• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : Proposition d’une démarche de conception de structures participatives

130

Etant donné que notre objectif est de proposer une structure participative, les visions du monde que l’on cherche à comparer portent d’une part sur le ou les problèmes qui justifient un débat et donc une participation, et d’autre part, sur la structure participative que les acteurs souhaiteraient voir mise en place.

Le cadre constructiviste qui est le notre implique que différentes représentations d’une même situation problématique peuvent être considérées comme pertinentes. En d’autres termes, chacun des acteurs détient une part du problème. De ce fait, nous chercherons à enrichir la représentation initiale que se fait le décideur76 en la comparant à l’ensemble des autres représentations pertinentes. Chaque comparaison sera ainsi considérée comme une itération de la boucle présentée en Fig.10.

La démarche de l’analyste s’effectue en deux temps. Dans un premier temps, il rencontre, individuellement, chacun des acteurs jugés pertinents de manière à modéliser leurs représentations du problème à traiter et de la forme à donner aux débats. Dans un second temps, et dans le cadre de son interaction avec le décideur, la comparaison de ces modèles de représentations avec la vision du décideur servira d’outil d’exploration de la complexité de la situation problématique. Ainsi, toute différence, complémentarité ou antagonisme entre les différentes représentations constituera une voie d’exploration qui éclairera une partie de la situation problématique. Notons qu’il est tout à fait envisageable pour l’analyste de rencontrer à plusieurs reprises un même acteur s’il s’avère nécessaire d’expliciter certains points de sa représentation.

Il nous semble que le recours, très tôt, à un tel recueil des différentes visions d’un même problème est de nature à favoriser l’efficacité et la qualité de la démarche d’exploration de la complexité du problème. Efficacité car l’ensemble des représentations seront considérées conjointement et en début de processus de manière à réduire les retours en arrière et les reformulations de problématique le long du processus d’aide à la décision.

Qualité car considérer différentes représentations permettra la prise en compte de

différentes dimensions du problème ce qui constitue certainement un indicateur de la qualité de l’exploration de la problématique. Pour reprendre la métaphore citée en chapitre 4, la variété de ces représentations permettra un éclairage plus uniforme du contexte problématique du décideur, éclairage qui élargira les possibilités d’exploration et donc d’action. Bien évidemment, l’analyste pourra considérer, en plus de ces représentations, toute source d’information ou tout retour d’expérience qui permettra d’enrichir encore la représentation du décideur.

Le principe de comparaison itérative permet donc de construire une représentation enrichie de la situation problématique pour le décideur à travers une boucle itérative à deux temps : 1. modélisation de la représentation de la situation problématique chez les acteurs ;

2. enrichissement de la représentation du décideur en la comparant avec celle recueillie chez un autre acteur.

Le principe général de notre approche ainsi posé, l’analyste doit disposer d’outils de modélisation qui lui permettent de représenter de manière adéquate aussi bien les différentes visions du monde des acteurs que sa propre représentation de la démarche d’interaction qu’il mène.

Nous présentons donc ci-dessous un ensemble de concepts descriptifs dont l’objectif est de servir de support de modélisation à l’analyste

Chapitre 5 : Proposition d’une démarche de conception de structures participatives

131

Les concepts descriptifs

L’aide à la décision implique l’usage d’un langage abstrait et formel. Nous avons vu, notamment à travers les approches dites soft, qu’une structuration de problème passe par l’accessibilité d’un tel langage aux acteurs. De ce fait, la simplification et l’accessibilité du langage de modélisation sont des enjeux majeurs de notre démarche.

Comme explicité ci-dessus, l’analyste devra dans un premier temps modéliser les représentations du monde que construisent les acteurs. Pour cela, nous proposons de caractériser chacun des acteurs participant selon les deux dimensions suivantes :

Une caractérisation intrinsèque qui désigne les éléments sur lesquels se base l’acteur pour construire sa représentation du monde. Dans le cadre de notre travail, nous proposons de considérer pour une telle caractérisation les ressources dont il dispose ainsi que les enjeux qu’il souhaite défendre.

Une caractérisation extrinsèque qui vise à décrire la représentation que se fait l’acteur du contexte problématique dans lequel il évolue. Nous proposons d’effectuer cette description sur la base des objets de débats qu’il souhaite voir abordés, des autres acteurs qu’il souhaiterait voir présents ainsi que des objectifs qu’il souhaiterait voir fixés à la structure participative.

Caractérisation intrinsèque

Il s’agit d’identifier les ressources et enjeux que chaque acteur possède ou considère au regard de sa propre représentation de la situation problématique.

Ces deux concepts ont déjà été largement utilisés dans le cadre de l’aide à la décision, notamment pour construire des typologies d’acteurs [42]. Dans le cadre de notre travail, nous proposons de reprendre ces concepts en précisant néanmoins le sens que l’on souhaite leur accorder.

Ainsi, la notion d’enjeu désigne de manière générale toute préoccupation que l’acteur considère au regard de sa conception de la situation problématique. De ce fait, un enjeu peut être de nature très variée : économique, social, culturel, politique, éthique, légal…

La notion de ressources se définit dans le cadre de notre travail comme tout élément qui confère à un acteur la légitimité d’être considéré dans le cadre de la structure participative à concevoir. Nous proposons de considérer essentiellement trois types de ressources :

Un ensemble de connaissances pertinentes au regard de la problématique. Il est important de souligner ici que nous considérerons comme connaissances pertinentes aussi bien les connaissances scientifiques que les connaissances contextuelles. Ainsi, même si ces dernières ne relèvent pas d’un ensemble de méthodologies rigoureuses et reproductibles comme c’est le cas des connaissances scientifiques, elles demeurent néanmoins essentielles pour la compréhension d’un contexte problématique.

Des systèmes de valeurs légitimes au regard de la problématique considérée.

Ainsi, la prise de décision fait souvent appel, si ce n’est toujours, à des systèmes de valeur. De ce fait, tout système de valeur légitime pour la prise de décision constitue une ressource pour l’acteur qui les porte, ressource qui permettra à celui-ci d’entrer dans la processus particelui-cipatif et éventuellement d’impacter l’évolution des débats. Pour exemple, définir un niveau de risque acceptable pour une

Chapitre 5 : Proposition d’une démarche de conception de structures participatives

132

population nécessite de faire appel à des systèmes de valeurs. La pertinence de la participation des citoyens à la définition d’un tel niveau n’est pas une conséquence de leurs compétences techniques mais plutôt de la légitimité de leurs systèmes de valeurs qui constitue donc leur ressource principale.

Tout attribut associé à un acteur et susceptible de lui conférer un pouvoir d’influence sur l’évolution des débats. Nous proposons de considérer essentiellement trois types d’attributs :

Des attributs juridiques qui désignent tout droit ou responsabilité que confère le cadre réglementaire à un acteur et qui justifient, de fait, sa participation aux débats. Pour exemple, la loi 2003-699 sur les risques technologiques précise que les élus locaux participent aux CLIC. De ce fait, ce droit à la participation, et donc au vote dans le cadre du comité, est une ressource que confère le cadre réglementaire aux élus locaux.

Des attributs économiques qui désignent des ressources financières

nécessaires au financement des décisions qui seront éventuellement prises. Tout acteur susceptible de financer ces décisions entre dans la structure participative du fait des attributs économiques à sa disposition. En d’autres termes, le ou les acteurs qui paieront possèdent, de fait, un droit de regard sur les décisions qui seront prises.

Des attributs sociaux qui désignent la capacité d’un acteur à représenter un groupe social et à en impacter le comportement grâce aux qualités du système relationnel qu’il crée ou a créé avec le groupe en question. Ces attributs sont à considérer dès que la problématique de représentativité d’un groupe social émerge, comme c’est souvent le cas avec le public, en raison du nombre nécessairement limité d’acteurs au sein des structures participatives77. Ainsi, la confiance et le respect que peut inspirer un acteur auprès d’un groupe social constituent les ressources qui permettront de légitimer sa présence dans le cadre des débats. En allant plus loin, la représentativité que possède un tel acteur rejaillit sur l’ensemble de la structure participative, ce qui souligne l’importance de considérer les ressources de type attributs sociaux. Pour exemple, les habitants d’un quartier menacé d’expropriation dans le cadre des PPRT peuvent choisir une ou plusieurs personnes pour les représenter en raison de la confiance qu’ils placent en eux.

Caractérisation extrinsèque

La caractérisation extrinsèque vise à décrire la représentation que se fait l’acteur du contexte problématique dans lequel il évolue. Comme explicité ci-dessus, les représentations qui nous intéressent dans le cadre de notre travail portent sur la formulation du problème à considérer et sur la structure participative à mettre en place.

Le chapitre 2 nous a permis de préciser que la problématique de conception de structures participatives implique d’apporter des réponses sur les acteurs à considérer et leur niveau de participation, sur les objets de débats et enfin sur les objectifs de la structure participative.

Chapitre 5 : Proposition d’une démarche de conception de structures participatives

133

De ce fait, la modélisation des représentations des acteurs s’effectuera sur la base d’un entretien semi-ouvert entre l’analyste et l’acteur considéré qui portera sur les questions suivantes :

Quels sont les acteurs du problème ?

L’acteur interrogé est ici sollicité pour identifier l’ensemble des acteurs qui, au regard de sa représentation propre du contexte problématique, ont une légitimité à être considérés dans le cadre de la structure participative à concevoir. La liste des participants souhaités que fournit ainsi l’acteur interrogé est d’une double utilité pour l’analyste. D’une part, elle peut permettre d’identifier des acteurs pertinents que le décideur et lui même n’avaient pas considérés au préalable. D’autre part, considérer un acteur comme pertinent dénote nécessairement d’une vision spécifique du problème à résoudre. De ce fait, amener l’acteur interrogé à argumenter ses choix permet à l’analyste d’explore et de mieux comprendre sa vision de la situation problématique.

Quels objets de débat considérer ?

Comme précisé en chapitre 2, les objets de débats sont les messages que l’acteur souhaite transmettre aux autres participants ainsi que tout sujet, thématique ou problème qu’il souhaite voir abordés.

En précisant quels peuvent être les objets de débats qui lui paraissent pertinents, l’acteur est ici amené à s’exprimer sur les aspects problématiques qui lui paraissent critiques et donc nécessaires d’aborder. Il exprime aussi des prises de position et des revendications dont la connaissance peut s’avérer fort utiles pour l’enrichissement de la vision du décideur.

Quels objectifs affecter à la structure participative ?

Une structure participative peut avoir des objectifs multiples. Elle peut être dédiée à une problématique particulière ou avoir une existence à long terme ; elle peut être destinée à résoudre des conflits, à constituer une force de proposition, à prendre des décisions….

Tout acteur peut affecter, en fonction de ses propres objectifs et connaissances, différents objectifs et missions à une telle structure participative. Il est donc nécessaire de les interroger préalablement sur leurs attentes et espérances concernant la structure participative à concevoir.

Un espace d’interaction

Dans le cadre de ce travail, nous considérerons que l’ensemble des acteurs ainsi caractérisés seront amenés à interagir dans le cadre d’un espace d’interaction. En reprenant ce concept à Ostanello et Tsoukias [122], nous le définirons dans le cadre de notre travail comme une structure, formelle ou informelle, dotée d’un ensemble de règles et destinée à fournir un cadre d’interaction à un ensemble fini d’acteurs.

De ce fait, concevoir une structure participative revient à proposer un modèle d’organisation de l’espace d’interaction. Un tel modèle spécifiera les acteurs à considérer, leurs niveaux de participation respectifs, les sujets de débats qu’ils seront amenés à traiter et les objectifs à affecter à leur interaction.

Chapitre 5 : Proposition d’une démarche de conception de structures participatives

134

Les concepts ainsi présentés, nous proposons de représenter toute situation d’interaction entre différents acteurs dans un cadre participatif par le modèle descriptif de la fig.11.

Figure 11 Modèle descriptif des interactions entre acteurs dans un cadre participatif.

Le principe de comparaison itérative ainsi que les concepts descriptifs présentés ci-dessus constituent respectivement le principe et les outils de la démarche de conception de structures participatives que nous présentons dans ce qui suit.