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La perception visuelle, l’affordance et l’enaction : rôles et impacts de l’œuvre d’art danns

Chapitre  2   -­‐ Les conséquences de la contemplation d’une œuvre d’art sur les

1. La perception visuelle, l’affordance et l’enaction : rôles et impacts de l’œuvre d’art danns

 

Une œuvre d’art plastique se trouve toujours dans un contexte singulier, celui d’un secteur public ou privé. La perception visuelle inscrit ainsi le spectateur lui-même dans l’environnement de ce stimulus artistique. Ce constat fait référence aux théories de Gibson en psychologie écologique sur la perception (1986) et sur les affordances (1977). La première

met en exergue les liens indissociables entre perception, stimulation et environnement. L’affordance (1977) est la « faculté de l’homme, et de l’animal en général, à guider ses

comportements en percevant ce que l’environnement lui offre en termes de potentialités d’actions » (Luyat & Regia-Corte, 2009). La théorie de l’affordance, qui concernait majoritairement les répercussions de produits de design (graphique ou industriel) sur l’usager a été étayée dans les travaux de Norman (1999) à travers les distinctions entre deux formes d’affordances («réelle », « perçue ») et le concept de « non affordance ». La notion d’ « affordance réelle » porte sur les potentialités inhérantes au produit regroupant l’ensemble des actions possibles par son usage. La perception de l’usage de l’objet par l’interactant est pour sa part une affordance dite « perçue ». Enfin, le concept de « non-affordance » est l’entité qui rassemble les actions dont le traitement est inenvisageable avec l’objet, telle la contraite physique de ne pouvoir déplacer avec la souris d’ordinateur, le curseur perçu sur l’écran en dehors de celui-ci (Norman, 1999).

Des études montrent que l’environnement a une influence sur l’état de l’usager comme sur la douleur ressentie dans des environnements de soins (Craig, 2003 ; Fields & Basbaum, 1999 ; Malenbaum, Keefe, de C. Williams, Ulrich & Somers, 2008 ; Melzack, 1999 ; Ulrich, 1999). Norman (1999) souligne notamment l’importance de mener les études dans un contexte « normal » ou habituel d’exposition et d’usage pour l’étude des comportements et des processus psychologiques sous-jacents.

Le cadre de l’emplacement d’une œuvre d’art a un rôle déterminant sur les appréciations artistiques et sur le sentiment de beauté provoqués par l’art. Une même œuvre d’art peut ainsi être jugée et appréciée différemment selon l’environnement d’exposition (Brieber, Nadal & Leder, 2015 ; Kirk, Skov, Hulme, Christensen, & Zeki, 2009). L’étude de Brieber et al. (2015) évalue l’impact du contexte dans la perception artistique. Elle porte sur 139 étudiants qui ont été répartis en trois groupes. Les groupes ont été placés dans des environnements d’exposition différents (sur ordinateur et/ou au musée). Les deux premiers ont pu observer les œuvres à la fois dans un musée et sur ordinateur dans un laboratoire. Les deux groupes se sont ainsi distingués selon l’ordre de la tâche et de son contexte (musée puis au laboratoire, et inversement pour le second groupe). Le troisième groupe n’a pu observer les mêmes œuvres que dans un cadre expérimental sur ordinateur. Les résultats indiquent que les œuvres d’art exposées dans un musée vont être plus appréciées et vont susciter plus l’intérêt des spectateurs que si celles-ci sont observées uniquement sur ordinateur dans un contexte expérimental standard (bureau). Au-delà du changement esthétique, les spectateurs qui ont été

dans le musée se souviennent d’un nombre plus important d’œuvres que ceux qui les avaient perçues uniquement sur ordinateur. Dans un contexte réel d’exposition, la charge cognitive lors de la rencontre à l’art engendre un meilleur stockage en mémoire à long terme des informations perçues.

Pour étudier l’impact d’une œuvre d’art sur la perception du spectateur, il est ainsi nécessaire de prendre en compte son contexte d’exposition mais également son potentiel d’action et son rôle dans son environnement. Nous avons évoqué l’affordance tactile des sculptures précédemment pour parvenir à aborder maintenant les affordances sociales et linguistiques des objets d’art.

Une œuvre d’art est un objet inanimé qui peut être considéré comme un objet intermédiaire ayant un rôle déterminant dans la relation homme-objet. Elle est potentiellement le vecteur d’un partage socio-culturel, de l’émergence de catégories sémantiques, de représentations mentales et de rappels mnémoniques.

L’œuvre artistique, située dans un contexte singulier, s’avère être possiblement un intermédiaire aux interactions sociales. Comme tous types d’objets (Paveau, 2012), l’œuvre d’art matérielle ou immatérielle représente un acteur dans le développement des liens sociaux. Trompette et Vinck (2009) retracent différents travaux qui s’articulent autour de l’ « objet- frontière ». Celui-ci est un artefact qui a le potentiel de réunir des acteurs sociaux. Par exemple, le maintien d’une carte a le potentiel de susciter des interactions verbales et conversationnelles dans un objectif commun des interactants de cartographier mentalement l’environnement. Dans le secteur de la santé, Joan Furimura en 1992 a montré qu’une pathologie pouvait être considérée comme un objet frontière qui rassemble les professionnels de la santé (cité par Trompette & Vinck, 2009). La prise en considération du contenant (contexte, éléments environnants...) et du contenu (ses caractéristiques spécifiques : attributs vivants et non vivants, représentations, formes...) sont primordiales dans l’analyse des effets des objets. En s’appuyant sur l’approche sociologique baptisée « Actor-Theory Network » (ANT) ou théorie de l’ « acteur-réseau », les travaux de Latour et Callon portent un attention particulière non seulement aux êtres humains, à leurs pratiques et à leurs interactions mais aussi en ne négligeant pas l’environnement global et son contenu : objets, artefacts et dispositifs techniques (Mondada et al., 2007).

L’œuvre d’art trouve potentiellement une fonction d’intermédiaire qui rapproche les individus dans l’environnement. Les affordances linguistiques et interactives de l’art vont se manifester par des échanges verbaux et non-verbaux entre les êtres-humains réunis autour d’une œuvre (e. g., entre des touristes). Une communication triangulaire s’élabore ainsi entre l’objet artistique, son créateur et les spectateurs.

Le contexte et la localisation de l’œuvre dans l’environnement sont des variables intervenant dans les jugements artistiques portés par le spectateur. L’environnement a une influence sur les appréciations esthétiques et sur les processus mentaux procurés (Brieber, Nadal & Leder, 2015). Par ailleurs, l’objet d’art, comme tout type d’objet, a un rôle de médiateur des interactions sociales (Paveau, 2012 ; Trompette & Vinck, 2009). La perception du stimulus artistique dans l’environnement d’exposition, l’action liée à l’affordance de l’objet et ses effets d’enaction, dans la diversité des processus mentaux potentiellement suscités, représentent trois dimensions centrales mobilisées (Luyat & Regia-Corte, 2009 ; Varela, Thompson & Rosch, 1993) dans une expérience esthétique d’art visuel. Pour comprendre l’un de ces effets, une étude systématique globale est primordiale.

2.  Les  liens  entre  l’artiste  et  le  spectateur      

L’œuvre d’art est un média qui transmet une pluralité de sens (Changeux, 1994 ; Chouvel & Hascher, 2010) qui sont ceux du créateur. Le spectateur, confronté à la composante sémantique de l’œuvre, va potentiellement les traiter ses traits et les interpréter lors de cette tâche hautement subjective (Changeux, 1994, 2010 ; Vigoroux, 1992 ; Zeki, Romaya, Benincasa & Atiyah, 2014). L’attribution d’un jugement d’une œuvre d’art va être différente selon l’observateur et le rapport qu’il entretient avec l’art dont les connaissances générales et les expériences personnelles qui y sont liées (De Maere, 2014 ; Di Dio, Maculuso, & Rizzolati, 2007 ; Platel & Thomas-Antérion, 2014). En utilisant l’imagerie fonctionnelle, l’étude de Di Dio et al. (2007) montre en effet, la différence de jugements entre deux groupes (spécialistes du domaine de l’art versus novices) face à des peintures pourtant identiques (cité par De Maere, 2014).

Une œuvre d’art semble détenir un fort potentiel d’interactions inter-individuelles où s’engage une « communication intersubjective » non verbale entre l’artiste et le spectateur (Changeux,