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2. L’EXERCICE A PERCEPTION D’EFFORT FIXE

2.4. Le rôle des facteurs affectifs et motivationnels

D’après notre suggestion, l’hypothèse selon laquelle la capacité de l’individu à anticiper un éventuel désordre physiologique expliquerait le choix puis la régulation progressive de la puissance à RPE fixe serait en partie caduque. Parmi les arguments défendus, les messages sensoriels afférents issus des muscles, des organes vitaux ou des récepteurs thermosensibles n’auraient pas d’influence sur le choix de l’intensité au début d’une telle épreuve. Cet argument s’appuie, au-delà de quelques études pertinentes sur le sujet (Browne and Renfree, 2013), sur l’hypothèse neurophysiologique du rôle prédominant joué par la commande motrice centrale dans la construction de l’image subjective de l’effort (voir partie 1.3.3.).

Néanmoins, ces mêmes messages sensoriels afférents pourraient influencer, de manière indirecte, la vitesse de régression progressive de l’intensité au cours du temps (Cochrane et al., 2015a). En effet, il est possible que leur interprétation par le cerveau soit conditionnée par les adaptations neurochimiques de ce dernier pendant l’exercice, tout particulièrement par l’activité

des neurotransmetteurs monoamines que sont la sérotonine, la dopamine ou la noradrénaline. La compréhension des réponses neurochimiques à l’exercice passe, entre autres, par des manipulations pharmacologiques préalables telles que l’administration de stimulants (i.e. amphétamines). Ceux-ci favorisent ou restreignent alors la concentration de neurotransmetteurs dont l’action sur la production et la transmission de signaux neuronaux est susceptible d’influencer la régulation volontaire de l’allure (Roelands and Meeusen, 2010). Par exemple, le méthylphénidate est une amphétamine inhibitrice du recaptage de la dopamine dont la consommation préalable favorise l’activité dopaminergique. Ainsi, à la suite de sa consommation par ingestion, les sujets développent lors d’un contre-la-montre une performance physique moyenne plus élevée et associée à des valeurs terminales de TCO proches de 40 °C,

tandis que la valeur de perception de l’effort ne subit aucune distorsion majeure (Roelands et al., 2008). Le renforcement artificiel de l’activité dopaminergique permettrait donc de tolérer un seuil de stress physiologique que l’on peut qualifier de critique car susceptible de mettre en danger l’intégrité physiologique de l’organisme (Roelands et al., 2013).

Par la suite, Jeroen Swart et ses collaborateurs (2009) ont proposé un protocole expérimental similaire lors de la production d’un effort « difficile à très difficile » (i.e. RPE- 16). Dans ce contexte, alors que des valeurs identiques de puissance initiale ont été vérifiées dans les deux conditions expérimentales (i.e. en début d’épreuve, méthylphénidate 305 W vs. placebo 303 W), la diminution ralentie de la puissance dans le temps (1,02 vs. 1,31 W.min-1) et le temps de maintien plus long (88,0 vs. 68,3 min) manifestent de l’effet ergogénique de ce stimulant. D’un point de vue physiologique, les mesures cardiorespiratoires et thermiques montrent que le sujet tolère, à même seuil de RPE, une sollicitation plus élevée suite à l’ingestion de méthylphénidate (Roelands and Meeusen, 2010). A l’inverse, aucun élément ne laisse supposer un quelconque effet de l’optimisation de l’activité dopaminergique sur les composantes centrales et périphériques de la force (Klass et al., 2012).

Si l’on s’en tient à l’hypothèse du mécanisme d’anticipation pour expliquer ces résultats, la distorsion de la perception de l’effort sous-jacente à l’administration d’amphétamines est un moyen plus ou moins artificiel d’outrepasser le référentiel optimal « subconscient » censé protéger l’organisme de déséquilibres majeurs (Roelands et al., 2008 ; Tucker et al., 2009).Si l’on tient uniquement compte de la réalité de la pratique sportive, de multiples facteurs sont susceptibles de moduler, faiblement ou modérément, les réponses neurochimiques à l’exercice (e.g. alimentation ; pour revue : Briguglio et al., 2018) et ainsi modifier le rapport de l’athlète à sa performance physique et son investissement. De plus, la prolongation de la durée de maintien de l’exercice à RPE-16 (Swart et al., 2009) pourrait être la conséquence d’une

optimisation des aspects motivationnels et attentionnels par la consommation préalable de méthylphénidate (Kollins et al., 1998 ; Roelands et al., 2008). S’appuyant sur ces éléments, nous supposons que la régulation de la puissance à RPE fixe ne résulte pas de l’activation d’un mécanisme subconscient d’anticipation, mais d’une action pleinement volontaire et dépendante de la capacité affective de l’individu à tolérer la contrainte sous-jacente à l’exercice. En d’autres termes, la réduction progressive de la puissance serait un comportement initié dans le but de limiter la distorsion négative des réponses affectives.

Fig. 12 Variation moyenne de la puissance (à gauche) et de FC (à droite) au cours d’un exercice de

pédalage à RPE-16 reproduit après consommation de méthylphénidate et après ingestion d’une substance « placebo » (issu de Swart et al., 2009).

L’application de l’exercice à RPE fixe serait, par conséquent, un moyen pertinent d’évaluer le niveau de tolérance psychophysiologique d’un sujet à des phénomènes somatiques inhérents à l’exercice (i.e. inconfort). Une étude récente a ainsi démontré une corrélation positive entre la performance lors d’une épreuve de contre-la-montre de 16,1 km et la puissance produite lors du maintien de RPE-16 (Astokorki and Mauger, 2016).

Dans ce contexte, les messages sensoriels afférents joueraient un rôle-clé par leur influence indirecte sur la motivation du sujet à maintenir l’intensité subjective la plus élevée possible manière indirecte, au travers des réponses affectives sous-jacentes qu’ils génèrent (voir partie 1.5.). A ce stade, une distinction des réponses motivationnelles au cours de l’exercice à libre allure et à RPE fixe est nécessaire pour discuter de ce postulat. Lors d’épreuves-types de compétition, le bénéfice psychologique associé à d’éventuels renforcements « extrinsèques »

de la motivation peut être suffisamment important pour contrebalancer la contrainte affective induite par la sollicitation physiologique pendant l’exercice. Il en est de même concernant la connaissance de la distance ou de la durée restante, à l’origine du phénomène dit de « end- spurt » en fin d’exercice (Pageaux, 2014). Ce surcroît motivationnel génère des ajustements comportementaux tels que la production d’une puissance ou d’une allure supérieure à sa référence personnelle lors d’un exercice (Cabanac, 1992). Inversement, le caractère non- compétitif et standardisé de l’exercice à RPE fixe suggère que seuls les bénéfices dits « intrinsèques », ou relatifs aux sensations perçues, peuvent influencer les aspects motivationnels. En d’autres termes, la vitesse de régression linéaire de la puissance soutenue à RPE fixe serait le reflet de

l’amplitude des réponses affectives issues de la perception thermique (Schlader et al., 2011) ou de l’activité métabolique (Browne and Renfree, 2013 ; Farra et al., 2017). La dégradation du plaisir et de la motivation à poursuivre l’exercice dans le temps impliquerait alors de réduire, progressivement et volontairement dans le temps, l’intensité réelle de l’exercice dans le but de maintenir le seuil de perception de l’effort initialement

produit. Ce constat pourrait expliquer les différences observées, du point de vue de la cinétique d’évolution de la puissance à RPE fixe, entre les seuils respectivement inférieurs et supérieurs au premier seuil ventilatoire. La production d’intensités faibles ou modérées (RPE 11-13), et associée à des réponses affectives positives (Dishman, 1994 ; Ekkekakis et al. 2011), ne voit ainsi pas ou peu de variation réelles de la puissance développée dans le temps (Cochrane et al., 2015b).