II. Mise en place de l’interaction hˆ ote-pathog` ene chez les bact´ eries
3. La phase de multiplication
Une fois install´e au niveau des sites favorables `a sa survie, l’agent pathog`ene
va se multiplier, pour atteindre des tailles de population tr`es importantes. Les
facteurs de virulence sont exprim´es au cours de la phase de multiplication de la
bact´erie. Comme nous l’avons vu, une fois que la plante utilise ses d´efenses basales
contre l’agent pathog`ene, celui-ci peut contourner ces d´efenses en utilisant ses
fac-teurs de virulence. Le principal facteur de virulence des bact´eries `a Gram-n´egatif
est le syst`eme de s´ecr´etion de type 3 et ses effecteurs, dont certains ont pour cible
les prot´eines induites lors des d´efenses basales, et d’autres ont pour rˆole d’inhiber
l’immunit´e d´eclench´ee par les effecteurs (ETI pour Effector-triggered immunity).
Figure I-18 : Représentation des deux hypothèses des relations évolutives entre le flagelle et le
système de sécrétion de type 3 (McCann & Guttman 2008). a : Le flagelle et le système de
sécrétion de type 3 ont évolué indépendamment l’un de l’autre, mais possèdent un ancêtre
commun représenté par le cercle blanc. b : Le système de sécrétion de type 3 est un descendant
direct du système flagellaire, ainsi il correspond à une lignée du système flagellaire.
Figure I-19 : Modèle d’évolution et de diversification du système de sécrétion de type 3 proposé
par Abby & Rocha, 2012. Le système de sécrétion de type 3 correspond à une lignée du système
flagellaire (hypothèse b de la fig. 16). La première étape a été de perdre les gènes impliqués dans
la mobilité. Ensuite, au cours de la divergence du SST3, il a perdu puis acquis des gènes qui ont
permis sa diversification en 8 familles. La famille Myxo a divergé précocement suite à la perte de
sctF. Ensuite, on observe l’acquisition de la sécrétine dans l’ancêtre commun des autres familles,
suivie d’une diversification dirigée par l’adaptation aux différentes cellules hôtes.
Cependant, il existe d’autres facteurs de virulence tels que les enzymes
pectinoly-tiques, les toxines ou encore les effecteurs des autres syst`emes de s´ecr´etion (voir
encadr´e I).
a. Le syst`eme de s´ecr´etion de type 3
Le syst`eme de s´ecr´etion de type 3 (SST3) est un complexe prot´eique int´egr´e
dans la membrane de la cellule bact´erienne. Il forme une seringue qui va permettre
de lib´erer les effecteurs de type 3 (ET3) dans la cellule de l’hˆote. Le SST3 est
compos´e de trois structures (fig. I-17) : un corps basal, inclus dans la membrane
interne et externe de la bact´erie, un pilus situ´e dans la partie extracellulaire, et enfin
des prot´eines, qui forment le translocon, situ´ees dans la membrane de la cellule hˆote
(Izor´e et al. 2011). Grˆace `a ce complexe fix´e dans la membrane cellulaire de la
cellule hˆote, l’agent pathog`ene va injecter des prot´eines effectrices directement dans
le cytoplasme de celle-ci (Galan & Collmer, 1999 ; Izor´e et al. 2011 ; Portaliou et
al. 2016). Les g`enes codants cette machinerie cellulaire sont organis´es en un cluster
d’environ 23 g`enes selon les familles de SST3 et sont r´egul´es par un ou plusieurs
r´egulateurs. Chez les bact´eries pathog`enes des animaux, le SST3 est connu pour ˆetre
port´e par un plasmide tandis qu’il est le plus souvent int´egr´e dans le chromosome
des bact´eries phytopathog`enes (Groisman & Ochman, 1996 ; Hacker et al. 1997 ;
Oh et al. 2005 ; Toth et al. 2006).
Les g`enes et la structure du SST3 sont semblables `a ceux du flagelle. En effet,
sur la fig. I-17 qui compare les structures homologues entre le flagelle et le SST3,
on peut constater que la structure de ces deux complexes prot´eiques est conserv´ee.
L’origine exacte du SST3 est toutefois, assez d´ebattue (McCann & Guttman, 2008).
Deux hypoth`eses sont oppos´ees (fig. I-18), soit le SST3 est d´eriv´e du flagelle, soit ces
deux structures poss`edent un ancˆetre commun qui avait potentiellement un rˆole dans
la mobilit´e et dans la s´ecr´etion. R´ecemment, un mod`ele d’´evolution du cluster du
SST3 a ´et´e propos´e par Abby & Rocha (2012) sur la base de l’analyse comparative
de s´equences nucl´eotidiques. Ces auteurs ont montr´e que le SST3 d´erivait du cluster
flagellaire, avec des pertes et acquisitions de g`enes au cours de son histoire ´evolutive
(fig. I-19) qui ont, en partie, provoqu´e la diversification en plusieurs familles du
SST3. Le SST3 aurait diverg´e du cluster flagellaire suite `a la perte de g`enes ayant
une fonction dans la mobilit´e. Une famille a diverg´e tr`es tˆot suite `a la perte du g`ene
SctF, il s’agit de la famille Myxo. Ensuite, le SST3 a acquis la s´ecr´etine et le SST3
s’est diversifi´e en 8 familles : Clamy, Rhizo, Hrp1, Hrp2, Ysc, Desulfo, SPI1 et SPI2.
Ces diff´erentes familles de SST3 sont sp´ecifiques de l’´ecologie des bact´eries.
En effet, Hrp1, Hrp2 et Rhizo ne sont trouv´es que chez des bact´eries associ´ees
aux plantes, tandis que les 5 autres familles sont principalement identifi´ees chez
Figure I-20 : Description du mécanisme de réarrangement terminal, à l’origine de nouveaux
effecteurs de type 3 (Stavrinides et al. 2006). A gauche, est représenté le cas où l’ORPHET (qui
représente la séquence terminale d’un effecteur orphelin) qui contient le signal de sécrétion
(représenté par la flèche) recombine avec soit des effecteurs de type 3, soit des protéines qui ne
sont pas des effecteurs, soit des régions non codantes. A droite, est représenté le cas où deux
effecteurs de type 3 ou un effecteur de type 3 et une protéine fusionnent ce qui génère un nouvel
effecteur.
des microorganismes associ´es aux animaux. Bien que la transmission du SST3 soit
connue pour ˆetre verticale, des ´ev`enements de transfert horizontal de g`enes ont ´et´e
mis en ´evidence au cours de son histoire ´evolutive. Par exemple, les deux SST3 de
type SPI1 et SPI2, sp´ecifiques des agents pathog`enes animaux, ont ´et´e retrouv´es chez
des agents pathog`enes de plantes appartenant au genre Xanthomonas et Pantoea,
respectivement (Alavi et al. 2008, Marguerettaz et al. 2011, Kirzinger et al. 2015).
b. Les effecteurs de type 3, au cœur de l’interaction hˆ
ote-pathog`ene
Les effecteurs de type 3 (ET3) correspondent aux prot´eines s´ecr´et´ees
directe-ment dans le cytoplasme de la cellule hˆote grˆace au syst`eme de SST3. Ils poss`edent
un signal de s´ecr´etion situ´e en position N-terminale, tandis que le domaine
fonc-tionnel est localis´e au centre de la prot´eine et en position C-terminale (Sory et al.
1995). Certains ET3 ont pour rˆole d’inhiber les d´efenses basales de la plante, la
PTI, et d’autres ont pour rˆole d’inhiber les prot´eines de r´esistance de l’hˆote qui
interviennent lors de l’ETI. Enfin des effecteurs sp´ecifiques de type Transcription
Activator-Like (TAL) ont pour rˆole de modifier l’expression des g`enes de la cellule
hˆote, en se liant directement `a l’ADN de la cellule hˆote (Boch et al. 2009 ; Moscou
& Bogdanove, 2009).
L’origine de ces effecteurs peut ˆetre compar´ee au syst`eme de brassage d’exons
chez les eucaryotes (Gilbert, 1978). Ce principe de g´en´eration de nouveaux ET3
cor-respond `a des assemblages vari´es des diff´erents domaines et est appel´e “ r´eassortiment
terminal ” (Stavrinides et al. 2006). Ce processus est un processus stochastique qui
implique que la partie N-terminale va fusionner avec un autre ET3, une s´equence
codante, ou une s´equence non codante (fig. I-20). Seules les combinaisons
favo-rables sont ensuite conserv´ees (McCann & Guttman 2007). Ensuite, la transmission
des ET3 se fait par des ´ev`enements de transfert horizontal de g`enes. En effet, ces
g`enes sont souvent associ´es `a des ´el´ements g´en´etiques mobiles, tels que les plasmides,
comme c’est le cas pour l’effecteurxopE3 localis´e sur un plasmide sp´ecifique de
Xan-thomonas arboricola pv. pruni (Pothier et al. 2011). ChezRalstonia solanacearum,
30 g`enes codant des ET3 pr´esentent un GC% plus faible que l’ensemble du g´enome
et sont associ´es `a des s´equences d’insertion ou des prophages, ce qui constitue une
caract´eristique d’un transfert horizontal de g`enes. (Peeters et al. 2013).
Bien que le SST3 ait un rˆole dans la sp´ecialisation `a l’hˆote, notamment en ce
qui concerne la diff´erenciation entre une cellule animale et une cellule v´eg´etale (Abby
& Rocha, 2006), le r´epertoire d’ ET3 d´etermine la sp´ecificit´e d’hˆote de mani`ere plus
fine, au niveau de l’esp`ece v´eg´etale voire mˆeme du cultivar, cela a ´et´e montr´e
partic-uli`erement pour l’esp`ecePseudomonas syringae (Sakar et al. 2006; Lindeberd et al.
Génotype de la plante
R r
Génotype de
l’agent pathogène
Avr Résistance Sensibilité
avr Sensibilité Sensibilité
Figure I-21 : Le modèle gène pour gène de Flor 1971. Dans ce modèle, la résistance de la plante
ne pourra être mise en place que si la plante possède le gène de résistance R, qui cible le gène
d’avirulence, nommée Avr. Dans tous les autres cas, la plante sera sensible à l’infection par
l’agent pathogène.
Figure I-22 : Modèle en zigzag de l’interaction plante-agent pathogène (Jones & Dangl, 2006).
Le nom de ce modèle correspond aux variations d’amplitude des défenses de la plante au cours
de l’infection. La reconnaissance des PAMP par la plante déclenche la PTI, qui correspond à un
niveau de défense de faible amplitude. En retour, l’agent pathogène sécrète des effecteurs qui
vont cibler les protéines impliquées dans la PTI, on entre alors dans une phase de sensibilité de
la plante déclenchée par les effecteurs (phase ETS). Dans cette phase l’amplitude de défense de
la plante diminue. Ensuite, les protéines de résistance de la plante reconnaissent les protéines
d’avirulence, c’est la défense immunitaire ETI. L’amplitude des défenses de la plante est plus
élevée que lors de la PTI, et cela déclenche une réaction hypersensible (HR) qui correspond à
une mort cellulaire programmée des cellules végétales pour stopper l’infection.
2009), et diff´erentes esp`eces appartenant au genreXanthomonas : X. axonopodis et
X. arboricola(Hajri et al. 2009; Hajri et al. 2012; Schwartz et al. 2015). Cependant,
une analyse g´enomique r´ealis´ee sur 14 souches de l’esp`eceRastonia solanacearumn’a
pas permis d’´etablir clairement le lien entre le r´epertoire en ET3 propre `a chaque
souche et la sp´ecificit´e d’hˆotes (Peeters et al. 2013). Les auteurs sugg`erent donc que
les bases g´en´etiques de la sp´ecificit´e d’hˆote deR. solanacearumne reposent pas
exclu-sivement sur les r´epertoires d’ET3. En effet, comme nous l’avons vu pr´ec´edemment,
les MCP jouent ´egalement un rˆole dans cette sp´ecificit´e d’hˆote.
c. D´efenses de la plante pendant la phase de multiplication :
Le mod`ele en zigzag
A ce stade, l’agent pathog`ene se multiplie sur la plante hˆote, et certains ET3
ont pour rˆole d’inhiber la PTI. Cependant, un second m´ecanisme de d´efense est mis
en place chez les plantes, afin d’arrˆeter l’infection dans les cas o`u l’agent pathog`ene
a r´eussi `a entrer dans la phase de multiplication. Cette seconde ligne de d´efense
est nomm´ee ETI, pour Effector-triggered immunity (Jones & Dangl, 2006). L’ETI
reconnait les prot´eines effectrices s´ecr´et´ees par la bact´erie qui ciblent les d´efenses
basales. Elle peut se d´eclencher soit suite `a la reconnaissance directe des prot´eines de
virulence ou suite `a une reconnaissance indirecte (voir encadr´e II). La reconnaissance
directe correspond `a une relation “ g`ene pour g`ene ”, telle que d´efinie par Flor en
1971 (fig. I-21). L’agent pathog`ene poss`ede une prot´eine d’avirulence qui va ˆetre
cibl´ee par une prot´eine de r´esistance. La r´esistance de la plante ne pourra s’exprimer
que si la bact´erie poss`ede bien la prot´eine d’avirulence qui lui est associ´ee.
Au cours de cette phase de multiplication, l’interaction hˆote-pathog`ene va
suivre une dynamique ´evolutive appel´ee le mod`ele en zigzag. Ce mod`ele d’´evolution
a ´et´e propos´e pour expliquer en partie la co´evolution entre l’agent pathog`ene et la
plante hˆote (fig. I-22) (Jones & Dangl, 2006). En effet, dans ce mod`ele, l’agent
pathog`ene est reconnu par son hˆote, qui d´eclenche alors ses d´efenses basales, `a
savoir la PTI. L’agent pathog`ene cible les prot´eines de la plante impliqu´ees dans
cette d´efense `a l’aide des effecteurs de type 3. On observe alors une diminution
des d´efenses de la plante. Cependant, au cours de son ´evolution, l’hˆote va acqu´erir
des prot´eines de r´esistance, qui vont lui permettre d’enclencher le second niveau de
d´efense de leur syst`eme immunitaire, `a savoir l’ETI. L’amplitude de l’ETI est plus
importante que la PTI, car il s’agit d’une r´eponse sp´ecifique `a l’agent pathog`ene.
Ce mod`ele en zigzag correspond donc `a une alternance de phases de sensibilit´e et de
r´esistance de la plante. Du fait de cette alternance, l’agent pathog`ene va acqu´erir
de nouveaux ET3 pour contourner les d´efenses de la plante. En r´ealit´e ce mod`ele
est plus complexe, et la distinction entre les MAMP et les ET3 n’est pas toujours
Encadré II :Modèles de reconnaissance et d’induction de l’ETI
Figure représentant les différents mécanismes de perception des effecteurs de type 3 par les senseurs de la plante et conduisant à l’induction de l’ETI (d’après Khan et al. 2016)
Il existe 4 mécanismes de reconnaissance de l’effecteur de type 3 (ET3) par la plante :
Le premier mécanisme correspond à une reconnaissance directe, l’ET3 va se fixer
à sa cible, ce qui va activer la reconnaissance du complexe par les protéines NLR qui induisent
la réponse de résistance de la plante (fig. a).
Le second mécanisme correspond à l’expression de gène de résistance induite
par l’effecteur TAL (fig. b). En effet, cet effecteur se fixe directement sur le promoteur
d’un gène, il se lie donc à l’ADN chromosomique, ce qui a pour effet d’induire l’expression
des gènes. Le gène exprimé correspond de manière générale à un gène de sensibilité, mais suite
à des réarrangements chromosomiques dans l’ADN de l’hôte, il est possible de retrouver la
cible de l’effecteur TAL dans le promoteur d’un gène de résistance.
Le troisième mécanisme correspond au modèle de garde (fig. c). Dans ce modèle,
l’ET3 se fixe au senseur. Celui-ci change de conformation, il est alors reconnu par la protéine
de résistance. Suite à cette reconnaissance, les mécanismes de défenses sont activés.
Le quatrième mécanisme correspond au modèle de leurre (fig. c). Selon ce modèle,
la plante a acquis une protéine leurre (qui est similaire à la cible de l’ET3). Ainsi, lorsque
l’ET3 se fixe sur cette protéine leurre, il n’y a pas d’expression du pouvoir pathogène. Mais
cela permet à la plante de reconnaitre la bactérie et de déclencher les réactions de défenses
de la plante.
tr`es claire. En effet, les ET3 tr`es r´epandus peuvent ˆetre reconnus par la plante d`es
la PTI, et donc correspondre `a un MAMP. Les MAMP, quant `a eux, peuvent avoir
un rˆole dans la virulence et pas uniquement dans la fitness de la bact´erie (Thomma
et al. 2011).
Dans le document
Histoire évolutive de Xanthomonas arboricola, espèce bactérienne composée de souches pathogènes et commensales
(Page 68-76)