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1.1 Le mouvement brownien branchant et la marche aléatoire branchante

1.2.3 Physique statistique

En dehors des champs log-corrélés, la marche aléatoire branchante est apparue en physique statistique pour différentes raisons, dont deux sont présentées ci-dessous.

Verres de spin. Les modèles de verres de spin et de systèmes désordonnés sont l’objet d’une littérature gigantesque tant en physique qu’en mathématiques et il ne s’agit ici que d’expliquer rapidement les motivations de l’étude de la marche aléatoire branchante dans ce contexte.

Le modèle de verre de spin à champ moyen le plus élémentaire dans sa définition est le modèle de Sherrington–Kirkpatrick [SK75], voir les livres de Talagrand [Tal11a, Tal11b] et Panchenko [Pan13b] pour un traitement mathématique du modèle. On attribue à chaque configuration de spin σ ∈ {−1, +1}N le Hamiltonien

HN(σ) :=1 N N X i,j=1 gi,jσiσj,

où les gi,j pour 1 6 i, j 6 N sont des gaussiennes standard i.i.d., qui forment le désordre. No-tons que HN(σ) suit la loi N (0, N). On définit alors la mesure de Gibbs Gβ,N de température inverse β > 0 par Gβ,N := 1 Zβ,N X σ∈{−1,+1}N e−βHN(σ)δσ, où Zβ,N := P

σe−βHN(σ) est la fonction de partition. L’étude de ce modèle s’est concentrée d’une part sur le calcul de l’énergie libre

f(β) := lim

N →∞

1

NE[log Zβ,N],

permettant entre autres de comprendre le comportement asymptotique de E[maxσHN(σ)] qui apparaît naturellement comme un problème d’optimisation, et d’autre part sur la géométrie

de la mesure de Gibbs. Pour ce second point, on introduit l’overlap entre deux configurations σ et σ0, défini par qN(σ, σ0) := s E[HN(σ)HN0)] N = 1 N N X i=1 σiσi0[−1, 1],

de sorte que 1−qN soit une distance sur {−1, +1}N (qui ici est proportionnelle à la distance de Hamming). On s’intéresse à l’overlap entre des configurations σ1, . . . , σk tirées indépendam-ment selon Gβ,N, ce qui donne asymptotiquement une description géométrique de la mesure de Gibbs. Généralement, qN1, σ2) se concentre sur une seule valeur pour β petit5, mais peut prendre plusieurs valeurs pour β grand : si l’overlap est asymptotiquement supporté par k+ 1 valeurs, on dit que le modèle est de type k-RSB (pour replica symmetry breaking) et si son support asymptotique est continu, on parle de type full-RSB.

Dans leur article [SK75], Sherrington et Kirkpatrick proposent une première formule pour l’énergie libre obtenue par la méthode des répliques, mais elle n’est en fait correcte que pour β suffisamment petit. Leur approche est complétée par Parisi [Par79, Par80] qui obtient une formule pour l’énergie libre valide à toute température, grâce au procédé de replica symmetry breaking (voir le livre de Mézard et Montanari [MM09] pour une présentation claire de cette méthode non-rigoureuse). Pour faire son calcul, Parisi choisit un nouvel Ansatz pour appliquer la méthode des répliques, qui est une matrice avec une structure hiérarchique, dont le nombre de niveaux doit être arbitrairement grand pour obtenir la formule dans le cas du modèle de Sherrington–Kirkpatrick. Cela traduit le fait que c’est un modèle de type full-RSB : en effet, Parisi [Par83] remarque que le choix de la matrice dans la méthode des répliques a un lien avec la distribution de l’overlap sous la mesure de Gibbs. Enfin, une interprétation de ce choix de matrice avec structure hiérarchique en terme de géométrie de la mesure de Gibbs a été donnée dans [MPS+84a, MPS+84b] : ils conjecturent que la mesure de Gibbs limite doit avoir un support ultramétrique (pour la distance fournie par l’overlap, qui n’est pas ultramétrique sur l’espace des configurations tout entier). Une vingtaine d’années plus tard, la formule de Parisi pour l’énergie libre a finalement été démontrée par Talagrand [Tal06], puis l’ultramétricité du support de la mesure de Gibbs par Panchenko [Pan13a].

Avant d’en arriver à ces démonstrations rigoureuses, une étape importante dans la com-préhension du modèle de Sherrington-Kirkpatrick et des autres modèles à champ moyen a été l’introduction de modèles beaucoup plus simples, pour lesquels la structure ultramétrique est implémentée dès la définition, afin d’en comprendre ses implications. L’étude de ces modèles a conduit au développement de techniques et à l’introduction de nouveaux objets (comme les cascades de Ruelle [Rue87] ou le coalescent de Bolthausen–Sznitman [BS98]) qui ont joué un rôle important dans l’approche rigoureuse des modèles à champ moyen.

Le premier de ces modèles simplifiés est le random energy model (REM) introduit par Derrida [Der80, Der81], où l’on suppose que les énergies HN(σ) pour σ ∈ {−1, +1}N sont indépendantes de loi N (0, N). Étonnamment, le REM présente déjà de nombreux compor-tements intéressants, comme une transition de phase avec un phénomène de freezing, et il permet d’illustrer simplement le procédé de replica symmetry breaking (voir [MM09]). Pour ce modèle, on définit l’overlap comme

qN(σ, σ0) := E[HN(σ)HN0)]

N [0, 1], (1.24)

ce qui donne qN(σ, σ0) = 1σ=σ0. Pour β 6 βc, la mesure de Gibbs est portée par un grand nombre de configurations donc l’overlap est asymptotiquement toujours 0. Pour β > βc, ce 5. Ici pour β petit, la mesure de Gibbs est très éparpillée sur l’hypercube et l’overlap entre deux particules tirées selon Gβ,N est asymptotiquement nul.

sont les quelques configurations de Hamiltonien minimal qui portent la mesure de Gibbs : alors l’overlap peut prendre à la fois les valeurs 0 et 1. Le REM est donc un modèle de type 1-RSB, voir la Section 1.4.1 pour plus de détails.

Une version plus élaborée a ensuite été étudiée par Derrida et Gardner [Der85, DG86b, DG86a] : le generalised random energy model (GREM). Ce modèle est obtenu en prenant pour (HN(σ))σ∈{−1,+1}N une structure de covariance hiérarchique avec un nombre fixé d’étages k, voir la Figure 1.11. L’overlap est toujours défini par (1.24), mais il peut à présent prendre k+1 valeurs différentes. Cependant, en fonction de la taille des différents étages et des variances associées, le modèle peut être de type j-RSB pour tout 1 6 j 6 k et exhiber un phénomène de freezing progressif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . N(0, a2 1N) N(0, a2 2N) αN 1 nœuds αN2 nœuds 2 N nœuds étage 0 étage 1 étage 2

Figure 1.11 – Schéma illustrant la définition d’un GREM à deux étages. Il y a αN1 nœuds à l’étage 1 de l’arbre et chacun a αN2 enfants, avec α1α2= 2. À chaque arête est associée une gaussienne indépendante, de variance a2

1N entre les étages 0 et 1, et a2

2N entre les étages 1 et 2, avec a2 1+ a2

2 = 1. Les 2N noeuds de l’étage 2 représentent les configurations de {−1, +1}N. Chacune a pour Hamiltonien la somme des valeurs sur les deux arêtes qui mènent à la racine.

On peut finalement faire varier le nombre de hiérarchies avec N en considérant un arbre binaire comme structure de covariance. Si la variance ne dépend pas des étages, on obtient alors la marche aléatoire branchante binaire de saut N (0, a2) et c’est un modèle de type 1-RSB avec un comportement très proche du REM : les deux modèles ont la même énergie libre et la même distribution asymptotique de l’overlap (voir la Section 1.4.1). Mais, en permettant à la variance de dépendre de la hauteur dans l’arbre, on obtient un modèle plus général : le continuous random energy model (CREM) introduit par Bovier et Kurkova [BK04b]. En fonction du choix de la fonction donnant la variance en fonction de la hauteur dans l’arbre, ce modèle peut exhiber des comportements très différents et, entre autres, être de type full-RSB.

Polymères dirigés en milieux aléatoires. Les polymères dirigés en environnement aléa-toire sont un autre type de système désordonné introduit en physique par [HH85] et en ma-thématiques par [IS88, Bol89], voir aussi le livre de Comets [Com17]. Ce modèle décrit le comportement d’une longue molécule dans un milieu avec des impuretés, ici Zd+1 avec à chaque sommet x une énergie d’interaction ωx, où les (ωx)x∈Zd+1 sont i.i.d. Un polymère di-rigé de longueur n en dimension d+1 est une marche aléatoire simple dans Zdde longueur n, changée de mesure par les poids de Boltzmann associés à la somme des énergies d’interaction le long du chemin.

Derrida et Spohn [DS88] constatent que la marche aléatoire branchante correspond au cas d= ∞ des modèles de polymères dirigés : plus la dimension est grande, plus deux chemins qui se séparent ont peu de chances de se recroiser, ce qui donne à la limite une structure d’arbre. Cook et Derrida [CD90] montrent ensuite qu’en plongeant un arbre dans le réseau, on peut

obtenir des comparaisons entre la marche branchante et le polymère dirigé en dimension fixée, voir aussi [Com17, Chapitre 4]. D’autre part, certaines méthodes développées dans le cadre branchant se sont révélées utiles dans le cadre des polymères, en particulier pour étudier la fonction de partition du système qui, une fois renormalisée par son espérance, forme une martingale analogue aux martingales additives.