• Aucun résultat trouvé

Introduction aux risques et aux modalités de leur gestion

I- Le risque : un concept à définir

I.5 La perspective culturelle des risques

La théorie culturelle du risque est issue des travaux de l’anthropologue Douglas [57] [58] qui s’est intéressée aux raisons de l’émergence de différents types de peurs, et donc de risques, au sein de différentes sociétés tribales. La justification fournie par Douglas, et qui fonde la théorie culturelle du risque, est que les risques considérés par les individus sont sélectionnés en fonction des groupes sociaux auxquels ils appartiennent. Ces groupes sociaux fondent différentes représentations de ce qu’est la réalité en fonction de leurs connaissances, systèmes de valeurs, croyances et cadres culturels [58].

Le risque est donc considéré ici comme une construction sociale qui diffère pour chaque individu en fonction du groupe social auquel il appartient.

De ce fait, la théorie culturelle ne prend pas comme objet d’étude l’individu seul comme c’est le cas de l’approche psychologique, elle considère plutôt des groupes sociaux qu’elle cherchera donc à distinguer et à caractériser. Par conséquent, les individus ne sont plus simplement récepteurs de stimuli auxquels ils réagissent pour fonder leurs perceptions des risques, ils sont plutôt des membres de groupes sociaux actifs qui contribuent à sélectionner les risques à considérer par la société. De plus, il n’existe pas de représentation de la réalité qui soit meilleure qu’une autre ; bien au contraire, c’est la cohabitation au sein d’une même société de différentes cultures qui sélectionnent différentes sortes de risques qui permettra la survie de la société, alors que la prédominance d’une représentation sur toutes les autres est un risque inacceptable [58]. Différentes typologies de groupes sociaux ont été proposées dans la littérature [133]. De manière générale, ces différents types de groupes se distinguent selon les deux dimensions suivantes [57]:

degré d’adhésion des individus aux valeurs qui caractérisent leur groupe.

degré de cohésion et de solidarité au sein des individus d’un même groupe.

La considération de ces deux dimensions fait ressortir la typologie de groupes sociaux suivante [133]:

Chapitre 6 : Introduction aux risques et aux modalités de leur gestion

174

Entrepreneur

Le risque est considéré comme une opportunité de succès dans un marché de compétition. De ce fait, son acceptation et son refus sont conditionnés par l’équilibre entre les bénéfices et les inconvénients qui lui sont associés. Ce type de groupes est peu demandeur de régulation et accorde peu d’importance aux aspects d’équité et de justice sociale [133].

La compétition étant la règle qui régit les rapports entre ces individus, le niveau de cohésion du groupe est généralement réduit.

Egalitaire

Les individus appartenant à ce type de groupes partagent des valeurs de solidarité et d’équité plutôt que de compétition et placent l’intérêt général comme objectif de leur action. Face aux risques, ils privilégient de manière générale le respect de l’équité et de la justice sociale ainsi que la recherche de modes de vie plus durables plutôt que la mise en place de technologies nouvelles qui comporteraient des risques [133].

Bureaucrates

Ce type de groupes accorde sa confiance aux structures organisationnelles ainsi qu’aux mesures mises en place pour gérer les risques. Ainsi, tant que les risques sont gérés par des institutions ayant démontré leurs compétences et défini des procédures rigoureuses de gestion, le risque est considéré comme acceptable [133]. Les individus appartenant à ce type de groupe adhèrent donc fortement aux valeurs ainsi explicitées.

Individus atomisés

Appartenir à ce type de groupes revient à ne faire confiance qu’à soit et à rejeter tout risque que d’autres acteurs souhaitent imposer. Néanmoins, ces individus prennent eux même des risques importants car ils considèrent la vie comme une loterie où les risques ne peuvent être entièrement contrôlés [133]. Ce type de groupe se caractérise par le faible niveau de cohésion de ses membres mais par leur forte adhésion à la description du risque ainsi présentée.

Ermites

Regroupe des individus autonomes qui considèrent que les risques sont acceptables tant qu’ils n’exercent pas de coercition sur d’autres groupes sociaux. Leur respect de la hiérarchie est tributaire des compétences et performances que celle-ci est susceptible d’accomplir.

Renn [133] propose de les voir comme des médiateurs dans la mesure où ils tissent de multiples liens avec les différents autres groupes.

Chapitre 6 : Introduction aux risques et aux modalités de leur gestion

175 Figure 16 Typologie des groupes sociaux en fonction de leurs comportements face aux risques [133].

L’apport de la théorie culturelle a eu des influences importantes dans la recherche académique sur la perception des risques alors que ses applications demeurent assez réduites [133]. De manière générale, il est reconnu que l’affiliation culturelle des individus permet une bonne explication de la variété des représentations des risques que l’on retrouve dans la société. De plus, certaines études statistiques ont démontré que la corrélation entre les comportements face aux risques et l’appartenance culturelle des individus étaient plus importantes que celle avec les facteurs psychométriques définis dans le cadre de l’approche psychologique [39]. Néanmoins, cette approche a été critiquée dans la mesure où elle décrit le comportement de groupes et non pas d’individus. Or, un individu peut appartenir à plusieurs groupes et être aussi bien entrepreneur (créateur d’entreprise) qu’égalitaire (membre d’une communauté religieuse prônant des valeurs d’équité).

Une deuxième critique importante est le rapport problématique qu’entretient la théorie culturelle du risque entre les intérêts d’un individu et son appartenance à un type de groupes. Ainsi, si c’est l’appartenance culturelle à un groupe qui fonde les intérêts qu’un individu souhaite défendre, se pose la question de savoir comment fait cet individu pour choisir le groupe auquel appartenir.

Enfin, de nombreux auteurs soulignent la faible validité empirique des distinctions entre groupes explicitées ci-dessus puisqu’elles reposent sur l’étude de sociétés tribales dont les mécanismes et la complexité sont loin d’être comparables avec les sociétés modernes [133].

En résumé, nous pouvons dire que l’approche culturelle a permis d’éclairer un peu plus le caractère construit du risque ainsi que l’importance des facteurs culturels dans cette

Niveau de cohésion Niveau d’adhésion

au groupe

Egalitaires

Les risques doivent être considérés en privilégiant

l’intérêt général et le développement durable.

Entrepreneurs

Les risques offrent des opportunités qu’il faut saisir

dans un cadre compétitif.

Individus atomisés

La vie est une loterie, la sécurité est une question de

chance.

Bureaucrates

Les risques sont acceptables tant qu’ils sont gérés par des

institutionsdédiées.

Ermites

Les risques sont acceptables tant qu’ils n’exercent pas de

Chapitre 6 : Introduction aux risques et aux modalités de leur gestion

176

construction. Ainsi, l’appréciation du risque ne peut être séparée de son contexte [133]. De plus, elle offre un cadre théorique qui explique la disparité des comportements d’acteurs face aux risques, disparités que les autres perspectives, notamment techniques et psychologiques, n’arrivent pas à intégrer dans leurs cadres théoriques. Néanmoins, elle ne peut à elle seule constituer un cadre théorique qui permette de décrire la variété et la complexité des processus sociaux face aux risques [94].