de valoriser les bénéfices attendus de cette politique selon plusieurs méthodes. Dans le cas spécifique où les bénéfices sont valorisés en termes de coûts évités, c'est-à-dire en termes de coûts qu’il faudrait assumer si aucune prévention n’était instaurée, le rapport entre d’un côté les coûts de la mise en place de la politique et de l'autre les coûts potentiellement évités permet de dire si cette politique « vaut la peine » d’être menée.

La première étape de l’étude coût-bénéfice consiste à estimer les coûts engendrés tout au long de la mise en place de la politique de prévention. En amont, le diagnostic des causes des atteintes à la santé sur le lieu de travail entraîne des coûts qu’il convient de prendre en compte. L’instauration du dispositif de prévention génère des dépenses en équipements de sécurité, en formation ou encore en aménagement du lieu de travail. L’implantation est coûteuse en temps passé par les salariés, par le management de l’entreprise et par un éventuel intervenant extérieur. Les coûts ne s’arrêtent pas à la mise en place de la politique. De l’implantation du dispositif peut éventuellement résulter une baisse des cadences de production.

Les bénéfices peuvent être assimilés aux coûts évités par la politique de prévention. L’implantation d’un dispositif peut améliorer la qualité du travail, la productivité, faire diminuer l’absentéisme au travail, éléments qui seront à prendre en compte du côté des coûts évités. La seconde étape d’une étude coût-bénéfice consiste à évaluer les avantages produits

par la mise en place de la politique en termes monétaires. Il s’agit donc de mesurer le coût total des pathologies, de calculer la part de ces pathologies imputables au facteur de risque (grâce aux risques attribuables), et d’estimer les coûts qui pourraient être évités par la politique de prévention.

L’approche COI permet de mesurer les conséquences d’une maladie en termes monétaires et peut donc être mobilisée dans le cadre d’une étude coût-bénéfice (RICE 1967, HODGSON

1989). Elle permet d’évaluer les bénéfices de la politique de prévention en termes de coûts évités. Pour cela, le risque attribuable associé au facteur étudié est appliqué au coût total de la pathologie. Nous obtenons donc le coût imputable au facteur de risque, ce qui correspond au coût qui serait évité si l’exposition au facteur de risque était totalement supprimée.

Pour pouvoir utiliser ces données dans l’évaluation d’une politique de prévention, il manque cependant une étape. Il faut connaître l’efficacité de cette politique sur la santé des travailleurs, c'est-à-dire la part des cas évités imputable aux mesures de prévention mises en œuvre. C’est ici qu’intervient un problème majeur rencontré dans les évaluations économiques des politiques de prévention en santé au travail. Comme le soulignent NELSON

et alii (2005), peu d’études sur les politiques de prévention en santé au travail fournissent des

données sur le nombre de cas évités lié à la baisse de l’exposition au facteur de risque étudié. De manière générale, une politique de prévention peut diminuer l’exposition à un risque professionnel, mais plus rarement éradiquer ce risque sur le lieu de travail (sauf dans le cas par exemple de l’interdiction d’une substance dans les processus de production). Selon le cas étudié et la nature du facteur de risque, il est souvent abusif de considérer que la prévention entraînerait une économie de coûts égale au poids économique du facteur de risque étudié (SERRIER et alii 2009).

L’évaluation du coût d’une maladie peut servir dans une étude coût-bénéfice d’une politique de prévention en santé au travail mais n’en représente en réalité qu’une étape intermédiaire. Sans l’évaluation de l’impact de cette politique, l’analyse ne peut en effet pas être menée. Des tentatives – fructueuses – ont pourtant été conduites, notamment au Québec dans le domaine de la prévention tertiaire des troubles musculo-squelettiques (LOISEL et alii 2002). Mais il est vrai qu’étant donné les difficultés méthodologiques et la faible disponibilité des données, ces évaluations coût-avantage sont rares (SULTAN-TAÏEB H. 2011). Comme le montre la revue de littérature de LAMONTAGNE et alii (2008) sur l’évaluation des mesures de prévention du stress au travail, seulement 6 études sur les 90 retenues abordaient la dimension économique de l’intervention.

1.2. COI, un outil d’aide à la décision

L’approche COI constitue une méthode d’évaluation économique à part entière, qui peut être menée indépendamment de toute autre évaluation économique.

Dans le cadre de l’aide à la décision, le manque de dimension comparative des études COI a été critiqué par certains auteurs qui préconisent de privilégier les études mesurant à la fois les coûts et les avantages d’une politique (SHIELL et alii 1987, CURRIE et alii 2000). Pour résoudre le problème d’allocation des ressources, les approches COI et coût-avantage sont toutes les deux nécessaires. Elles fournissent des informations différentes et ne sont donc pas mobilisées pour les mêmes objectifs. En ce sens, ces deux approches ne sont pas opposables mais plutôt complémentaires. Une évaluation COI permet de repérer les zones de sous allocation dans lesquelles des études coût-avantage peuvent ensuite être menées pour choisir un programme selon un critère d’efficience (BEHRENS et HENKE 1988). L’approche COI permet également les comparaisons internationales et le suivi de l’évolution des coûts d’une maladie au cours du temps (DRUMMOND 1992a).

Le processus de décision est complexe et ne peut pas se résumer à la simple lecture d’un ratio. Des informations peuvent être politiquement pertinentes et intéressantes sans pour autant être une décision en soi (HODGSON 1989). Les études coût-avantage et COI ne sont d’ailleurs pas des techniques de prise de décisions mais plutôt des outils à la disposition du décideur (Rice 2000). Le décideur peut s’intéresser à programme de prévention qui ne présenterait pas le meilleur ratio coût-avantage ou à une maladie qui ne serait pas la plus coûteuse pour la société si celui-ci permet par exemple de diminuer les inégalités de santé ou de sauver davantage de vies. Les évaluations économiques fournissent une information au décideur qui choisit ensuite le programme à mettre en place en fonction de ces données mais aussi des objectifs qu’il a définis.

Une étude COI menée avec rigueur peut donc constituer un outil important d’aide à la décision (TARRICONE 2006, SEGEL 2006). Dans le cadre de notre analyse, l’utilisation de l’approche COI permet de mesurer l’impact sanitaire et économique de chaque facteur pour la société. Le coût estimé peut ainsi être utilisé pour réaliser des projections pour les années à venir et doit permettre des comparaisons internationales. L’évaluation du coût des cancers imputables à des facteurs de risque professionnels doit aider à l’allocation des ressources mais aussi pouvoir servir de base pour l’évaluation des politiques de prévention.