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Mouvement brownien branchant avec sélection

Une façon d’interpréter la position d’un individu dans le mouvement brownien branchant est de considérer qu’elle représente sa capacité à survivre et à se reproduire (sa valeur sé-lective ou fitness en termes biologiques) : cette valeur varie au cours de la vie à cause des mutations, puis est transmise aux enfants. Pour introduire un phénomène de sélection na-turelle, on ajoute à la définition du mouvement brownien branchant une règle de sélection éliminant les particules les plus basses. Comme l’attention se portera plutôt sur le maximum du BBM et pour correspondre au cadre du Chapitre 6, on considère, dans cette section uni-quement, un mouvement brownien branchant avec variance 1, taux de branchement 1 et loi de reproduction L telle que E[L] = 2.

1.5.1 Sélection par une droite

Kesten [Kes78] s’est intéressé au cas de la sélection par une droite : on fixe une droite et toute particule passant en-dessous meurt instantanément. Quitte à faire partir le mouvement brownien branchant de la position x > 0 et de lui ajouter un drift −µ, on peut supposer que la droite tueuse est l’axe des abscisses. Sous l’hypothèse E[L2] < ∞ (dont on peut se passer, voir [Mai12]), Kesten [Kes78] montre que la population s’éteint presque sûrement si et seulement si µ > vmax, où vmax:=2 est la vitesse du maximum du mouvement brownien branchant avec les paramètres choisis ci-dessus (sans drift). Voir la Figure 1.13.

t X(t) µ < v max x t X(t) µ≥ vmax x

Figure 1.13 – Deux réalisations du mouvement brownien branchant issu de x avec drift −µ. Le mouvement brownien branchant tué par une droite a été l’objet d’une riche littérature que nous ne détaillerons pas ici, concernant principalement la probablité de survie et, en cas d’extinction, la taille totale du processus ou le nombre d’individus tués par la barrière.

Pour ce modèle, en temps long, il n’y a que deux comportements possibles : l’extinction ou la croissance exponentielle de la population. Nous allons plutôt considérer dans la suite des règles de sélection permettant de garder une population de taille relativement constante.

1.5.2 Le N -mouvement brownien branchant

Soit N un entier positif. Le N-mouvement brownien branchant (ou N-BBM) est défini en ajoutant la règle de sélection suivante : dès qu’il y a plus de N particules, la plus basse est tuée. On note ce processus (XN

u (t), u ∈ NN(t), t > 0), que l’on peut coupler pour être inclus dans un BBM sans sélection. On suppose ici que les particules ont toujours au moins un enfant, sinon la population s’éteindrait presque sûrement. Ainsi, la population commence par grandir puis reste fixée à N individus. Alors, la sélection a pour effet de favoriser la montée des particules, voir la Figure 1.14. Cependant, elles ne peuvent pas monter aussi vite que le maximum du BBM sans sélection et on s’intéresse à la différence de vitesse entre ces processus.

t XN(t)

Figure 1.14 – Réalisation d’un N -mouvement brownien branchant avec N = 50.

Au delà de l’interprétation biologique, une des principales motivations pour étudier la vitesse du N-BBM vient de la littérature physique. L’équation F-KPP (1.22) décrit l’évolution de nombreux systèmes de particules dans l’approximation d’une population de taille infinie. Dans le but d’évaluer l’erreur commise en supposant la population infinie, Brunet et Derrida [BD97, BD99] s’intéressent à l’effet d’ajouter un seuil pour la solution u pour signifier qu’elle ne peut pas prendre de valeurs entre 0 et 1/N. Puis, dans [BD01], ils proposent de modifier l’équation F-KPP en ajoutant un terme de bruit d’ordre microscopique. Dans les deux cas, la question est l’impact de cette modification sur la vitesse de propagation du front pour les solutions. Une approche proposée pour cette étude est de travailler directement sur un modèle stochastique de population auquel on ajoute une règle de sélection empêchant la croissance illimitée de la population : le N-mouvement brownien branchant est l’un de ces modèles et son comportement a fait l’objet de conjectures très précises dans [BDMM06b].

La vitesse du N-BBM a été étudiée par Bérard et Gouéré [BG10], dans le cadre de la marche aléatoire branchante. Ils montrent que, pour N fixé,

1 t max u∈NN(t) XuN(t) (p.s.) −−−→ t→∞ vN

et que cette vitesse vérifie le développement asymptotique suivant, quand N → ∞,

vN =2 −√ π2

Ainsi, quand l’effet de la sélection disparaît, vN converge bien vers la vitesse maximale quand il n’y a pas de sélection, c’est-à-dire vmax=2, mais cette convergence est très lente, comme l’avaient prédit Brunet et Derrida [BD97]. La démonstration de Bérard et Gouéré repose sur une comparaison avec la sélection par une droite dans le cas presque-critique où µ ↑ vmax et des résultats de Gantert, Hu et Shi [GHS11] sur la probabilité de survie dans ce cas.

Maillard [Mai16] a obtenu une description précise de l’évolution du N-BBM sur une échelle de temps d’ordre (log N)3 sous une conditon initiale particulière. Des modèles de N-marche aléatoire branchante avec des sauts à queue plus lourde et donc des comportements différents ont été étudiés par [BM14, Mal18a]. D’autres travaux [DR11, DMFPS17] ont établi la convergence de la mesure empirique du N-BBM quand N → ∞ sur un intervalle de temps de longueur fixée.

1.5.3 Le L-mouvement brownien branchant

Dans leur article [BDMM06b], Brunet, Derrida, Mueller et Munier proposent différents modèles avec sélection qui devraient exhiber la même phénoménologie. L’un d’eux est le L-mouvement brownien branchant (ou L-BBM), défini en ajoutant la règle de sélection suivante, pour L > 0 fixé : dès qu’une particule se trouve à une distance au moins L de la particule la plus haute, elle meurt, voir la Figure 1.15. On note ce processus (XL

u(t), u ∈ NL(t), t > 0) et on peut se poser les mêmes questions que pour le N-BBM. Même si ici la population n’est pas fixée, Brunet, Derrida, Mueller et Munier [BDMM06b] conjecturent que le comportement doit être le même avec L = (log N)/2.

t XL(t)

Figure 1.15 – Réalisation d’un L-mouvement brownien branchant avec L = 4.

Dans le Chapitre 6 de cette thèse qui contient l’article [Pai16], cette correspondance est démontrée pour le premier ordre du développement de la vitesse du L-BBM, à comparer à (1.28).

Théorème 1.5.1. Pour tout L >0, il existe vL> 0 tel que 1 t max u∈NL(t) XuL(t) (p.s.) −−−→ t→∞ vL. Quand L → ∞, on a le développement asymptotique suivant

vL=2 − π2

22L2 + o 1 L2



.

Comme pour le N-BBM, la difficulté dans l’étude du L-BBM réside dans l’absence de propriété de branchement, qui est cependant préservée par la sélection par une droite. La

démonstration repose donc également sur des comparaisons avec la sélection par une droite dans le cas presque-critique et sur les travaux de Berestycki, Berestycki et Schweinsberg [BBS11, BBS13], sans toutefois ressembler à l’approche de Bérard et Gouéré pour le N-BBM, notamment à cause de l’absence de monotonie en fonction de la condition initiale pour le L-BBM.

Différentes conjectures de Brunet, Derrida, Mueller et Munier [BDMM06b, BDMM07] restent ouvertes pour le L-BBM et le N-BBM. L’une d’entre elles est l’ordre suivant dans le développement de la vitesse quand L → ∞ : on aurait

vL=2 − π2

22L2 +22Llog L3 + olog L L3



,

où l’ordre suivant serait dû à certaines particules, qui sur des échelles de temps d’ordre L3, parviendraient à monter à une distance d’environ 3

2log L au-dessus du reste du groupe et dont la descendance génèrerait un décalage de l’ensemble de la population. Ce scénario serait universel pour les modèles de propagation de front avec bruit, de manière analogue au correctif de Ebert et van Saarloos (cf. 1.26). L’ordre de grandeur de ce correctif a été obtenu pour l’équation F-KPP avec bruit par Mueller, Mytnik et Quastel [MMQ11] et, pour le N-BBM, les résultats de Maillard [Mai16] indiquent fortement que ce correctif devrait être le bon.

Une autre conjecture identifie la généalogie de ces processus : sur une échelle de temps d’ordre L3, la généalogie du L-BBM devrait converger vers un coalescent de Bolthausen– Sznitman [BS98] quand L → ∞. Un progrès dans cette direction a été réalisé par Beres-tycki, Berestycki et Schweinsberg [BBS13] qui montrent une convergence vers le coalescent de Bolthausen–Sznitman pour le mouvement brownien avec sélection par une droite dans le cas presque-critique. Cortines [Cor16] puis Cortines et Mallein [CM17, CM18] ont obtenu la généalogie de certains modèles exactement solubles de processus avec sélection.