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Introduction à l’aide à la décision

I- Aide à la décision : Définitions et concepts

I.4- Modèle descriptif d’un processus d’aide à la décision

La décision étant un processus, l’aide à la décision se doit d’apporter ses contributions à l’ensemble des étapes du processus de décision de manière à s’assurer de la cohérence de celui-ci avec la rationalité du décideur. De ce fait, l’aide à la décision est aussi un processus. Deux visions différentes de ce qu’est un processus d’aide à la décision existent :

L’aide à la décision distincte du processus de décision

Le processus d’aide à la décision est un processus distinct et parallèle au processus de décision [148]. Dans ce cadre, l’analyste mène son processus d’aide à la décision à la frontière de deux « mondes » : Un monde réel qui est représenté par le processus de décision qui considère des problématiques, acteurs, contraintes et objectifs réels et un monde de « modèles » dans lequel l’analyste trouve les outils conceptuels qui lui permettent d’apporter des réponses aux interrogations du décideur.

De ce fait, l’analyste mène un processus d’aide à la décision de manière à apporter régulièrement, et en fonction des besoins, deux types de produits au processus de décision :

une animation des interactions avec le décideur, et éventuellement, avec les autres acteurs du processus de décision de manière à explorer la complexité problématique et à construire leurs contributions ;

des produits qui aident le décideur à avancer dans sa compréhension du problème. Ces produits peuvent prendre différentes formes : outils méthodologiques, cartes, modèles d’évaluation…..

La fig.7 illustre la vision décrite ci-dessus.

Animation

Concepts Réalisation

Modèles Outils

Processus de Décision

Processus d'aide à la décision

Formalisation Monde des modèles Monde réel

Produits

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Dans le cadre de cette vision, l’analyste n’est pas un acteur du processus de décision, il demeure un acteur externe qui contribue à organiser le processus de décision en question par l’animation et les produits qu’il fournit. Ainsi, il puise dans le processus de décision une compréhension de la situation réelle puis en fait grâce à des modèles une représentation aussi fidèle et neutre47 que possible des préférences du décideur.

De ce fait, il garde toujours un certain retrait, une certaine objectivité qu’il acquiert grâce au caractère conceptuel et formel des outils et méthodes qu’il utilise et qui le distinguent des autres acteurs du processus de décision ; distinction soulignée par Roy [150] et présentée en tableau3.

Participe Ne participe pas

* Analyste

Pas d'enjeu particulier

Intervenant partie

prenante Agis Homme d'étude*

Niveau de participation Nature de l'enjeu

Détention d'un enjeu lié au problème

Tableau 3 Typologie des parties intéressées de Roy [150]

Une telle position implique, de manière paradoxale, que l’analyste se doit d’impacter le processus de décision à travers l’organisation et l’animation qu’il procure tout en s’assurant qu’il n’influence pas, ou alors de manière marginale, les choix et les préférences du décideur. Une métaphore descriptive de cette vision de l’aide à la décision est que le décideur se trouve plongé dans le noir du fait de la complexité du contexte problématique et que l’analyste, grâce à ses produits et animations, éclaire, et de manière uniforme, l’environnement du décideur qui choisira de lui même la voie à emprunter. Or, l’activité de l’analyste étant essentiellement cognitive, il demeure soumis, tout comme le décideur et tout comme tout être humain, à des biais cognitifs liés à la nécessité d’interpréter son environnement dans le cadre d’une rationalité limitée. Certes les concepts, procédures et méthodes développées dans le cadre de l’aide à la décision contribuent de part leur rigueur à éviter ou à corriger certains de ces biais, mais il serait illusoire de penser que tous les biais seraient corrigés.

Ainsi, explorer la complexité amènerait l’analyste à devoir considérer de multiples disciplines scientifiques pour fournir l’éclairage en question. Or, au-delà du fait que ces disciplines (psychologie cognitive, économie, sociologie, mathématiques…) ne fournissent pas toujours des réponses satisfaisantes aux questions qui leur sont posées, l’analyste favorisera, explicitement ou implicitement, certaines disciplines par rapport à d’autres, certaines formes de modélisation par rapport à d’autres en fonction des connaissances dont il dispose et de sa propre maîtrise de ces techniques. Pour exemple, si l’analyste est particulièrement sensibilisé aux études en psychologie cognitive qui soulignent les biais susceptibles d’être générés lors des entretiens (animations) qu’il aura avec le décideur, il définira avec plus d’attention les modalités de l’entretien (directif, semi directif, ouvert), la forme que prendraient les questions qu’il poserait ainsi que l’ordre dans lequel il les poserait. Il devra aussi enregistrer les entretiens de manière à les analyser à posteriori. Ne pas être ainsi sensibilisé amènerait l’analyste à ne pas considérer

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ces aspects et donc à orienter, sans le vouloir ni même le savoir, les choix du décideur en raison du cadre dans lequel l’entretien s’est déroulé. Un autre exemple est que l’analyste peut avoir une préférence pour les procédures d’agrégation de type critère unique de synthèse par rapport aux procédures basées sur les systèmes relationnels de préférences ; ce qui est d’ailleurs souvent le cas chez les anglo-saxons. De ce fait, il devra nécessairement choisir des échelles d’évaluation sur les critères qui permettent ultérieurement de satisfaire les conditions nécessaires à l’application de ce type de procédures d’agrégation ; échelles qui peuvent imposer des conditions pas nécessairement satisfaites par l’ensemble des structures de préférences48.

Ces exemples soulignent l’influence potentielle que peut avoir un analyste sur l’exploration de la complexité et la construction des préférences ; influence qui ferait de l’analyste non plus un acteur externe au processus de décision, mais plutôt un acteur à part entière du processus de décision. Certes, il ne possède pas (ou du moins n’est pas sensé avoir) d’enjeux particuliers au regard de la problématique posée. Néanmoins, les méthodes qu’il introduit et les interactions qu’il met en place constituent une rationalité qui lui est propre et qui ne peut être totalement neutre. Par conséquent, il influence l’évolution du processus de décision, même si cette influence ne prend pas la forme d’une demande de prise en compte d’un ensemble d’enjeux dans la prise de décision comme c’est le cas des autres acteurs.

L’aide à la décision vue comme partie intégrante du processus de décision

Tsoukias [177] défend l’idée que l’analyste est un acteur du processus de décision. Ainsi, il apporte au sein de ce processus ses connaissances méthodologiques et organisatrices qu’il coordonne avec les connaissances contextuelles et relatives à la problématique que possède le décideur. De cette coordination émergent, au fur et à mesure de l’évolution du processus de décision, des constructions intellectuelles. La dernière de ces constructions étant la formulation de recommandations. Ces constructions intellectuelles sont désignées par le terme artefacts cognitifs.

Dans le cadre de cette vision, l’analyste et le décideur se trouvent impliqués dans un même processus où chacun contribue avec les connaissances dont il dispose, sachant que le décideur intègre en plus sa propre structure de préférences. La différence avec la vision précédemment citée ne réside donc pas dans les outils et méthodologies que l’analyste introduit ni dans la manière de les introduire49 , mais plutôt dans la description du statut de l’analyste et de l’impact de son introduction sur le processus de décision.

Pour reprendre la métaphore explicitée précédemment, il nous semble que la différence entre ces deux visions réside dans le fait que l’analyste n’éclaire plus uniformément

l’environnement complexe du décideur, mais il contribue à éclairer des zones spécifiques de cette complexité, zones accessibles en fonction du type et de la qualité des outils méthodologiques qu’il met en place. De ce fait, l’analyste n’impacte pas le processus de décision en introduisant des enjeux ou des systèmes de valeurs qui lui sont propres, mais il oriente l’évolution de ce processus en proposant des cadres problématiques particuliers

48 Dans le cadre de ces procédures, des poids inter critères sont définis de manière à calculer une performance finale unique pour chaque action potentielle. La formule d’un tel calcul étant en général une somme pondérée par les poids en question, il est nécessaire que les échelles d’évaluation mises en place pour chaque critère soient toutes des échelles d’intervalle, autrement dit, des échelles qui donnent un sens à la distance entre deux performances. Or, un tel sens n’est pas nécessairement présent dans toutes les structures de préférence.

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ou en soulignant plus particulièrement certains aspects de la problématique en négligeant d’autres ; que cela se fasse de manière délibérée ou non.

Pour décrire ce processus d’aide à la décision, Tsoukias [177] identifie les artefacts cognitifs produits tout au long de la collaboration analyste – décideur. Ces artéfacts sont :

Une représentation de la situation problématique

L’objectif ici est de construire une première compréhension du contexte problématique, compréhension qui évoluera nécessairement au fur et à mesure du processus de décision. La représentation à laquelle le décideur et l’analyste devront aboutir consistera à apporter des éléments de réponse aux questions suivantes :

ƒ définir les acteurs du processus de décision ; acteurs qui seront représentés par l’ensemble A ;

ƒ définir les enjeux que chaque participant souhaite introduire dans le processus de décision ; enjeux représentés par l’ensemble O ;

ƒ définir les ressources que chaque acteur intègre dans le processus de décision ; ressources représentés par l’ensemble S.

La représentation de la situation problématique est donc un triplet :

P = < A, O, S >

Une formulation de la problématique

En fonction de l’analyse du contexte problématique objet de l’artefact cognitif précédent, une formulation problématique doit être adoptée. Le choix d’une formulation par rapport à une autre est primordial puisque cela revient à une formalisation de la problématique ; formalisation qui marque la réduction d’une situation réelle à une description conceptuelle et abstraite.

La formulation d’une problématique est un triplet :

Γ = < A, V, Π >

ƒ A : l’ensemble des actions potentielles que le décideur souhaite envisager au regard de la situation problématique décrite ;

ƒ V : l’ensemble des points de vue à travers lesquels les différentes actions potentielles seront considérées ;

ƒ Π : la formulation abstraite du problème.

Nous retrouvons dans ce triplet les différents concepts présentés en amont. Ainsi, l’ensemble A regroupe les actions potentielles qui seront examinées lors du processus de décision. La définition d’un tel ensemble est une étape importante dans la mesure où c’est sur cet ensemble que seront appliqués les points de vue V et la formulation abstraite Π.

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De plus, il est important de souligner qu’à ce stade, les différents points de vue n’ont pas nécessairement de structures établies, ils représentent plutôt les axes de signification sur laquelle se basera ultérieurement la construction des critères.

Enfin, la formulation abstraite de la problématique peut faire appel à des listes de formulations classiquement utilisées dans le cadre de l’aide à la décision multicritères et que nous avons présentés en I.3.

Pour apporter des éléments de réponses au triplet spécifié ci-dessus dans le cadre constructiviste qui est le notre, il est nécessaire d’explorer la complexité de la problématique. Cette exploration amènera l’analyste et le décideur à chercher à identifier ou à concevoir des actions potentielles réalisables, à explorer les dimensions significatives pour la caractérisation de ces actions potentielles et enfin définir ce que l’on voudra faire de ces actions : description, optimisation, choix, tri….

De manière générale, les approches utilisées pour aboutir à une telle formulation de problématique sont appelées approches de structuration de problèmes. Contrairement à la théorie classique de la décision où la question de la formulation du ne se posait pas dans la mesure où le décideur était considéré comme ayant une connaissance parfaite de son problème, les approches de structuration de problèmes visent, conformément à la vision constructiviste de l’aide à la décision, à accompagner le décideur dans la formulation du problème de manière à s’assurer que c’est le bon problème qui sera résolu.

Un modèle d’évaluation

Le problème formulé, il s’agit d’élaborer un modèle d’évaluation qui permette d’élaborer des recommandations sur la base des préférences du décideur.

Le modèle d’évaluation en question est un n-uplet : M = < A, {D, E}, H, U, R >

A : ensemble des actions potentielles considérées ;

D : ensemble des dimensions sur lesquels les actions potentielles seront caractérisées et évaluées ;

E : ensemble des échelles d’évaluation ; chacune de ces échelles étant associée à un axe de signification ;

H : ensemble des critères sur lesquels les performances des actions potentielles seront évaluées ;

U : structure d’incertitude ;

R: ensemble des opérateurs d’agrégation utilisés de manière à obtenir une performance synthétique unique pour chaque action potentielle.

Notons que les concepts présentés ci-dessus ne sont pas tous nécessairement utilisables au sein d’un même modèle d’évaluation ou au sein d’une même procédure d’agrégation multicritère. Ainsi, l’auteur cherche ici à fournir une description exhaustive des concepts développés par différentes approches de modélisation (analyse combinatoire, évaluation mono critère, agrégation multicritère basée sur un critère unique de synthèse ou sur un schéma relationnel de préférences..)

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Les recommandations finales

Il s’agit ici de traduire les résultats abstraits fournis par le modèle d’évaluation en des recommandations opérationnelles exprimées dans le langage courant du décideur. Le choix de ces recommandations s’effectue par consensus entre l’analyste et le décideur qui se doivent de vérifier l’adéquation de ces recommandations avec la réalité du terrain. Tsoukias [177] préconise trois précautions nécessaires avant une quelconque implémentation des recommandations :

Une analyse de sensibilité qui permet d’évaluer les impacts sur les

recommandations finales que peuvent engendrer des variations sur des données initiales ou des paramètres du modèle. Ainsi, si de petites variations impliquent des impacts importants sur les recommandations finales, cela implique la nécessité de mieux appréhender les structures d’incertitudes associées à ces données et paramètres.

Une analyse de robustesse dont l’objectif est d’évaluer la qualité des

recommandations finales en considérant différentes variations de paramètres ou données. Ainsi, une recommandation qui demeure satisfaisante même dans les pires scénarios présente des avantages importants.

La légitimation des recommandations en s’assurant que celles-ci trouvent un écho favorable au sein de l’organisation dans laquelle elles doivent être implémentées. Dans la suite de ce document, c’est à ce modèle descriptif de l’aide à la décision que nous ferons appel quand nous utiliserons le terme de processus d’aide à la décision.

Dans ce qui a précédé, nous avons présenté ce que nous entendons par aide à la décision ainsi que les concepts qui lui sont propres. Cette étude peut être qualifiée de microscopique dans la mesure où nous nous sommes intéressés à étudié les concepts, procédures et démarches qui composaient l’aide à la décision. A une telle vision microscopique, il nous semble nécessaire d’allier la vision macroscopique chère à De Rosnay [51] qui revient à étudier l’aide à la décision comme objet en interaction avec son environnement, à savoir l’organisation dans laquelle les modèles que cette aide propose sont sensés être implémentés. Cet éclairage nous semble être d’un apport particulièrement pertinent dans la mesure où la démarche que nous proposerons est issue des concepts relatifs à l’aide à la décision et vise à concevoir des modèles qui seront implémentés dans des contextes multi organisationnels.

L’étude des modèles d’aide à la décision au sein des organisations dans lesquels ils seront implémentés se fait, tout naturellement, dans le cadre des sciences de gestion. De ce fait, nous présenterons ci-dessous un ensemble de concepts relatifs aux sciences de gestion, concepts qui contribueront à mieux caractériser les démarches d’aide à la décision

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II- Aide à la décision dans les sciences de gestion