• Aucun résultat trouvé

2. L’EXERCICE A PERCEPTION D’EFFORT FIXE

2.5. Perspectives dans le cadre de l’entraînement

Nous avons vu que la modalité de régulation de l’allure à partir d’un seuil de RPE présente un intérêt dans le contexte de l’exercice aigu. Dans un contexte d’exercice chronique,

Fig. 13 Expression de la puissance moyenne au cours des 3

premières et des 3 dernières minutes d’un exercice à RPE-16 reproduit avec ventilation d’air frais de face (COOL), avec ventilation d’air chaud de face (WARM), après application d’une solution mentholée (MEN) ou de capsaïcine (CAP) sur le visage (issu de Schlader et al., 2011).

la mise en place de protocoles d’entraînement basés sur des sessions de même profil présente un intérêt pour les sujets non entraînés ou en phase de réhabilitation physique, par exemple les personnes obèses (Coquart et al., 2012). Nous souhaiterions toutefois nous intéresser, dans ce chapitre, aux effets de tels entraînements sur la performance physique et/ou les adaptations physiologiques sous-jacentes de sujets actifs voire entraînés.

Parmi les quelques travaux référencés, une étude comparative a suivi deux groupes distincts de jeunes femmes actives pendant six semaines, à raison de trois sessions de pratique hebdomadaires à intensité variable et régulée à partir de seuils de FC ou de RPE (Céline et al., 2006). Les deux groupes ont, en moyenne, amélioré de façon similaire leur 𝑉̇O2 pic (i.e. 10,1 et

9,0 % pour les groupes « FC » et « RPE », respectivement) à puissance maximale aérobie. Dans le même temps, le groupe contrôle n’a obtenu aucune amélioration significative de performance en dépit du maintien de son activité physique habituelle. Un constat similaire a pu être établi à la suite d’un protocole d’entraînement de huit semaines au cours duquel les sujets ont répété des sessions de 30 minutes à intensité subjective modérée (Parfitt et al., 2012). Si les améliorations de 𝑉̇O2max (17,3 % en moyenne) et de 𝑉̇O2 au seuil ventilatoire ont été

significatives pour le groupe entraîné, l’absence d’un groupe contrôle avec suivi d’un protocole d’entraînement habituel restreint néanmoins la portée de ces résultats. De plus, le niveau de performance physique initial du groupe expérimental s’avère largement inférieur à celui du groupe contrôle, ce qui peut ainsi favoriser des adaptations physiologiques plus marquées.

En parallèle d’améliorations notables de la performance, la production de seuils de RPE au cours de protocoles d’entraînement présente de réels avantages sur le plan pratique (Ekkekakis, 2009). En effet, la réponse aux stimuli générés par un tel protocole d’entraînement (e.g. amélioration de la puissance moyenne développée au seuil de RPE) constitue une méthode d’évaluation simple et peu onéreuse de l’efficacité du protocole et participe au maintien d’une sollicitation physiologique constante dans le temps. De plus, la régression linéaire et progressive de l’intensité lors d’un exercice à RPE fixe préserve les composantes musculaires des effets délétères d’une fatigue périphérique importante et susceptible de retarder la récupération post-session d’entraînement.

Du point de vue des réponses affectives et motivationnelles, une telle modalité d’entraînement a pour intérêt majeur de renforcer l’adhésion de sujets non entraînés à une activité régulière (Coquart et al., 2008). En marge d’un contexte médical parfois pesant, l’application de méthodes en autogestion peut être bénéfique sur le plan psychologique car il modifie le rapport que peut avoir l’individu face au caractère potentiellement éprouvant et inconfortable de l’activité physique. Le libre choix d’intensités dites « préférentielles »,

généralement proches du premier seuil ventilatoire chez des sujets non entraînés (Parfitt et al., 2006), renforce positivement les réponses affectives à l’exercice du fait des sentiments d’autonomie et de compétence associés (Deci and Ryan, 2008) et préserve d’une distorsion des réponses affectives (Lind et al., 2005). Ces mêmes réponses sont en effet maintenues dans le temps après huit semaines d’entraînement, en parallèle d’une amélioration des performances aérobies (Parfitt et al., 2012). La moindre fatigue périphérique et l’absence de perception de douleur renforce la motivation associée à la production de l’effort, et favorise à court terme l’adhérence au protocole (Lind et al., 2008).

La question de la pertinence de tels protocoles d’entraînement appliqués chez l’athlète entraîné, par exemple lors de protocoles de réadaptation à l’effort après blessure, mérite donc d’être traitée. Plusieurs scénarios d’application sont envisageables. Tout d’abord, le maintien de sollicitations physiologiques intenses par la production de seuils très élevés de RPE lors de sessions intermittentes (i.e. RPE-17 à RPE-19 selon l’échelle RPE 6-20 ; Ciolac et al., 2015) est une solution susceptible d’être appliquée lors du cycle de pré-compétition (i.e. affûtage ; Le Meur et al., 2012). Cette étape qui précède généralement toute épreuve sportive majeure dans les sports d’endurance est associée à une diminution significative du volume couplée à la conservation des intensités de compétition. Une telle suggestion est également valable lors de cycles de préparation en environnement dit « extrême » (i.e. chaleur saisonnière, altitude), ces derniers étant susceptibles de générer une surcharge fonctionnelle relative à la production de hautes intensités (voir partie 3.4.2. ; Schmit et al., 2017). Dans ce contexte, la régulation des différents seuils d’intensité à partir de RPE serait potentiellement plus à même de préserver les paramètres affectifs et motivationnels de l’athlète au fur et à mesure du cycle.

En dépit de ces opportunités, plusieurs questions se posent parmi lesquelles, en premier lieu, le choix des intensités subjectives optimales à soutenir chez l’athlète entraîné. Si, lors de sessions d’entraînement « libres », les intensités préférentielles choisies par ces derniers sont sans doute supérieures à celles produites par des sujets inactifs en raison de leurs aptitudes physiologiques, pour autant les valeurs concomitantes de RPE retranscrites par les deux groupes seront sans doute similaires (Dishman, 1994). Cependant, l’amplitude plus importante des réponses affectives observées, à même intensité, chez des sujets entraînés suggère que leur aptitude à tolérer émotionnellement un effort est supérieure à la moyenne (Bixby and Lochbaum, 2006). Inversement, la production répétée dans le temps de sessions d’entraînement à RPE-15 a pu accélérer la dégradation des réponses motivationnelles de sujets non entraînés, avec pour conséquence une perte des améliorations de performance sous-jacentes à l’entrainement après six mois (Parfitt et al., 2015).

POINTS-CLES DU CHAPITRE 2

 La production et le maintien d’un seuil de perception de l’effort (i.e. exercice à RPE fixe) constitue un mode d’exercice valide et reproductible.

 L’application d’un cadre méthodologique strict est nécessaire à l’application de ce mode d’exercice, en particulier dans l’assimilation des échelles de perception et l’ancrage des sensations perçues.

 En contexte aigu, l’étude de facteurs expérimentaux (i.e. environnementaux, biochimiques) requiert l’application, au minimum, d’un seuil de RPE-15. Ces seuils peuvent être individualisés par l’estimation de la « capacité de travail à RPE fixe ».  En contexte chronique, les intensités préférentielles soutenues par des sujets peu

actifs (i.e. RPE 12-13) sont proches du premier seuil ventilatoire et préservent les réponses affectives sous-jacentes. Il est possible que des sujets entraînés soient en mesurer de tolérer, d’un point de vue psychologique, des intensités plus élevées.  Le choix initial de la puissance à RPE fixe serait directement lié à la perception de

l’effort. Par la suite, la vitesse de régression linéaire de la puissance ne serait pas le reflet d’un mécanisme « anticipatoire » mais l’expression de la tolérance affective et émotionnelle de l’effort soutenu. Les afférences sensorielles influenceraient, par leur effet sur les réponses affectives et émotionnelles, la vitesse de diminution de la puissance soutenue à RPE fixe.