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AXE I THÉORIE ET ÉTAT DE L’ART

Chapitre 2 Propriétés physiques et chimiques des radioisotopes d’intérêt

2.1 Propriétés radioactives

2.1.1 Physique nucléaire

La définition d’un nucléide instable et les critères définissant cet état seront abordés dans cette section, ainsi que les unités de mesure permettant de compléter sa définition par sa quantification. Le rappel de quelques principes physiques de base concernant les nucléides, autrement dit les noyaux, permettra de mieux comprendre les causes de la radioactivité. [23]–[26]

2.1.1.1 Le noyau à l’échelle subatomique

Avant d’aborder les notions liées aux modifications apportées au noyau, il est nécessaire de préciser ce qu’est un élément, un atome, un noyau et un isotope. Ces différentes

dénominations sont reliées entre elles par les particules subatomiques que sont les neutrons, les protons et les électrons, dont les propriétés physiques sont résumées dans le Tableau 2.1.

Tableau 2.1 : propriétés des particules subatomiques. Particule

subatomique Masse (kg)

Masse

(MeV/c²) Charge (C) Charge (e)

Neutron 1,674928·10-27 939,88 0 0

Proton 1,672623·10-27 938,68 + 1,6022 +1

Électron 9,109389·10-31 0,511 - 1,6022 -1

Les neutrons et les protons composent le noyau, qui est entouré d’un nuage d’électrons, formant ainsi l’élément (Figure 2.1). Les composants du noyau sont également appelés nucléons. Ainsi, le noyau est défini par le nombre de nucléons (noté A) composé de la somme des protons (notés Z) et des neutrons (notés N). Un élément, noté X, peut donc être décrit tel que :

𝑋

𝑍 𝐴

Un élément se distingue d’un autre par son nombre de protons, ainsi Z est également nommé numéro atomique. Par conséquent, un élément peut être aussi bien un atome qu’un ion. Un atome est intrinsèquement neutre, ainsi le nombre de protons – particules chargées positivement – sera toujours égal au nombre d’électrons – particules chargées négativement. Ces derniers ne faisant pas partie du noyau, leur altération en nombre (absence ou présence) influe sur les propriétés chimiques de l’élément (cf. section 2.2.4).

Finalement, un élément peut être présent sous différents isotopes, résultant d’une configuration différente du noyau. Chaque isotope d’un même élément a toujours le même nombre de protons (numéro atomique Z identique), mais le nombre de neutrons varie (A différent), créant ainsi une modification de la masse de l’élément. Il est à noter que le terme nucléide est un terme décrivant un isotope particulier (A et Z définis) dans un état d’énergie nucléaire particulier (cf section 2.1.1.4).

2.1.1.2 Le noyau à l’échelle nucléaire

Figure 2.2 : modèle standard des particules élémentaires, adaptée [27].

Afin de comprendre la radioactivité, il est nécessaire de comprendre la nature des nucléons, notamment leur composition. À l’échelle nucléaire, selon le modèle standard de la physique des particules (Figure 2.2), il existe des particules élémentaires, appelées quarks, qui composent les nucléons. Il existe 6 types – ou saveurs – de quarks (haut, bas, charme, étrange, dessus et dessous, respectivement notés u, d, c, s, t et b) et un nombre équivalent d’antiquarks tel que ū. Chaque quark est défini par une charge électrique (+2/3·e ou -1/3·e) et par une charge forte selon la théorie de la chromodynamique quantique. Chaque charge forte est associée à une couleur (rouge, vert ou bleu) dont la somme donne une couleur neutre, « blanche », représentant l’absence de couleur. Cette charge forte permet d’expliquer les forces nucléaires, qui seront abordées dans la section 2.1.1.3. Il est à noter

que les quarks peuvent former des hadrons (neutron, proton, pion …) si, et seulement si, la somme de leur couleur est blanche.

Figure 2.3 : composition élémentaire des nucléons.

Ainsi, un neutron est composé d’un quark haut (ou up) et de deux quarks bas (ou down) tandis qu’un proton est composé de deux quarks haut et d’un quark bas, qui possèdent chacun une couleur différente (Figure 2.3). Ces fermions (particules de spin demi-entier, dont font partie leptons et quarks) sont reliés entre eux par un type particulier de boson (particule de spin entier), nommé gluon. Les bosons, contrairement aux fermions, sont des vecteurs de force ; autrement dit, ils représentent une énergie sous forme ponctuelle, tel que le photon plus communément utilisé en chimie. Il existe 8 gluons, possédant chacun une charge et une anticharge de couleur différente (par exemple bleu et antirouge), ce qui leur permet d’interagir avec les quarks. La force reliée au gluon sera explicitée plus loin dans ce document, avec les forces nucléaires.

2.1.1.3 La cohésion du noyau

La cohésion du noyau est due aux interactions entre ses composants et à leur équilibre. Les champs de forces applicables en physique classique que sont l’interaction électromagnétique (répulsion coulombienne) et la force gravitationnelle (attractive) ne permettent pas, à elles seules, d’expliquer la cohésion du noyau. En effet, en appliquant la force de gravitation (2e loi de Newton) à deux protons (ou nucléons) distants d’environ 10-15

m, nous obtenons une force d’attraction de l’ordre de 10-35 N (Équation 2.1) ; tandis que

l’application de la loi de Coulomb sur deux protons résulte en une force de répulsion de l’ordre de 102 N (Équation 2.2). Si ces seules forces étaient en jeu, les protons ne pourraient

pas coexister dans le noyau, car la répulsion due à leur charge serait trop forte. Afin d’expliquer ce phénomène de cohésion, il est nécessaire d’introduire une nouvelle force d’attraction spécifique au noyau, l’« interaction forte ».

𝐹𝑃−𝑃= 𝐺 ∙ 𝑚𝑃∙ 𝑚𝑃 𝑑2 ≈ 6,673 ∙ 10−11∙ (1,67 ∙ 10−27)2 (10−15)2 m3 kg∙s² kg² m² ≈ 10−35 N (ou kg m∙s²) 2.1 𝐹𝑒= 𝑘 ∙ |𝑞1∙ 𝑞2| 𝑑2 ≈ 9,0 ∙ 109∙ (1,602 ∙ 10−19)2 (10−15)2 N∙m² C² C² m²≈ 10 2 N 2.2

L’interaction forte est donc une force nucléaire d’attraction mise en évidence par un raisonnement par l’absurde, dont il est possible de définir quelques propriétés. L’une des plus importantes est que cette force agit uniquement dans un rayon de l’ordre de 10-15 m

autour du nucléon et est suffisamment puissante pour contrebalancer la répulsion coulombienne. La Figure 2.4 propose une représentation scalaire des différents composants de l’atome afin de mieux appréhender les notions reliées aux forces mises en jeu dans le noyau.

Cette interaction forte s’exerce entre les quarks composant les nucléons, grâce à un échange de particules élémentaires, les gluons, selon la théorie de la chromodynamique quantique. Grâce aux gluons, les quarks peuvent échanger leur charge de couleurs respectives, créant ainsi une dynamique et une cohésion dans le nucléon. Le fonctionnement des gluons est fréquemment associé à celui d’un ressort de par leurs propriétés similaires de liberté asymptotique. En effet, plus les quarks sont éloignés, plus l’interaction est forte ; à l’inverse, à très faible distance, il n’y pas ou peu d’interaction. Cette caractéristique est à l’origine du confinement des quarks à l’intérieur des nucléons.

Maintenant que nous avons déterminé qu’il y avait cohésion des nucléons par l’intermédiaire de l’interaction forte impliquant quarks et gluons, il faut prouver qu’il y a cohésion du noyau. La cohésion des nucléons entre eux est un effet secondaire de l’interaction forte. En effet, une dynamique similaire à celle des quarks est instaurée entre les nucléons, non pas par échange de gluons – les nucléons n’ayant pas de charge de couleur – mais par un échange de pions. Les pions sont des hadrons (cf section 2.1.1.2) composés de deux quarks aux couleurs complémentaires et il en existe trois formes selon la charge résultante de la combinaison des quarks : π+ (chargé +e), π- (chargé -e) et π0 (charge nulle). Un pion π0 ne

change pas la nature des nucléons, alors que l’échange d’un π+ permet de changer un

neutron en proton, et inversement pour π-. La dynamique d’échanges incessants à l’intérieur

du noyau assure sa cohésion, à l’instar des quarks pour les nucléons.

Finalement, il existe une dernière force nucléaire nommée interaction faible, mais qui ne joue pas de rôle primordial dans la cohésion du noyau. Cependant, cette dernière force est responsable de la radioactivité , qui sera abordée plus profondément dans la section 2.1.2.2. L’interaction faible fait intervenir trois types de bosons que sont Z0, W+ et W- (Figure

2.2), où Z0 possède une charge nulle tandis que W+ et W- possèdent respectivement une

charge de +e et -e. Les bosons W permettent de changer un quark haut en quark bas - et inversement - et leur présence est expliquée par le principe d’incertitude d’Heisenberg. La cohésion des nucléons est donc renforcée par cet échange constant de la nature des quarks, expliquant ainsi la faible portée de cette interaction faible, de l’ordre de 10-18 m.

En résumé de cette section physique nucléaire, la cohésion du noyau est assurée par la dynamique d’échange entre ses composants et à la présence de forces d’interaction que sont les deux forces nucléaires (forte et faible), la force électromagnétique et la force gravitationnelle.

2.1.1.4 Stabilité et instabilité nucléaire

Il a été défini dans la section 2.1 que la radioactivité est reliée à l’instabilité des nucléides. Maintenant que le terme nucléide a été défini, il est nécessaire d’aborder les conditions de leur instabilité, ou plus précisément les conditions de stabilité.

Il existe à ce jour 256 nucléides stables recensés, représentant 80 éléments du tableau périodique, signalés en noir dans la Figure 2.5. L’étude comparative des nucléides stables et instables permet de mettre en évidence cinq règles générales de stabilité.

Figure 2.5 : vallée de la stabilité, adapté [28].

Sur l’ensemble des isotopes stables, on remarque qu’un nombre de protons (Z) et de neutrons (N) identique permet d’obtenir des nucléides stables ; il s’agit ici de la première

de protons cause un effet de répulsion coulombienne trop important, réduisant ainsi le nombre de protons pouvant coexister. Cet effet est observable par l’augmentation du ratio N/Z qui varie de 1 pour les noyaux légers jusque 1,5 pour les noyaux lourds. Ces deux règles sont facilement observables en suivant l’inflexion de la courbe de la stabilité sur la Figure 2.5.

En regardant plus précisément à l’échelle du noyau, et plus particulièrement les effets de l’interaction forte, on constate qu’un nucléide est plus stable s’il est soumis à un nombre croissant d’interactions. Autrement dit, un grand nombre de nucléides permet de stabiliser les nucléides et donc le noyau ; ainsi, les noyaux les plus lourds sont, de ce point de vue, les plus stables. Cependant, ces noyaux « plus stables » restent soumis aux deux premières règles, limitant ainsi le nombre de noyaux lourds.

Les deux dernières règles proviennent de la nature quantique des nucléides. En effet, protons et neutrons présentent un spin ½, les rendant éligibles aux théories quantiques. Ainsi, il est possible d’appliquer la théorie des couches, non pas électroniques, mais nucléaires (ce qui constitue la 5e règle) et le principe d’exclusion de Pauli (la 4e règle) pour

remplir ces couches (Figure 2.6).

Selon le principe d’exclusion de Pauli, lors du remplissage des couches nucléaires, seuls deux nucléides peuvent être appariés. Par conséquent, lorsque combiné à la règle de Hund, un nombre pair de neutrons et de protons présente la configuration la plus stable, tandis qu’un nombre impair apporte une légère instabilité. Dans le cas où les nombres de protons et de neutrons sont tous les deux impairs, la stabilité est faible : seul 1,5% des noyaux stables ont cette configuration contre 59% pour les configurations pair-pair et 40% impair- pair.

Figure 2.6 : diagramme des niveaux d’énergie du noyau appliqué au 7Li.

L’observation des nucléides stables tels que 16O, 40Ca, 48Ca, voire 208Pb, signalés sur la

Figure 2.5, a mené à l’affinement du modèle des couches, devenant le modèle de Mayer et Jenson (Figure 2.6). Ces derniers ont défini un niveau supplémentaire de dégénérescence des niveaux d’énergie (par rapport au modèle des couches électroniques), fonction du couplage spin-orbite. Les niveaux d’énergie correspondent aux valeurs propres des équations de Schrödinger associées au système, auxquelles sont ajoutées des dégénérescences dépendant des nombres quantiques N1, 𝓈 et ℓ. L’énergie de chaque niveau peut être décrite par l’Équation 2.3, où D et C sont des constantes, respectivement de -0,0025 ħω et -0,1 ħω ; chaque niveau est donc défini par un nombre quantique j, somme de ℓ et 𝓈. Ainsi, il est possible d’écrire la configuration nucléaire fondamentale du 7Li tel que

(1s1/2)2p,2n (1p3/2)1p,2n, pouvant être représenté graphiquement tel que sur la Figure 2.6.

E = (N + 3

2) ℏω + Dℓ (ℓ+1) +C ℓ⃗ ∙ 𝓈 2.3

La différence d’énergie entre les niveaux permet de regrouper ces derniers en couches nucléaires. La somme de nucléons d’un même type présents dans ces couches correspond aux nombres 2, 8, 20, 28, 50 etc., également dénommés « nombres magiques ». Les noyaux présentant des couches complètes ou semi-complètes seront donc plus stables, tout en tenant compte des règles de stabilité précédentes.

Figure 2.7 : diagramme d’énergie exhaustif du noyau de 7Li [29].

À l’état fondamental, les nucléons occuperont la configuration nucléaire minimale en énergie. Cependant, les noyaux peuvent être également présents sous forme excitée, résultant d’une configuration nucléaire différente, où un ou plusieurs nucléons sont présents sur des couches supérieures. Ainsi, chaque noyau peut être décrit sous forme d’un diagramme énergétique (Figure 2.7) avec un nombre fini de niveaux d’énergie. Ce nombre limité provient de la limite du champ d’action des forces nucléaires, contrairement à la force de Coulomb qui n’est pas conscrite. Ces diagrammes d’énergie nucléaire sont à même d’expliquer les processus menant à la radioactivité (cf. section 2.1.2).

En conclusion, la radioactivité consiste en une modification du noyau, que ce soit en termes de structure et / ou d’énergie afin de remplir les conditions de stabilité. Ces conditions sont basées sur l’équilibre proton / neutron, l’interaction forte et la théorie des couches

nucléaires. Ainsi, la compréhension des forces de cohésion du noyau, des diagrammes d’énergie et des cinq conditions de stabilité nous permet d’expliquer les processus de désintégration et de radiation menant à la radioactivité, dans la limite des modèles et des théories actuelles.