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Les phrases passives Définition et propriétés Définition et propriétés

Dans une langue, les phrases peuvent être à la voix active ou à la voix passive. Dans un énoncé à la voix active, la plus couramment utilisée, le sujet de la phrase est celui qui fait l’action et il se situe en position préverbale. On le nomme alors « agent ». L’objet, lui, se situe juste après le verbe et il subit l’action. Celui-ci est nommé « patient » (ou « thème »). C’est ce qu’on appelle l’ordre canonique (sujet-verbe-objet). Dans une phrase à la voix passive, en revanche, les éléments sont déplacés. En effet, le sujet de la phrase n’est plus celui qui fait l’action, mais celui qui la subit. C’est le patient du verbe. L’agent se situe après le verbe et il est introduit par la préposition « par ». L’ordre canonique n’est donc plus respecté. Un exemple est donné en [3].

[3] Passage de la voix active à la voix passive a) Voix active :

[AGENT La maman] [VERBE coiffe] [PATIENT la mamie].

b) Voix passive :

[PATIENT La mamie] [VERBE est coiffée] par [AGENT la maman].

Il existe deux types de phrases passives : les longues et les courtes. Un exemple de phrase passive longue est illustré ci-dessus (3b). Elle comporte un patient et un agent introduit par la préposition « par ». Certaines phrases passives contiennent uniquement un patient et un verbe, c’est ce qu’on appelle les phrases passives courtes, par exemple : « Le petit garçon est porté. ».

Données dans le développement typique

Les recherches menées dans plusieurs langues indiquent que les enfants comprennent les phrases passives plus tardivement que les phrases actives (Armon-Lotem et al., 2015).

Maratsos, Fox, Becker et Chalkley (1985) ont évalué 80 enfants TD âgés de 4 à 11 ans.

L’objectif de leur étude était de déterminer l’âge à partir duquel les enfants comprennent les phrases passives, tout en considérant l’impact de la nature des différents verbes utilisés. Pour cela, ils ont utilisé une tâche de désignation d’image, incluant 6 phrases passives contenant des verbes actionnels (tels que laver, embrasser, pousser) et 6 comportant des verbes mentaux ou

« psychologiques » (tels que détester, aimer, voir). Les résultats de cette recherche indiquent que 85% des enfants de 4 ans comprennent les phrases passives ayant un verbe actionnel, alors que seul 34% des enfants de cet âge comprennent les phrases passives psychologiques. En effet, les enfants ont tendance à traiter ces énoncés dans leur forme active13. Cette difficulté persiste dans le développement et ce n’est qu’à partir de 9 ans que les compétences de compréhension des phrases passives mentales se stabilisent.

Plusieurs théories ont alors émergé afin d’expliquer ces difficultés de compréhension des phrases passives et principalement celles contenant un verbe « psychologique ». En 1987, Borer et Wexler (cités par Heshmati, 2013) ont émis l’hypothèse selon laquelle les difficultés d’interprétation des phrases passives proviennent d’un déficit dans la création de la chaîne d’argument (« The A-Chain Deficit Hypothesis »). En effet, le verbe fournit les rôles thématiques (par exemple, agent ou patient) aux éléments qui l’entourent. Dans une phrase passive, le patient se situe en position préverbale (voir illustration [3]). Les enfants n’arriveraient pas à construire les liens entre la position de cet élément (qui est à la place de l’agent habituellement) et son rôle thématique, ils interprètent alors le patient comme un agent du verbe (phrase active). Cette capacité à créer les liens entre les arguments est soumise à la maturation biologique et ne se développerait qu’aux alentours de 5 ans. Selon ces auteurs, les phrases passives courtes, en revanche, ne sont pas forcément soumises à la création de la chaîne d’argument. Effectivement, en anglais, le participe passé du verbe peut être interprété comme un adjectif, ce qui facilite sa compréhension. Cela expliquerait également pourquoi les phrases passives psychologiques seraient moins bien réussies, car ces dernières ne peuvent pas être imaginables et interprétées comme des phrases adjectivales (voir exemple [4]).

[4] Exemple de l’interprétation adjectivale

a) Phrase passive courte, actionnelle : « La fille est maquillée. » Le verbe « maquillée » peut être ici interprété comme un adjectif qui décrit l’état (statique) de la fille.

13 Par exemple, pour la phrase « Donald est aimé par Batman. » les enfants pointaient majoritairement l’image

« Donald aime Batman. ».

b) Phrase passive courte, psychologique : « La fille est adorée. » Ici, le verbe

« adorée » ne peut pas être interprété comme un adjectif qui décrirait un état statique imaginable.

Fox et Grodzinsky (1998) rejettent cependant cette hypothèse. Selon eux, les enfants de 4 à 5 ans comprennent la construction morphosyntaxique des phrases passives, à l’exception des passives psychologiques qui contiennent la préposition « par ». De fait, la stratégie adoptée par les enfants est d’appliquer le rôle d’agent à l’élément qui se trouve après le « par ». Avec un verbe actionnel, cette stratégie est correcte, c’est pourquoi la compréhension est facilitée.

En revanche, lors d’une phrase passive psychologique, la transmission du rôle thématique est erronée. L’élément qui suit le verbe est en effet un expérimentateur et non l’agent du verbe.

Fox et Grodzinsky (1998) émettent donc l’hypothèse qu’il existe un déficit dans la transmission du rôle thématique. Toutefois, une étude menée sur des enfants grecs (N = 40) de 3;6 à 6;6 ans réfute cette supposition (Driva et Terzi, 2007). Les résultats indiquent que les enfants ont démontré de bonnes performances malgré la présence de phrases passives psychologiques contenant la préposition « par ». En résumé, les enfants TD présentent un délai dans l’acquisition des phrases passives par rapport aux phrases actives. Toutefois les passives courtes sont plus rapidement acquises que les longues étant donné l’interprétation adjectivale possible, sauf pour celles contenant un verbe psychologique. Ces difficultés semblent provenir d’un déficit dans la création de la chaîne d’arguments.

Difficultés pour les SLI

Différentes études soulignent les difficultés de traitement des phrases passives chez les enfants SLI. Dans sa présentation de 2009, Armon-Lotem résume les différents résultats constatés jusqu’à présent : les SLI ont tendance à interpréter les phrases passives réversibles comme des phrases actives et ils ont de meilleures performances pour les passives courtes que pour les passives longues. Armon-Lotem (2009) présente notamment les résultats d’une étude de Rice, Wexler et Francois (2001). Ces derniers ont analysé les compétences en compréhension de phrases passives longues d’enfants SLI âgés de 5 ans (N = 17) et de 10 ans (N = 19). Les participants les plus âgés ont démontré des performances équivalentes aux TD de leur âge, alors que ceux de 5 ans ont un pourcentage de réponses correctes significativement inférieur à celui des TD de même âge. Selon Armon-Lotem, les SLI de 5 ans n’auraient donc pas acquis les connaissances nécessaires pour comprendre les mouvements syntaxiques

inhérents aux structures passives (hypothèse de la chaîne d’argument). Van der Lely (1996) a également évalué les compétences de 15 enfants SLI âgés de 9;3 à 12;10 ans en comparaison à celles d’enfants TD de 5;5 à 8;9 ans. Dans cette étude, six verbes actionnels ont été utilisés dans différents types de phrases : phrases actives, phrases passives longues, phrases passives progressives (le verbe étant au présent continu) et phrases passives courtes (permettant une interprétation adjectivale). Les enfants devaient pointer l’image correspondant à la phrase entendue (parmi quatre). En ce qui concerne les phrases actives, les SLI ont démontré des performances similaires aux TD. Pour les passives longues et les passives progressives, en revanche, les enfants SLI ont présenté un pourcentage de réponses correctes significativement plus faible que tous les enfants TD. Cela démontre que les performances dépendent effectivement de la structure syntaxique des phrases, les plus complexes étant moins bien réussies. Lors de la présentation des phrases passives courtes, les enfants SLI ont préférentiellement choisi l’image qui représentait une interprétation adjectivale de la phrase, c’est-à-dire que seul l’agent était dessiné dans une position statique (73%). Cela signifie que cette population a tendance à analyser le verbe comme étant un adjectif, ce qui rend la phrase syntaxiquement moins complexe. Les TD ont, eux aussi, produit une majorité de réponses adjectivales (51 à 62%), toutefois ce taux, moins élevés que celui des SLI, démontre que les contrôles ont été sensibles à l’ambiguïté des phrases passives courtes. De plus, selon les résultats de cette recherche, les enfants SLI peuvent également interpréter les verbes des phrases passives longues comme étant des adjectifs, alors que cela est erroné. Ces données soutiennent l’hypothèse de Borer et Wexler (1987) concernant la nécessité de développer les compétences à créer des liens entre les arguments d’une phrase pour pouvoir interpréter une phrase passive longue. Selon Van der Lely, les enfants SLI ne possèdent pas cette compétence, c’est pourquoi ils répondraient de façon erronée aux phrases passives longues. Enfin, Marinis et Saddy (2013) ont évalué la compréhension de phrases actives et passives de 23 enfants SLI (M = 7;0 ans) et 28 enfants TD (M = 7;4 ans). Les SLI ont présenté des performances significativement inférieures à celles des TD tant pour les phrases passives que pour les phrases actives. Les faiblesses grammaticales des enfants SLI semblent également affecter la compréhension des structures plus simples, cependant ces difficultés sont moins prononcées que pour les structures complexes. En synthèse, les recherches antérieures indiquent donc toutes que les enfants SLI présentent des difficultés avérées dans le traitement des phrases passives.

Difficultés pour les ASD

Il existe actuellement très peu de recherches qui se sont intéressées à la compréhension des phrases passives chez les enfants ASD. Toutefois, les quelques études existantes soulignent les difficultés présentées par cette population avec ce type de structure. Une étude non publiée de Perovic, Modyanova, Hanson, Nelson & Wexler (2007) a évalué les performances d’enfants autistes anglophones (N = 11, M = 11 ans) sur une tâche de désignation d’images. Les items étaient constitués de phrases actives et de phrases passives longues et courtes. Deux types de verbes ont été sélectionnés : des verbes actionnels et des verbes psychologiques. Les ASD ont démontré des résultats significativement inférieurs à ceux des TD qu’ils soient appariés sur leurs performances verbales (M = 6 ans) ou non-verbales (M = 5 ans), et cela, pour tous les types de passives ainsi que tous les types de verbes. Les ASD ont donc, selon Perovic et ses collaborateurs, des déficits spécifiques en grammaire. Terzi, Marinis, Kotsopoulou et Francis (2014) se sont intéressés aux performances grammaticales d’enfants ASD grecs de haut niveau (QI non-verbal supérieur à 80) afin de déterminer si les déficits grammaticaux retrouvés par Perovic et al. (2007) sont bien spécifiques à l’autisme et non dus à un retard intellectuel existant chez certains ASD. Cette étude incluait 20 enfants ASD âgés de 5 à 8 ans (M = 6;8 ans) et 20 enfants TD appariés en âge chronologique, évalués sur leur performances morphosyntaxiques grâce à une tâche de désignation d’image. Cette tâche évaluait, entre autre, l’interprétation de phrases passives courtes. Les résultats de cette recherche indiquent que les ASD se situent au même niveau que les enfants TD dans l’interprétation des phrases passives courtes. Le déficit révélé par Perovic et ses collaborateurs (2007) n’a donc pas été retrouvé dans cette étude. Afin de poursuivre cette recherche, Heshmati (2013) s’est intéressée à la compréhension de phrases passives en langue perse chez des ASD de haut niveau (HN) (N = 5, M = 8;6 ans) et de bas niveau (BN) (N = 5, M = 9;1 ans). 10 TD âgés de 5 à 6 ans (M = 6;2 ans) ont également été inclus dans cette étude. Pour évaluer leurs compétences, Heshmati a adapté une tâche de désignation d’image provenant du programme COST Action 33. Celle-ci contient des phrases passives longues et courtes ainsi que des phrases actives (seuls des verbes actionnels ont été utilisés). En ce qui concerne les ASD HN, ceux-ci ont présenté de très bonnes performances pour les phrases passives courtes et longues (avec des scores similaires à ceux des TD). En revanche, les ASD BN ont démontré des performances significativement plus faibles que les deux autres groupes pour les phrases passives longues et courtes, ces dernières étant d’autant plus faibles. Les ASD de bas niveau présentent donc des déficits dans la compréhension de phrases passives (tel que cela avait été proposé par Perovic et al., 2007 pour tous les ASD)

alors que les ASD de haut niveau se comportent comme les enfants TD de 6 ans. Toutefois, d’autres recherches sont nécessaires afin d’approfondir ces conclusions.

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