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La classe d’universalité des champs log-corrélés

1.1 Le mouvement brownien branchant et la marche aléatoire branchante

1.2.2 La classe d’universalité des champs log-corrélés

t, βcσ2t − 3 c

log t + x

converge uniformément en x ∈ R, dès que la condition initiale est proche de 1 en −∞ et tend suffisamment vite vers 0 en +∞, voir [Bra83, Theorem 3]4. L’étude du processus extrémal par Arguin, Bovier, Kistler [ABK13] repose aussi sur le lien avec l’équation F-KPP. Voir le monographe de Bovier [Bov17] pour une approche du mouvement brownien branchant reposant sur ce lien. Notons finalement que Webb [Web11] a réussi à exploiter une version discrète de l’équation F-KPP pour étudier la marche aléatoire branchante.

Dans l’autre sens, on peut démontrer des résultats sur l’équation F-KPP grâce à une étude probabiliste du mouvement brownien branchant. Cependant, cette approche utilisée par Harris [Har99] et Kyprianou [Kyp04] a pour l’instant toujours été en retard par rapport aux arguments analytiques.

1.2.2 La classe d’universalité des champs log-corrélés

Carpentier et Le Doussal [CLD01] ont remarqué que différents résultats sur le mouvement brownien branchant, comme le phénomène de freezing ou le comportement des extrêmes, sont en fait partagés par une plus grande famille de modèles : les champs log-corrélés. Ainsi, les méthodes développées pour l’étude du mouvement brownien branchant se sont révélées utiles pour traiter d’autres modèles sans structure branchante apparente.

La marche aléatoire branchante. Commençons par expliquer pourquoi la marche bran-chante est un champ log-corrélé approximatif. Considérons une marche aléatoire branbran-chante dans laquelle chaque individu a 2d enfants qui font tous un saut indépendant de loi N (0, 1) par rapport à leur parent. Dans ce cas, pour u et v à la génération n, X(u) et X(v) suivent la loi N (0, n) et leur covariance est donnée par |u ∧ v| la génération de leur plus proche ancêtre commun. En outre, on peut voir l’arbre 2d-aire comme une manière canonique d’encoder les cubes dyadiques de [0, 1]d : les individus de la génération n correspondent aux cubes de côté 2−n et chacun se subdivise en 2d cubes plus petits. Alors, quand tout se passe bien, la covariance entre deux particules se comporte comme la valeur absolue du logarithme de leur distance dans [0, 1]d, mais il y a aussi des particules très proches complètement décorrélées, voir la Figure 1.8. On peut dire que la marche aléatoire branchante est un champ au plus log-corrélé.

Champs gaussiens log-corrélés et chaos multiplicatif gaussien. On considère un domaine D ⊂ Rd borné et un champ gaussien X = (X(x))x∈D centré avec un noyau de covariance de la forme

E[X(x)X(y)] = log+

1

|x − y|+ g(x, y), x, y ∈ D,

4. Du point de vue de la communauté probabiliste, l’approche de Bramson est donc considérée comme analytique : elle ne s’applique pas directement à la marche aléatoire branchante, ce qui explique que la conver-gence du minimum n’ait été obtenue que trente ans plus tard pour la marche branchante. Cependant, la méthode de Bramson pour traiter l’équation F-KPP reste assez probabiliste car elle repose en grande partie sur une représentation de Feynman-Kac des solutions. Pour une démonstration analytique de ses résultats voir [Lau85], puis récemment [HNRR13, NRR17].

0 1

2 1

2k−n

n − k

Figure 1.8 – Schéma illustrant l’association entre les feuilles d’un arbre binaire de hauteur n et les intervalles dyadiques de [0, 1] de longueur 2−n. Les deux particules bleues sont distantes de 2k−net leur covariance est n − k. Pour les particules oranges, ça se passe mal : elles sont très proches mais complètement décorrélées.

où g : D → R est continue. Le champ log-corrélé X est défini comme une distribution aléatoire et X(x) n’a pas de sens car sa variance serait infinie. Un cas particulier de tel champ est le champ libre gaussien en dimension 2, voir [She07] pour une introduction.

De manière analogue à la cascade multiplicative, qui est une mesure avec pour densité l’exponentielle d’une marche aléatoire branchante, on cherche à définir le chaos multiplicatif gaussien comme la mesure

Mγ(dx) := eγX(x)−γ22 E[X(x)2]dx,

mais cela n’a pas de sens car on ne peut pas prendre directement l’exponentielle d’une distri-bution. Kahane [Kah85] a donné un sens rigoureux à cette définition sous certaines hypothèses sur le noyau de covariance qui ont été affaiblies depuis dans [RV10, Sha16] entre autres, voir [RV14] pour une revue de la littérature. L’idée consiste à définir une régularisation Xε du champ X, obtenue par exemple en convolant X avec une approximation de Dirac [RV10], et de montrer la convergence suivante

Mγ,ε(dx) := eγXε(x)−γ22 E[Xε(x)2]dx (P)

−−−→

ε→0 Mγ(dx),

où la mesure limite Mγ est non triviale si et seulement si γ < 2d, voir [Ber17a] pour une démonstration élémentaire. Comme les cascades multiplicatives, le chaos multiplica-tif gaussien a servi à étudier le comportement intermittent et mulmultiplica-tifractal des turbulences [CRV10, CGRV17]. Notons qu’une construction du chaos multiplicatif gaussien sous forme de cascade multiplicative, mais avec un découpage aléatoire donné par les lignes de niveau du champ libre gaussien, a été établie dans [APS17]. Cependant, l’engouement de ces dernières années pour le chaos multiplicatif est principalement dû au rôle fondamental qu’il joue dans la définition rigoureuse de la théorie quantique de Liouville introduite en physique par Polyakov [Pol81] dans le cas de la dimension 2, voir [DKRV16, DRV16, HRV18, Rem18].

Certains travaux se placent dans le cas particulier des champs ?-scale invariants introduits dans [ARV13], pour lesquels la mesure limite possède une propriété d’invariance d’échelle, qui peut être vue comme l’analogue des propriétés d’autosimilarité des cascades multiplicatives. En outre, avec une régularisation bien choisie, on peut faire apparaître une structure bran-chante approximative et les masses Mγ,ε(A) d’un borélien A forment une martingale quand ε ↓0, qui joue le rôle de la martingale additive pour le mouvement brownien branchant.

Dans le cas critique γ = γc, de manière analogue à l’introduction de la martingale dérivée pour le mouvement brownien branchant, on peut essayer de renormaliser Mγc,ε pour obtenir

une mesure limite non triviale. Cette approche a été mise en place par Duplantier, Rhodes, Sheffield, Vargas [DRSV14a] qui montrent la convergence

Mε0(dx) := γcE h Xε(x)2i− Xε(x) eγcXε(x)−γ2c 2 E[Xε(x)2]dx (P) −−−→ ε→0 M0(dx), (1.23) puis, dans [DRSV14b], que M0 peut aussi s’obtenir par une renormalisation similaire à (1.15) :

r log1 εeγcXε(x)−γ2c 2 E[Xε(x)2]dx (P) −−−→ ε→0 M0(dx),

où log(1/ε) joue le rôle de t dans le BBM. Le fait que la limite ne dépend pas de la régula-risation a été montré par [JS17, HRV18, Pow18]. Une troisième construction de M0, en tant que dérivée de Mγ par rapport à γ en γc (de manière analogue à (1.17)) a été obtenue par Aru, Powell et Sepulveda [APS18].

L’un des comportements caractéristiques de la classe des champs log-corrélés est le dé-veloppement asymptotique du maximum ou du minimum avec un correctif en 3

2γclog t puis une loi Gumbel shiftée aléatoirement, comme dans le cas du mouvement brownien branchant. Pour certains champs log-corrélés, Madaule [Mad15] a ainsi obtenu la convergence suivante, analogue à (1.14) : sup x∈D Xε(x) −γclog1 ε 3 c log log1 ε+ 1 γclog M0(D) (loi) −−−→ ε→0 G,

où G suit une loi Gumbel (voir également [Aco14] qui montre la tension). Le phénomène de freezing a ensuite été démontré par Madaule, Rhodes et Vargas [MRV15].

Contrairement au cas de la limite de la martingale dérivée pour le BBM, on peut par-fois calculer explicitement la loi de M0(D) grâce aux propriétés d’invariance conforme du chaos multiplicatif gaussien, voir [FB08a, FLDR09] en physique et [Rem17, RZ18] pour une approche rigoureuse.

Le champ libre gaussien discret en dimension 2. Une autre approche des champs log-corrélés consiste à en considérer une version discrète définie sur un réseau approximant le domaine D. Dans ce contexte, l’un des modèles les plus étudiés est le champ libre gaussien discret en dimension 2. On considère D ⊂ R2 et on se donne une partie finie DN ⊂ Z2

de sorte que N−1DN soit une approximation de D. On note GN la fonction de Green de la marche aléatoire simple sur Z2 tuée en sortant de DN : GN(x, y) est le nombre moyen de passages en y pour la marche partant de x avant de sortir de DN. Alors, le champ libre gaussien discret (DGFF) sur DN est le champ gaussien (X(x))x∈DN centré de fonction de covariance GN. C’est un champ log-corrélé : en effet, pour N grand et loin du bord de DN, on a GN(x, y) ' 2

πlog N

kx−yk, voir la Section 5.A pour un énoncé précis.

Comme pour le mouvement brownien branchant, une grande partie de la littérature a porté sur l’étude des extrêmes du DGFF, qui possèdent un comportement analogue avec la correspondance t = log N2. Le premier ordre du maximum a été obtenu par Bolthausen, Deuschel et Giacomin [BDG01], puis le correctif logarithmique ainsi que la tension à l’ordre constant par Bramson et Zeitouni [BZ12] en s’appuyant sur [BDZ11]. Finalement, Ding et Zeitouni [DZ14] ont établi différents résultats sur la queue de distribution et la géométrie des extrêmes qui ont permis à Bramson, Ding et Zeitouni [BDZ16] de montrer l’analogue de (1.14) : la convergence vers une loi Gumbel avec un décalage aléatoire. Ces différents articles se placent dans le cas où D = (0, 1)2et DN = (0, N)2∩ Z2et s’appuyent sur une comparaison avec la marche aléatoire branchante. En effet, la propriété de Markov spatiale du DGFF permet de faire apparaître une structure branchante approximative : on découpe le carré DN

Figure 1.9 – Réalisation d’un DGFF sur DN= (0, N )2∩ Z2

avec N = 256, dont on a représenté la restriction à la croix centrale prolongée de manière harmonique sur DN avec condition nulle au bord. Si on ajoute à cette fonction des DGFF indépendants sur chacun des quatres petits carrés, on obtient un DGFF sur DN. J’en profite pour remercier Marek Biskup, dont je m’inspire librement pour ces représentations en 3D.

en quatre carrés plus petits séparés par une croix et alors le DGFF X sur DN peut être obtenu en se donnant quatre DGFF indépendants définis sur les petits carrés, auxquels on ajoute la restriction de X à la croix prolongée de manière harmonique sur DN avec condition nulle au bord, voir la Figure 1.9. Ce dernier terme est celui qui fausse la structure hiérarchique, qui n’est donc pas exacte pour ce modèle.

Ce comportement asymptotique du maximum, avec le correctif logarithmique et la conver-gence vers une loi Gumbel shiftée, a ensuite été établi pour toute une classe de champs gaussiens log-corrélés discrets par Ding, Roy et Zeitouni [DRZ17]. Cette classe contient par exemple le DGFF en dimension 2, mais également le modèle de membrane en dimension 4, comme l’a vérifié Schweiger [Sch19].

Récemment, Biskup et Louidor [BL16b, BL14, BL18b] ont montré la convergence du processus extrémal vers un processus ponctuel de Poisson décoré pour des domaines D géné-raux et mis en évidence un phénomène de freezing. Ils ajoutent dans le processus extrémal la localisation géométrique dans D des maxima locaux, qui fait apparaître à la limite une mesure aléatoire ZD qui est, à une constante près, le chaos multiplicatif critique M0 associé au champ libre continu (cf. (1.23)). Cette mesure ZD est l’analogue de la mesure construite sur la frontière de l’arbre généalogique à partir de la martingale dérivée, qui apparaît dans la description du processus extrémal du BBM [BH17, Mal18b]. Les résultats du Chapitre 5 de cette thèse s’appuyent sur la convergence du processus extrémal du DGFF et elle y sera donc présentée plus en détail.

Le comportement du DGFF dans la phase sous-critique est également similaire à celui du mouvement brownien branchant : Daviaud [Dav06] puis Biskup et Louidor [BL16c] ont décrit la taille et la géométrie des ensembles de niveau {x ∈ DN : X(x)  α log N2}pour α strictement inférieur à la vitesse du maximum. Le résultat est similaire à (1.6), avec un chaos multiplicatif gaussien sous-critique qui joue le rôle de la limite de martingale additive. Voir la Figure 1.10.

Polynômes caractéristiques de matrices aléatoires. Il a été montré que le logarithme du polynôme caractéristique d’une grande matrice aléatoire converge, pour certains modèles,

Figure 1.10 – À droite, réalisation de eβX, où X est un DGFF sur DN = (0, N )2∩ Z2

avec N = 256 et β = βc/2. À gauche, représentation des points supportant la mesure de Gibbs à température inverse β. Cette figure est à comparer avec la Figure 1.7 illustrant les cascades multiplicatives.

vers un champ log-corrélé, voir [HKO01] pour les matrices unitaires uniformes, [RV07] pour les matrices de Ginibre et [FKS16] pour les matrices gaussiennes hermitiennes. Il a donc été conjecturé dans [FHK12, FK14, FS16] que les comportements de la classe d’universalité de-vraient apparaître : convergence vers un chaos multiplicatif gaussien, développement asymp-totique du maximum, phénomène de freezing. Ces dernières années, de nombreux progrès ont été faits dans ce sens, une des difficultés majeures résidant dans le fait que le champ n’est ici qu’asymptotiquement gaussien. La convergence de certaines puissances du polynôme carac-téristique vers le chaos multiplicatif a été démontrée par [Web15, LOS18, NSW18] pour les matrices unitaires uniformes, [BWW18] pour les ensembles hermitiens invariants et [Lam19b] pour une famille plus générale de modèles. La loi des grands nombres pour le maximum a été établie par [ABB17] pour les matrices unitaires uniformes, [LP19] pour les ensembles hermi-tiens invariants et [Lam19a] pour les matrices de Ginibre. Paquette et Zeitouni [PZ18b] ont obtenu le correctif logarithmique pour les matrices unitaires uniformes et Chhaibi, Madaule, Najnudel [CMN18] ont démontré la tension à l’ordre constant pour une famille plus géné-rale de modèles. Leur démonstration s’appuye sur les méthodes développées pour l’étude du mouvement brownien branchant.

La fonction ζ de Riemann. Un premier lien entre l’espacement des zéros de la fonction ζ et celui des valeurs propres de l’ensemble gaussien unitaire a été conjecturé par Montgomery [Mon73], ce qui a ensuite conduit Keating et Snaith [KS00] à une autre conjecture sur les moments de la fonction ζ. Le comportement asymptotiquement gaussien de la fonction ζ sur la ligne critique avait été observé très tôt par Selberg [Sel46], mais ce n’est que récemment que Bourgade [Bou10] a montré des corrélations logarithmiques à une échelle mésoscopique. Ces différents indices ont mené à des conjectures très précises dans [FHK12, FK14] concernant le comportement du maximum du champ (log|ζ(1

2 + i(ω + u))|)u∈[−1,1] pour ω une variable aléatoire uniforme dans [T, 2T ], quand T → ∞. Ici, la correspondance avec le mouvement brownien branchant se fait avec t = log log T . Le premier ordre a été démontré récemment par [Naj18] sous l’hypothèse de Riemann et par [ABB+19] sans cette hypothèse. En

paral-lèle, Saksman et Webb [SW16] ont montré la convergence vers le chaos multiplicatif gaussien. Des progrès ont également été faits sur un modèle aléatoire de la fonction ζ, pour lequel le deuxième ordre du maximum a été obtenu [ABH17]. Les techniques venant des marches aléa-toires branchantes jouent un rôle important dans ces démonstrations, voir [ABH17, ABB+19].

Temps de recouvrement en dimension 2. Considérons un mouvement brownien sur une variété Riemannienne M compacte connexe sans bord de dimension 2. Pour ε > 0 et x ∈ M, on note Tε(x) le premier instant où le mouvement brownien entre dans la boule de centre x et rayon ε. Alors, (Tε(x))x∈Mforme un champ log-corrélé, dont le maximum correspond au temps de recouvrement de M par le mouvement brownien à ε près. Le comportement asymptotique du temps de recouvrement quand ε → 0 a été établi au premier ordre par Dembo, Peres, Rosen, Zeitouni [DPRZ04] (voir Schmidt [Sch18] pour une démonstration plus élémentaire) et le correctif logarithmique a été obtenu par Belius et Kistler [BK17] pour le tore (voir aussi Abe [Abe17] pour le cas discret). Finalement, Belius, Rosen, Zeitouni [BRZ17] ont montré pour la sphère la tension à l’ordre constant, après le correctif logarithmique. Encore une fois, la démonstration repose sur l’identification d’une structure hiérarchique là où il n’y en avait pas en apparence.