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Jean-Pierre Sueur, co-rapporteur sur la thématique « Organisation des forces de sécurité » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l’épidémie

Mardi 7 juillet 2020

M. Jean-Pierre Sueur, co-rapporteur sur la thématique « Organisation des forces de sécurité » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l’épidémie

de Covid-19. – J’associe à mes propos Jacqueline Eustache-Brinio, avec qui nous avons constaté combien le confinement puis le déconfinement ont représenté un enjeu pour les libertés publiques.

Nous avons constaté, pendant la phase de confinement, une certaine sécurité juridique, peu d’actes ayant été annulés par le juge administratif. Tel n’a pas été le cas pendant la phase de déconfinement. Dans des ordonnances du 18 mai dernier, le Conseil d’État a ainsi jugé illégale l’interdiction générale et absolue de réunion dans les lieux de culte, au motif qu’elle était disproportionnée par rapport à l’objectif de préservation de la santé publique – obligeant alors le Gouvernement à revoir son texte. Il a également suspendu, le 13 juin, l’interdiction générale et absolue de manifester sur la voie publique. Au niveau territorial, le nombre de recours a été assez faible : sur les 7 845 arrêtés préfectoraux pris entre le 11 mai et le 14 juin, il n’y a eu que 29 recours.

Nous avons examiné la gestion de la crise sanitaire par les forces de sécurité intérieure, c’est-à-dire la surveillance du respect des mesures de confinement, et l’impact de la crise sanitaire elle-même sur l’organisation des services et l’exécution des missions. Nous soulignons en particulier l’insuffisante protection sanitaire des policiers et des gendarmes, qui ont réalisé des contrôles sans être protégés eux-mêmes. Il faudra s’en rappeler pour l’avenir.

Nous avons constaté une mobilisation inédite des forces de sécurité intérieure, dès le 16 mars, sur l’ensemble du territoire. En moyenne, 100 000 policiers et gendarmes ont été affectés chaque jour à ces missions, jusqu’à la levée du confinement, le 11 mai. Le numéro d’appel de la police secours, le 17, a été très sollicité, les appels ayant augmenté de 50 %. La gendarmerie nationale a exercé des missions d’assistance aux personnes vulnérables, sortant du champ de ses missions traditionnelles.

Nous soulignons ensuite que l’organisation des services a su s’adapter dans l’urgence pour garantir la continuité des missions de sécurité. Le télétravail a été limité, seuls les personnels en mission de soutien y ont recouru ; 6 400 équipements informatiques ont été

déployés à cette fin dans la gendarmerie nationale, tandis que la police nationale a utilisé des équipements déjà déployés à cette fin, pour environ 1 000 utilisateurs.

La gestion des services opérationnels en temps de crise s’est traduite par deux adaptations : une priorisation des missions pour que les services de sécurité publique absorbent la surcharge liée au contrôle des mesures de confinement ; un aménagement des rythmes de travail des agents, avec une alternance entre deux équipes distinctes, pour que les agents ne se croisent pas. La police nationale a également mis en place une réserve opérationnelle, pour le remplacement ponctuel d’agents contaminés ou placés en autorisation spéciale d’absence.

Ces mesures ont reçu l’approbation des syndicats représentatifs de la police nationale que nous avons entendus. Ils ont cependant regretté l’impréparation des services de l’administration centrale et la précipitation avec laquelle les aménagements ont été mis en place.

Ces éléments nous font souhaiter une remise à plat des plans de continuité d’activité pour garantir, à l’avenir, une plus grande réactivité des services de sécurité intérieure.

L’accueil du public et l’assistance aux victimes ont été maintenus comme une priorité pendant le confinement. Dans la police nationale, 442 hôtels de police et commissariats sièges sont restés ouverts, et la gendarmerie nationale a maintenu l’ouverture de la quasi-intégralité de ses brigades territoriales. Cela n’a pas empêché les services de recourir aux outils numériques pour faciliter certaines démarches, limiter les contacts et assurer ainsi le maintien du service rendu. Les pré-plaintes en ligne ont fortement augmenté : elles sont passées de 1 814 en février dernier, à 2 374 en mars et 3 748 en avril, contre 1 521 en avril 2019. De même, la gendarmerie nationale a renforcé sa brigade numérique.

Les forces de sécurité publique ont également développé de nouveaux canaux de signalement pour les violences intrafamiliales et conjugales : élargissement du champ de la plateforme du 114, du portail de signalement des violences sexuelles ou sexistes, mobilisation du réseau des pharmaciens, pratique des appels d’initiative par la gendarmerie, c’est-à-dire des appels réguliers aux familles réputées connaître des difficultés. Ces nouveaux moyens de communication ont été fortement mobilisés pendant la période de confinement : entre le début du confinement et le 24 avril, le nombre de « tchats » concernant des faits de violences conjugales adressés à la police nationale a été multiplié par vingt par rapport à la même période en 2019, passant de 31 à 612. Ces nouveaux outils développés pendant la crise paraissent donc être tout à fait utiles, et il nous semble opportun de réfléchir à leur pérennisation.

Le déconfinement constitue, tout autant que le confinement, un enjeu majeur pour les forces de sécurité intérieure.

Une fragilité est tout d’abord apparue dans le contrôle des prescriptions imposées par le Gouvernement. Les services de sécurité intérieure, pour faciliter les contrôles des restrictions aux déplacements, ont fait un usage important des drones. Dans notre second rapport d’étape, nous avions alerté, tout en reconnaissant l’utilité de cet outil, sur l’absence d’encadrement légal de son usage et appelé à une réflexion sur son recours et sur le traitement des données collectées. Nos craintes ont été confirmées par une ordonnance du Conseil d’État le 18 mai dernier, estimant que le recours à des drones pouvait conduire à collecter des

données personnelles et relever, de ce fait, de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Faute de texte réglementaire spécifique, le Conseil d’État a estimé que ce recours à des drones portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, ce qui a eu pour conséquence une injonction pure et simple adressée à l’État d’en cesser l’usage. Cette interdiction a des conséquences après le confinement et rend nécessaire une régularisation du cadre d’utilisation des drones, pour sécuriser l’action des forces de sécurité intérieure. Nous nous félicitons qu’après des investigations, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) paraisse devoir prendre prochainement position sur la question.

Nous soulignons ensuite le risque d’un « rattrapage » de l’activité judiciaire après la période de confinement. Les services de police et de gendarmerie ont enregistré une forte baisse des crimes et des délits constatés pendant la période de confinement. Il y aurait dès lors un risque de voir les dépôts de plaintes augmenter brusquement et fortement, entraînant une surcharge des services de police judiciaire, déjà confrontés au retard accumulé dans les dossiers pendant le confinement.

Nous constatons enfin que les mesures de confinement ont fortement perturbé le recrutement et la formation au sein de la police et de la gendarmerie nationales. Des retards ont été pris dans l’intégration des agents contractuels, mettant à mal le remplacement des agents dont le contrat arrive à échéance cette année. La loi a cependant prévu d’autoriser un dépassement ponctuel des plafonds d’emplois de la réserve civile de la police nationale, pour mobiliser plus fortement les 6 800 réservistes au cours des prochains mois. Au-delà de cette mesure ponctuelle, nous soulignons l’enjeu de revaloriser cette réserve civile de la police nationale, moins développée que celle de la gendarmerie nationale et qui n’a pu, de l’avis des syndicats de policiers, être mobilisée pendant la crise à hauteur des besoins.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, co-rapporteure sur la thématique

« Organisation des forces de sécurité » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l’épidémie de covid-19. – Je ne peux que partager présentation que mon collègue vient de faire de nos travaux, qui est tout à fait complète.

Mme Nathalie Delattre, co-rapporteure sur la thématique « Prisons et autres lieux privatifs de liberté » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l’épidémie de Covid-19. – En l’absence de François-Noël Buffet, il me revient de vous présenter les travaux que nous avons consacrés aux lieux de privation de liberté. Nos auditions et le déplacement que nous avons effectués à la maison d’arrêt de Fresnes, le 12 mai dernier, ont largement confirmé les constats que nous vous avions présentés dans notre précédent rapport d’étape.

On pouvait craindre une flambée de l’épidémie dans les établissements pénitentiaires, qui sont des lieux clos et surpeuplés. Mais les mesures de prévention décidées rapidement – comme la suspension des parloirs et l’arrêt de la plupart des activités – ont permis de contenir la progression du virus. Le directeur de l’établissement public national de santé de Fresnes (EPSNF) nous a indiqué qu’il avait ouvert, à la demande de l’Agence régionale de santé (ARS), une « unité covid » de vingt-six places ; à aucun moment cette unité n’a accueilli plus de dix patients simultanément, ce qui témoigne de l’ampleur limitée de l’épidémie.

On peut regretter l’arrivée tardive de certains équipements de protection, notamment les masques, distribués à partir du 28 mars et d’abord réservés au personnel en

contact avec les détenus. Avant cette date, les agents qui venaient travailler munis de leur propre masque, le plus souvent de fabrication artisanale, étaient rappelés à l’ordre par leur hiérarchie, alors que le port du masque apportait une protection supplémentaire de nature à rassurer les surveillants comme les détenus.

Un deuxième motif de préoccupation tenait à la sécurité dans les établissements pénitentiaires : des tensions, voire des mutineries, avaient été observées au tout début du confinement ; cependant, le calme est revenu après une dizaine de jours et aucun incident notable n’est à déplorer depuis lors.

La période du confinement s’est cependant accompagnée d’une hausse des projections, qui consistent à lancer de la drogue ou d’autres produits par-dessus le mur d’enceinte pour que les détenus les récupèrent dans la cour de promenade. Ce phénomène nous a été décrit par le directeur de la prison de Fresnes, ainsi que par celui de la prison de Gradignan, en Gironde. Cela montre que le problème de la sécurisation du périmètre des prisons n’est toujours pas complètement résolu, en dépit de la création des équipes locales de sécurité pénitentiaires.

La crise sanitaire a fait augmenter le taux d’absentéisme, qui a dépassé les 20 % au sein du personnel pénitentiaire. Les personnes vulnérables ont été invitées à rester à leur domicile et beaucoup d’agents ont rencontré des problèmes de garde d’enfant. Nous sommes surpris que le personnel pénitentiaire n’ait pas été considéré d’emblée comme prioritaire pour l’accueil des enfants dans les écoles, vu l’impératif de continuité du service.

Ces absences n’ont pas empêché l’administration pénitentiaire de continuer à assurer ses missions essentielles, d’autant que l’arrêt de nombreuses activités a permis de redéployer les effectifs disponibles.

Ce sont malheureusement les activités les plus utiles à la préparation de la réinsertion des détenus qui ont été sacrifiées : travail en détention, enseignement, formation professionnelle ont été très perturbés, de même que l’activité des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) ont poursuivi leurs entretiens à distance, mais le manque de matériel adapté a souvent réduit leur efficacité. Il ne faut pas oublier les SPIP dans le cadre de la numérisation de la justice ; certaines directions régionales ont ouvert la voie en équipant leur personnel d’ordinateurs portables permettant une connexion à distance.

La sortie du confinement a débuté le 11 mai dans les prisons comme dans le reste du pays, mais les établissements pénitentiaires n’ont pas encore retrouvé leur fonctionnement d’avant la crise. Les parloirs ont rouvert, mais avec un seul visiteur à la fois, le port d’un masque et le respect des règles de distanciation physique. La prison de Fresnes a installé des séparations en plexiglas dans les boxes et une caméra thermographique mesure la température des visiteurs.

Les activités d’enseignement et de formation ont repris difficilement, compte tenu de la nécessité de travailler en petits groupes. À Fresnes, les enseignants ont refusé de reprendre leur travail dès le 11 mai par crainte des contaminations et la formation professionnelle ne devrait reprendre qu’à la rentrée de septembre. Le calendrier des enseignements en prison est le même que celui applicable à tous les établissements scolaires, ce qui signifie que les cours vont être interrompus pendant les deux mois d’été. Ne faudrait-il pas que l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) recrutent

leur propre personnel enseignant pour assurer une continuité de cette activité tout au long de l’année civile ? Ce serait bénéfique aux détenus, en particulier aux mineurs, qui ont souvent besoin d’une action de remise à niveau.

À la faveur de la crise sanitaire, le nombre de détenus a baissé d’environ 13 000 personnes, ce qui a placé le taux d’occupation des prisons autour de 100 %. Cette évolution a relancé le débat sur la régulation de la population carcérale. Devant notre commission, Adeline Hazan a plaidé, le 22 juin dernier, pour la mise en place d’un mécanisme pérenne qui conduirait à accorder, au cas par cas, des remises de peine à des détenus dont la libération ne présente pas de danger, lorsque le taux d’occupation dépasse 100 %.

Ce débat est légitime, mais cette approche conduit à considérer que le nombre de places de prison serait une donnée intangible et que la politique pénale devrait s’y adapter, sans considération pour les choix démocratiques de nos concitoyens ni pour l’évolution de la délinquance. C’est pourquoi le programme de construction de nouvelles places de prison et de rénovation d’anciens bâtiments conserve toute sa pertinence, à condition de s’accompagner d’un effort massif pour la formation et de la réinsertion des détenus. Une attention particulière devrait également être apportée à la prise en charge adaptée des personnes souffrant de troubles psychiatriques, qui sont trop nombreuses en détention, la réduction du nombre de lits ayant rendu leur accueil en hospitalisation complète souvent difficile dans les établissements de santé mentale.

J’aimerais évoquer également la situation des centres éducatifs fermés (CEF), gérés par le secteur public ou par le secteur associatif habilité (SAH). Leur taux d’occupation a diminué pendant la crise sanitaire, passant sous la barre des 50 % début mai, alors qu’il est habituellement de l’ordre de 80 %. Dans le contexte de la crise sanitaire, beaucoup de magistrats ont privilégié le retour dans leur famille des jeunes placés en CEF. Les éducateurs de la PJJ ont assuré un suivi régulier de ces jeunes, qui pouvaient être contraints de regagner le CEF en cas de difficulté. Les éducateurs se sont mobilisés pour proposer des activités culturelles et un soutien scolaire palliant l’arrêt de l’enseignement. Les activités extérieures, les visites d’entreprises par exemple, ont en revanche dû être interrompues.

La Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape), qui fédère de nombreux CEF, a regretté d’avoir eu trop peu de contacts avec la direction de la PJJ.

Les directeurs de centre se sont organisés avec peu de directives de leur administration centrale. S’il est normal que les CEF relevant du secteur associatif bénéficient d’une autonomie dans leur fonctionnement, il est regrettable que la PJJ ne se soit pas montrée plus attentive aux difficultés nombreuses qu’ils ont rencontrées durant cette période de crise.

Nous nous sommes enfin intéressés aux centres de rétention administrative (CRA), dans lesquels sont retenus les étrangers en situation irrégulière faisant l’objet d’une procédure d’éloignement. Habituellement très élevé, le taux d’occupation des CRA a été ramené autour de 10 % pendant la crise sanitaire, en raison de la fermeture des frontières et de la réduction du transport aérien qui a limité les entrées ainsi que les possibilités d’éloignement. Douze CRA sur vingt-cinq ont conservé une activité.

La police aux frontières a réussi à maintenir un petit nombre d’éloignements forcés, 96 entre le 17 mars et le 30 avril. C’est ce qui a permis au Conseil d’État de constater qu’il demeurait des perspectives raisonnables d’éloignement et, en conséquence, de rejeter la demande de fermeture de l’ensemble des CRA. Cette fermeture aurait par ailleurs posé des

problèmes du point de vue de la sécurité publique puisque la majorité des personnes retenues étaient des sortants de prison.

Le nombre de contaminations à la covid-19 est resté très faible, sauf au CRA de Paris-Vincennes où une dizaine de cas a été recensée.

Nous soulignons également dans le rapport l’impact de la crise sanitaire sur les procédures d’asile. La chaîne de l’asile a quasiment cessé de fonctionner à compter de la mi-mars, ce qui pose de sérieuses questions au regard de nos engagements européens et internationaux. L’enregistrement des demandes a cessé et il n’a repris qu’au mois de mai sur injonction du juge administratif. L’instruction des dossiers a été très perturbée, comme l’a reconnu, lors de son audition, le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Les entretiens de demande d’asile ont repris progressivement à partir du 11 mai, dans le respect des précautions sanitaires. Concernant les dispositifs d’intégration, il apparaît que l’enseignement du français dans le cadre du contrat d’intégration républicaine a parfois pu être poursuivi dans de bonnes conditions, les opérateurs étant familiers des dispositifs d’enseignement à distance.

Enfin, nous n’avons pas pu approfondir la question des établissements de santé mentale, qui sont aussi des lieux de privation de liberté puisqu’ils accueillent des malades hospitalisés sans leur consentement. Il est vrai que la manière dont ces hôpitaux se sont organisés pour faire face à la crise relève plus du champ de compétence de la commission des affaires sociales. Nous avons néanmoins veillé à apporter un éclairage sur la question du respect des droits des patients en nous appuyant sur les constatations effectuées par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dans son dernier rapport.

Mme Françoise Gatel, co-rapporteur sur la thématique « Collectivités territoriales, administration déconcentrée de l’État et accès aux services publics au niveau local » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l’épidémie de Covid-19. – Avec Pierre-Yves Collombat, que je remercie pour son compagnonnage pendant ces deux mois durant lesquels nous avons réalisé 23 auditions, nous avons examiné les réponses territoriales à la crise. On dit souvent que les crises sont synonymes d’opportunités : celle-ci nous permet de tirer des leçons pour l’optimisation de l’organisation de nos territoires, et notamment de l’État déconcentré, qui vont dans le sens des cinquante propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, formulées la semaine dernière par le président du Sénat.

La crise que nous avons traversée était évidemment sanitaire, mais les acteurs territoriaux ont très rapidement pris conscience qu’il s’agissait d’une crise globale, nécessitant une approche systémique : il fallait également prendre en compte les volets économique et social, ce qui nécessitait de contrarier notre modèle d’organisation, notamment au niveau de l’État territorial, dont l’administration fonctionne « en silos ».

Nous avons examiné la situation de quatre départements : le Morbihan, les Vosges, la Seine-Saint-Denis et la Martinique. La mobilisation des élus territoriaux et des agents a été extraordinaire, puisqu’il n’y a pas eu de défaillance des services publics – Pierre-Yves Collombat évoquera le cas particulier de La Poste.

Les élus ont fait preuve d’une très grande réactivité et d’une capacité d’inventer des réponses adaptées aux territoires, en concertation avec l’ensemble des acteurs locaux : collectivités, acteurs économiques et sociaux. Un exemple remarquable nous a été donné par

la préfecture du Morbihan : dans ce département qui a connu plusieurs foyers épidémiques, ou

« clusters », le préfet a mis en place une stratégie territorialisée avec une organisation en cercles concentriques, qui a permis d’adapter l’intensité des mesures applicables à la gravité constatée de l’épidémie. La task force installée auprès du préfet comprenait tous les acteurs locaux, et l’ensemble des niveaux de collectivités : région, département, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), communes. Une « usine invisible » a même permis, grâce à la mobilisation des couturières, de fabriquer des masques, une initiative largement accompagnée par la préfecture et les EPCI du territoire. Chaque sous-préfet s’occupait d’une thématique, ce qui permettait aux élus de ne s’adresser qu’à un seul interlocuteur. L’aide de préfets en retraite dans le département a également été sollicitée.

Au-delà de leur contribution au fonds national de solidarité, les régions ont créé dans leurs territoires leurs propres fonds, généralement abondés par d’autres collectivités territoriales. Elles ont également proposé aux entreprises touchées par la perte d’activité due au confinement divers instruments de financement et de soutien : prêts « Rebond », assistance juridique, etc.

Les départements se sont aussi particulièrement mobilisés : ils se sont même fait rappeler à l’ordre puisqu’ils sont intervenus en matière économique pour aider des entreprises et des artisans. On leur a rappelé que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, leur interdisait de s’occuper de ce qui ne les regardait pas, alors qu’ils faisaient preuve de réactivité… Il convient de s’interroger sur d’éventuelles délégations de compétences des régions vers les départements.

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont tombés dans la faille de la double tutelle de l’ARS et du département : les agences n’ont pas semblé dans l’immédiat extrêmement concernées et les départements ne pouvaient pas pleinement intervenir. Il faut réfléchir à l’élargissement, comme l’a proposé le président du Sénat dans ses cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales, du champ de compétences des départements en matière sociale. Il faudrait simplifier la tutelle des Ehpad, dont la gouvernance relèverait de l’autorité du seul département.

Quant aux services d’aide à domicile, je m’interroge sur la considération portée à leur personnel et sur la prime qui peut leur être ou non donnée, même si cela ne relève pas stricto sensu du champ de nos investigations.

Nous avons constaté des dysfonctionnements. Les plans de continuité d’activité étaient destinés à répondre à des catastrophes ponctuelles, et non durables, même s’ils ont constitué une réponse globalement intéressante.

Nous nous sommes interrogés sur l’organisation du télétravail, qui a largement concerné les agents territoriaux, notamment en termes de matériel mis à disposition, de sécurité de ce matériel et de responsabilité juridique de l’employeur. Il faudrait également réfléchir à une meilleure inclusion numérique, car l’outil numérique représentait un enjeu très important pour assurer la continuité des services publics.

Les récentes réformes territoriales ont conduit à un affaiblissement de l’État territorial. Or, il faut disposer d’une véritable task force placée sous l’autorité du préfet. Il serait bon d’éviter les éminents solistes qui n’ont pas de compte à rendre au chef d’orchestre qu’est le préfet : je veux parler des ARS, et peut-être, mais dans une moindre mesure, des