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1.6 Le modèle de Derrida–Retaux

1.6.1 Modèle en temps discret

,

où l’ordre suivant serait dû à certaines particules, qui sur des échelles de temps d’ordre L3, parviendraient à monter à une distance d’environ 3

2log L au-dessus du reste du groupe et dont la descendance génèrerait un décalage de l’ensemble de la population. Ce scénario serait universel pour les modèles de propagation de front avec bruit, de manière analogue au correctif de Ebert et van Saarloos (cf. 1.26). L’ordre de grandeur de ce correctif a été obtenu pour l’équation F-KPP avec bruit par Mueller, Mytnik et Quastel [MMQ11] et, pour le N-BBM, les résultats de Maillard [Mai16] indiquent fortement que ce correctif devrait être le bon.

Une autre conjecture identifie la généalogie de ces processus : sur une échelle de temps d’ordre L3, la généalogie du L-BBM devrait converger vers un coalescent de Bolthausen– Sznitman [BS98] quand L → ∞. Un progrès dans cette direction a été réalisé par Beres-tycki, Berestycki et Schweinsberg [BBS13] qui montrent une convergence vers le coalescent de Bolthausen–Sznitman pour le mouvement brownien avec sélection par une droite dans le cas presque-critique. Cortines [Cor16] puis Cortines et Mallein [CM17, CM18] ont obtenu la généalogie de certains modèles exactement solubles de processus avec sélection.

1.6 Le modèle de Derrida–Retaux

Le modèle de Derrida–Retaux est un modèle hiérarchique introduit pour étudier un certain type de transition de phase en physique statistique. Il n’y a pas de lien direct avec la marche aléatoire branchante, mais nous verrons qu’un processus de Markov branchant se cache malgré tout dans ce modèle.

1.6.1 Modèle en temps discret

Motivations et définitions. Le modèle de Derrida–Retaux est un modèle jouet dont la définition provient de simplifications successives des modèles d’accrochages (pinning mo-dels). Cette famille de modèles de polymères a été introduite sous différentes formes et pour plusieurs raisons, entre autres par Poland et Scheraga [PS66b, PS66a] pour étudier la déna-turation de l’ADN et par Fisher [Fis84] pour le phénomène de mouillage. Voir les deux livres de Giacomin [Gia07, Gia11] pour un traitement mathématique de ces modèles. On considère un polymère représenté par une chaîne de Markov de longueur n dans Zd qui interagit uni-quement lors de ses passages en 0 : il y gagne une énergie d’interaction constante dans le cas homogène ou aléatoire dans le cas inhomogène. L’énergie d’une trajectoire est donc donnée par la somme sur les passages en 0 des énergies d’interaction et on note Zβ,n la fonction de partition de ce modèle. Deux phases apparaissent en fonction de la valeur de l’énergie libre

F(β) := lim

n→∞

E[log Zβ,n]

Si F (β) > 0, cela signifie que le polymère passe une proportion strictement positive de son temps en 0 et on parle de phase accrochée ou localisée. Au contraire, si F (β) = 0, alors le polymère passe une proportion négligeable de son temps en 0 et on parle de phase décrochée ou délocalisée. Une des questions principales sur ce modèle est la pertinence du désordre : est-ce que le fait que les énergies d’interaction soient aléatoires déplace le point critique et modifie le comportement de l’énergie libre autour de ce point ?

Pour répondre à cette question, on peut essayer de calculer la fonction de répartition du polymère par renormalisation, par exemple en le découpant en deux, mais cela donne une formule de récurrence assez complexe. Derrida, Hakim et Vannimenus [DHV92] proposent de travailler sur un réseau en diamant qui permet d’avoir la formule de récurrence suivante (en loi)

Z2n+1

(loi)

= Z2nZe2n+ b − 1

b , (1.29)

où Z2n est la fonction de partition pour un polymère de longueur 2n, Ze2n est une copie indépendante de Z2n et b > 1 est un paramètre fixé. Cette relation de récurrence fournit une structure de renormalisation hiérarchique qui facilite l’étude du modèle. La question de la pertinence du désordre a finalement été résolue, à la fois pour le modèle d’accrochage hiérarchique [LT09, GLT10b, GLT10a] et pour le modèle d’accrochage initial [Ale08, DGLT09, BL18a]. Cependant, une question reste ouverte : quel est le comportement de l’énergie libre près du point critique ? On sait déjà que la transition de phase est au moins d’ordre 2, mais il est conjecturé qu’elle soit en fait d’ordre infini [TC01].

Un argument en faveur de cette conjecture a été donné par Derrida et Retaux [DR14], en s’appuyant sur une version simplifiée du modèle d’accrochage hiérarchique défini par (1.29). En posant Xn := log Z2n, la relation de récurrence exprime Xn+1 en fonction de Xn+Xen. Derrida et Retaux proposent de remplacer cette fonction par ses deux asymptotes en −∞ et +∞ (voir la Figure 1.16), ce qui donne la relation de récurrence suivante

Xn+1(loi)= max(Xn+Xen− c1, c2),

avec c1 > c2, où l’on a simplifié la forme de la non-linéarité par rapport à (1.29).

Xn+Xen Xn+1 log b−1 b 

Figure 1.16 – Graphes des fonctions définissant Xn+1à partir de Xn+Xenpour b = 3/2 : en bleu pour le modèle d’accrochage hiérarchique et en orange pour le modèle de Derrida–Retaux.

Cependant, quitte à faire une modification affine des Xn, on peut se ramener au cas où c1 = 1 et c2 = 0. Nous nous restreindrons donc à ce cas en définissant le modèle comme suit. On part d’une variable aléatoire X0 de loi donnée sur [0, ∞) puis on définit par récurrence

Xn+1

(loi)

Xen et une copie indépendante de Xn et x+ := max(x, 0). Cela définit une famille de loi (L(Xn))n>0 que l’on appelle modèle de Derrida–Retaux. C’est un modèle hiérarchique : on peut construire Xn en se donnant un arbre binaire de hauteur n, en attachant des copies indépendantes de X0 sur les feuilles puis en descendant l’arbre des feuilles vers la racine en appliquant la formule de récurrence, voir la Figure 1.17. Notons que ce modèle a en fait été introduit trente ans plus tôt par Collet, Eckmann, Glaser et Martin [CEGM84], dans le cadre de la théorie des verres de spin.

Xn

X0(1)· · · ·X0(2n)

a b

(a + b − 1)+

n

Figure 1.17 – Schéma illustrant la construction de Xn à partir d’un arbre binaire. On se donne 2n copies i.i.d. de X0 que l’on attache aux feuilles de l’arbre. Puis la procédure est déterministe : en allant des feuilles vers la racine, on attribue à un nœud interne la valeur (a + b − 1)+si ses enfants ont pour valeurs a et b. La valeur de la racine est Xn.

Dans ce nouveau cadre, l’énergie libre est définie par

F:= lim

n→∞

E[Xn]

2n[0, ∞).

Comme précédemment, cela définit deux phases : la phase délocalisée ou sous-critique dans laquelle F= 0 et la phase localisée ou sur-critique dans laquelle F>0.

Remarque 1.6.1. L’existence de la limite dans la définition de l’énergie libre est facile à justifier. En effet, à partir de l’inégalité Xn+Xen1 6 Xn+16 Xn+Xen, on remarque que la suite (E[Xn]/2n)n>0 est décroissante et la suite (E[Xn1]/2n)n>0 est croissante. Ainsi, en plus de justifier l’existence de l’énergie libre, cela donne l’encadrement suivant, pour tout n > 0 :

E[Xn] − 1

2n 6 F6 E[Xn]

2n , (1.31)

ce qui fournit un contrôle non-asymptotique de la vitesse de convergence.

La transition de phase. Une première question consiste à classifier les lois initiales dans les deux phases. Dans le cas général, il ne semble pas y avoir de critère simple sur la loi de X0

pour dire si F sera nulle ou non. Cependant, Collet, Eckmann, Glaser et Martin [CEGM84] donnent un critère quand la loi de X0 est supportée par N := {0, 1, . . .}. Nous nous placerons donc toujours dans ce cas pour la suite. Leur résultat est l’équivalence suivante

F= 0 ⇔ Eh

X02X0i6 Eh2X0i< ∞. (1.32) La démonstration repose essentiellement sur une étude analytique de la fonction génératrice Gnde Xn : en particulier, il est facile de voir que le signe de 2G0

de la dynamique. Ils obtiennent également la dichotomie suivante pour le comportement asymptotique de Xn (si X0 n’est pas constante égale à 1) :

Xn 2n (p.s.) −−−→ n→∞ F si F>0, Xn (P) −−−→ n→∞ 0 si F= 0.

Le critère (1.32) permet de définir un cas critique : on dit que la loi de X0 est dans la phase critique si E[X02X0] = E[2X0] < ∞.

Afin d’étudier la transition entre ces phases, on fixe une mesure de probabilité ν sur N

telle que ν 6= δ1 et, pour p ∈ [0, 1], on considère la condition initiale

X0 (loi)

= pν + (1 − p)δ0.

On note F(p) l’énergie libre associée à cette condition initiale : notons que l’on a F(0) = 0 et F(1) > 0 car ν est forcément sur-critique. Le point critique est alors défini comme

pc:= inf{p ∈ [0, 1] : F(p) > 0}.

Le critère (1.32) permet de calculer explicitement la valeur de pcpour une loi ν donnée sur N. En particulier, on en déduit l’équivalence7

pc>0 ⇔ Z

N

x2xdν(x) < ∞. (1.33)

Derrida et Retaux [DR14] conjecturent le comportement suivant pour l’énergie libre au voi-sinage de pc, dès que pc>0,

F(p) = expK+ o(1) (p − pc)1/2



, p ↓ pc, (1.34)

ce qui implique une transition d’ordre infini, voir la Figure 1.18.

p F(p) pc 1 0 1 −log(p − pc) log(− log F(p)) 0 1 10 1 5

Figure 1.18 – Calcul numérique de l’énergie libre F(p) dans le cas où ν = δ2 (on a alors pc = 1 5), en l’approximant par E[Xn]/2npour n = 100 à gauche et n = 1500 à droite (la précision est explicite par (1.31)). À droite, la droite bleue en pointillés a une pente 1

2.

Des résultats rigoureux ont été obtenus récemment, toujours dans le cas où ν est supportée par N. Hu et Shi [HS18] se sont intéressés au cas où pc = 0, c’est-à-dire où (1.33) n’est pas 7. Ce critère reste vrai même dans le cas où ν n’est pas à valeurs dans les entiers [HS18, Proposition 1.2].

vérifié, en distinguant selon la queue de distribution de ν. Si ν([n, ∞)) ∼ ca−n avec a ∈ (1, 2) et c > 0, alors on a le comportement polynomial

F(p) = pβ+o(1), (1.35)

avec β = log(2)/ log(2/a). Si ν([n, ∞)) ∼ cn−α2−navec α < 2 et c > 0, alors on a F(p) = exp

−p−χ+o(1), (1.36)

où l’exposant χ = 1

2−α(0, ∞) peut-être à la fois inférieur et supérieur à 1

2. Dans un travail en préparation, Chen, Dagard, Derrida, Hu, Lifshits et Shi [CDD+19] traitent le cas où pc>0. Pour que le comportement (1.34) soit vérifié, il faut en fait supposer une hypothèse plus forte que (1.33) : siR

Nx32xdν(x) < ∞, alors ils démontrent que F(p) = exp

(p − pc)−1 2+o(1).

Si, au contraire, on a ν([n, ∞)) ∼ cn−α2−n avec α ∈ (2, 4) et c > 0, alors la transition est encore plus lisse :

F(p) = exp(p − pc)−χ+o(1) , avec l’exposant χ = 1 α−2 ∈(1 2, ∞).

Le cas critique. La valeur de l’énergie libre pour une condition initiale faiblement sur-critique est régie principalement par le temps perdu par la trajectoire en passant près de la variété critique. Il y a donc un lien fort entre la compréhension du comportement asymp-totique sur la variété critique et de celui de la transition de phase pour l’énergie libre [DR14, CDD+19]. Plaçons nous toujours dans le cas où X0 est à valeurs dans N. Suppo-sons que la loi de X0 appartient à la variété critique, c’est-à-dire E[X02X0] = E[2X0] < ∞, et intéressons nous au comportement asymptotique de Xn. Pour soutenir leur scénario de transition de phase d’ordre infini, Derrida et Retaux [DR14] prédisent par exemple que

P(Xn>0) ∼ 4

n2, n → ∞, (1.37)

alors que, dans le cas sous-critique (E[X02X0] < E[2X0] < ∞), la convergence vers 0 est exponentiellement rapide. Chen et al. [CDH+17] conjecturent également que Xnconditionné par Xn >0 converge en loi vers une distribution géométrique de paramètre 1

2, ainsi que le comportement asymptotique de différents moments, dont

E[Xn] ∼ 8

n2 et Eh

2Xni−1 ∼ 2

n, n → ∞. (1.38)

Cependant, peu de résultats rigoureux ont été établis dans le cas critique. Ils se trouvent essentiellement dans l’article de Chen et al. [CDH+17], qui montrent qu’il existe des constantes 0 < c1 < c2 telles que, pour tout n > 0,

c1

n 6 Eh2Xni−1 6 c2

n. Cela implique en particulier que P(Xn>0) 6 E[Xn] 6 c2

n, mais on ne dispose pas d’un meilleur contrôle pour l’instant pour ces quantités, ni de bornes inférieures satisfaisantes.

Rappelons la construction de Xnà partir d’un arbre binaire en Figure 1.17. Une question importante pour la compréhension du cas critique consiste à essayer de décrire comment

la masse est apportée jusqu’à la racine quand Xn > 0. Pour cela, on colorie en rouge les chemins allant des feuilles jusqu’à la racine le long desquels on n’a pas utilisé l’opération “partie positive” (autrement dit les chemins dont chaque nœud a soit une valeur supérieure à 1, soit un frère avec une valeur supérieure à 1). L’ensemble de ces chemins forme l’arbre rouge, voir la Figure 1.19. Cet arbre rouge joue un rôle important dans l’étude de la transition de phase par Chen et al. [CDD+19].

0 0 2 0 3 1 4 0 0 0 1 0 0 3 0 0

0 1 3 3 0 0 2 0

0 5 0 1

4 0

3

Figure 1.19 – Schéma illustrant la définition de l’arbre rouge.

Les résultats sur la version continue du modèle de Derrida–Retaux, présentés dans la section suivante et dans le Chapitre 7, permettent de formuler différentes conjectures sur cet arbre rouge dans le cas discret. Sachant que la racine de l’arbre binaire de hauteur n est rouge, on peut montrer8que l’arbre rouge muni des valeurs sur ses nœuds, considéré de la racine vers les feuilles, est un processus de Markov branchant inhomogène en temps. Après changement d’échelle du temps et des valeurs sur les nœuds par n, ce processus devrait converger vers un processus explicite de croissance-fragmentation inhomogène en temps sur [0, 1), dont le nombre de feuilles explose au voisinage de 1, voir la Figure 1.20. En particulier, le premier instant de branchement serait d’ordre n et sa loi après renormalisation convergerait vers une limite explicite, voir la Remarque 7.4.6 avec des simulations numériques pour soutenir le parallèle entre le modèle continu et le modèle discret. Finalement, il est aussi conjecturé que le nombre total de feuilles dans l’arbre rouge, ainsi que la somme de leurs masses, soient d’ordre n2.