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2.1.1 La loi de Kozeny-Carman

Joseph Kozeny, scientifique autrichien, propose en 1927 une loi permettant de relier la vitesse

d’écoulement d’un fluide au sein d’un milieu poreux (vitesse de Darcy) aux caractéristiques

géo-métriques de ce dernier, afin d’évaluer le comportement des sols saturés en eau. Il fait à l’époque

l’hypothèse que les pores peuvent être assimilés à des tubes capillaires de même longueur, dans

lesquels s’écoule un fluide newtonien. Il obtient ainsi, via l’équation de Navier-Stokes, une

esti-mation de la vitesse de Darcy dépendant des propriétés du fluide, du gradient de pression appliqué,

de la porosité du milieu et d’un facteur géométrique variant selon la forme et la taille de la section

droite des tubes capillaires [138]. Une dizaine d’année plus tard, Philip C. Carman modifie cette

loi en considérant cette fois que les sols poreux peuvent être assimilés à des particules solides

irrégulières autour desquelles s’écoule le fluide [36, 37].

Bien qu’initialement développées pour étudier le comportement des sols, ces lois ont ensuite

été utilisées dans de nombreux domaines, et ont été écrites sous des formes variées, pour arriver

à la loi de Kozeny-Carman utilisée aujourd’hui, qui permet de relier la perméabilité intrinsèqueκ

d’un milieu isotrope à sa porositéηf selon :

κ= η

3

f

c(1−ηf)2A2 (2.1)

où c et A sont respectivement le paramètre de Kozeny et la surface spécifique du milieu. Cette

dernière correspond à l’aire de l’interface fluide-solide Af s par unité extensive du milieu poreux

étudié – masse ou, comme considéré dans la suite de cette étude, volumeV – soit A = Af s/V.

Par ailleurs, c peut être exprimé comme une fonction linéaire du carré de la tortuosité θ, où θ

correspond au ratio entre la longueur réellel(à l’échelle microscopique) parcourue par le fluide et

la longueur macroscopiqueLdu milieu. On peut ainsi écrire

c=αθ2

l

L

2

(2.2)

où la valeur du facteur de formeαest typiquement comprise entre 2 et 3 [66].

Cette relation semi-analytique s’appuie sur les théories fondées sur le rayon hydraulique, qui

font l’hypothèse que le milieu poreux considéré est équivalent à un ensemble de tubes fins tortueux

entourés de matrice solide. Ainsi, en associant une estimation numérique du flux de fluide aux

observations expérimentales, on peut mettre en évidence une dépendance entre la perméabilité et

la structure géométrique du réseau de pores. Dans cette approche, on suppose que le milieu est

saturé en fluide, que les pores sont non occlus et que leur distribution au sein du matériau est

uniforme en taille et en tortuosité. Enfin, cette relation n’est pas adaptée aux matériaux à forte

porosité [113].

Bien que cette loi présente de nombreuses limitations et nécessite la détermination

expéri-mentale du paramètrec, l’équation de Kozeny-Carman est très largement utilisée pour estimer la

perméabilité des milieux poreux. De plus, elle peut être simplifiée dans le cas de matériaux à faible

porosité. En effet, en notantδla taille caractéristique des pores etVf leur volume, on peut estimer

A et ηf selonA ≡ δ2/V et ηf = Vf/V ≡ δ3/V. On obtient ainsi, à partir de l’équation (2.1),

l’approximation de la loi de Kozeny-Carman pour les matériaux à faible porosité (FP) :

κ= ηfδ

2

c(1−ηf)2 (2.3)

Une autre approximation classique utilisée dans l’étude des milieux poreux consiste à

représen-ter le milieu poreux comme un ensemble de particules solides sphériques, le fluide s’écoulant dans

les espaces restants entre ces sphères. En exprimant la surface spécifique en fonction du diamètre

ddes sphères solides, la relation de Kozeny-Carman devient [177] :

κ= η

3

fd2

k(1−ηf)2 (2.4)

oùk est le paramètre de Kozeny modifié. Cette équation peut s’écrire différemment, en exprimant

la perméabilité en fonction de la taille de pore caractéristiqueδau lieu du diamètre des sphèresd.

En notantVsle volume de la matrice solide et en remarquant que l’indice des videse =Vf/Vs =

(VfV)/(V Vs) =ηf/(1−ηf)peut être approché dans ce cas particulier parηf/(1−ηf)≡(δ/d)3,

on peut alors, en remplaçantdpar une fonction deδetηf, écrire la loi de Kozeny-Carman dans le

cadre de l’approximation des sphères solides (SS) :

κ= η

7/3

f δ2

k(1−ηf)4/3 (2.5)

Enfin, si on considère maintenant que le réseau lacuno-canaliculaire peut-être représenté de

fa-çon grossière par un ensemble de tubes capillaires orientés dans la direction radiale de l’ostéon, on

peut introduire une troisième approximation classique de la loi de Kozeny-Carman. En

schémati-sant le réseau de pores par des cylindres tortueux (de taille caractéristiqueδet de tortuositéθ) et en

utilisant la loi de Poiseuille, on obtient l’approximation de la loi de Kozeny-Carman pour les

cy-lindres tortueux (CT), qui nous permet d’estimer la perméabilité dans la direction de l’écoulement

[43] :

κ = ηfδ

2

32θ2 (2.6)

Remarque : La taille caractéristique de pore δ ainsi définie correspond au ratio entre le volume

fluide et la surface de l’interface fluide-solide, et est donc reliée au rayon hydraulique RH des

pores considérés par un facteur de forme dépendant de la géométrie de ces derniers. En particulier,

dans le cas de pores cylindriques (de rayonRp), on aδ=Rp/2 = RH.

Dans ce paragraphe, nous avons donc introduit trois lois semi-analytiques permettant

d’expri-mer la perméabilité intrinsèque d’un réseau poreux en fonction des paramètres de texture de ce

dernier, dont la porosité, la tortuosité, la surface spécifique, les paramètres de Kozeny et la taille

caractéristique des pores. Ces lois correspondent à trois cas particuliers classiques utilisés dans

l’étude des milieux poreux. Même si la morphologie du réseau lacuno-canaliculaire (tant en terme

de porosité que de forme des pores) indique que les approximations (FP) et (CT) sont plus adaptées

à l’étude de l’os cortical que l’approximation des sphères solides (SS), nous avons choisi de

pré-senter également cette dernière pour pouvoir prendre en compte les résultats de l’étude de Goulet

et al. [94], qui s’appuie sur une taille de particules, et non une taille de pores, pour déterminer la

perméabilitéκ.

2.1.2 Estimations correspondantes de la taille des pores lacuno-canaliculaires

D’après les études récentes disponibles dans la littérature, la porosité lacuno-canaliculaire ηf

de l’os cortical est comprise entre1%[35] et12%[94]. Nous considérerons donc ici queηf ≈5%,

ce qui correspond aux résultats des travaux de Cowin [49]. Sa tortuosité correspond quant à elle à

celle des dendrites ostéocytaires, décrite par Marotti et al. [169], dont la valeur est estimée entre

2et3 [153, 120]. De plus, le paramètre de Kozenycapparaissant dans l’équation (2.1) peut être

estimé en fixant la valeur du facteur de formeαà2.5[177], et le paramètre analogue apparaissant

dans l’équation (2.4) dans le cadre de l’approximation des sphères solides peut être calculé de

manière exacte tel quek = 72[177].

en fonction de la taille caractéristique des pores pour les trois approximations classiques de la loi

de Kozeny-Carman présentées au paragraphe précédent (faible porosité (FP), sphères solides (SS)

et cylindres tortueux (CT)), d’après les équations (2.3), (2.5) et (2.6) respectivement. Deux

rec-tangles correspondent ensuite aux plages de valeurs issues respectivement des expérimentations

récentes (rectangle de gauche A) [208, 85, 88] et des études théoriques de l’écoulement fluide

lacuno-canaliculaire (rectangle de droite B) (voir tableau 2.1). Deux lignes horizontales ont enfin

été ajoutées comme repères représentant la taille d’une molécule d’eau (3×1010m, ligne en

poin-tillés) et la taille minimale d’un pore nécessaire à la présence d’eau libre en son sein (2×109m,

ligne continue). Cette dernière valeur est déterminée à partir des estimations expérimentales de

l’évolution de la distance inter-feuillets d’une argile lors de son gonflement cristallin [203]. En

ef-fet, lors de l’humidification d’une argile sèche, les premières molécules d’eau qui pénètrent entre

les feuillets forment des couches d’eau adsorbée. Lorsque quatre couches sont formées, le

proces-sus de gonflement change à cause des phénomènes de pression osmotique, et de l’eau libre apparaît

au sein des pores.

FIGURE 2.1 – Evolution de la taille des pores en fonction de la perméabilité pour les différentes approximations du

modèle de Kozeny-Carman.

des estimations de taille de pore supérieures aux approximations de faible porosité (FP) et des

cylindres tortueux (CT). Cela s’explique par le fait que cette approximation (SS) est mal adaptée

aux milieux à faible porosité, puisque les géométries types auxquelles elle est associée ont des

porosités généralement comprises entre30%et50%(sable humide par exemple). En utilisant cette

approximation pour l’os cortical, on sous-estime donc, à géométrie fixée, la perméabilité

lacuno-canaliculaire.

Malgré tout, quelle que soit l’approximation considérée, les données morphologiques de l’os

associées aux mesures expérimentales récentes deκ conduisent à des estimations de la taille

ca-ractéristiques de pore comprises entre 3×1012 et 2×109 m, qui sont inférieures à la taille

minimale nécessaire à la présence d’eau libre en leur sein. Comme nous l’avions suggéré au

dé-but de ce chapitre, ces mesures pourraient donc ne pas correspondre en l’état à la perméabilité

lacuno-canaliculaire classique. Dans la section 2.3, nous proposerons des pistes d’explication de

cet apparent paradoxe.

En revanche, l’ordre de grandeur des tailles caractéristiques de pore correspondant aux

estima-tions théoriques de la perméabilité est globalement satisfaisant, à l’exception des modèles (FP) et

(CT) pour les estimations les plus basses deκ. Plus précisément, si on considère que la taille

carac-téristique d’un canalicule est supérieure à la distance moyenne entre deux fibres péricellulaires (de

l’ordre de quelques nanomètres [280]) et inférieure au rayon moyen d’un canalicule (soit environ

0.1 µm [49]), les modèles (FP) et (CT) donnent une plage de valeurs pour la perméabilité

intrin-sèque allant de 1018 à 1020 m2, située dans la moitié haute des valeurs issues de la littérature.

Néanmoins, un biais important de ces méthodes d’estimation provient de la présence d’une

ma-trice péricellulaire fibreuse au sein des canalicules, qui n’y est que très peu prise en compte. C’est

à cet aspect que nous allons maintenant nous intéresser, en proposant une relation semi-analytique

entre la perméabilité intrinsèque lacuno-canaliculaire κ et la structure microscopique des pores

canaliculaires.