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La méthode interlocutoire inspirée de Logique interlocutoire 150

Chapitre  5   – Méthodologie d’analyse des effets de la perception de sculptures,

V. Méthode 148

1.   La méthode interlocutoire inspirée de Logique interlocutoire 150

 

 

La recherche JAZ ART s’inscrit sur le plan méthodologique, comme l’étude de la psychologie pragmatico-dialogique. Pour parvenir à un répertoire des processus mnésiques mobilisés devant les éléments artistiques du jardin, la méthodologie employée sera celle de l'analyse interlocutoire, inspirée de la Logique interlocutoire mise en point au Groupe de Recherche sur les Communications (Batt, Trognon, Jonveaux et al., 2014 ; Trognon & Batt, 2003). Cette méthode permet une analyse fine des interactions en extrayant du dialogue, les caractéristiques psychologiques, sociales et contextuelles sous-jacentes.

Logique interlocutoire, ces deux termes sont intrinsèquement liés. Cette démarche d’analyse étudie les énoncés qui s’entremêlent logiquement dans le dialogue entre des locuteurs (Trognon, 2003).

« Le but de la logique interlocutoire est donc de décrire les événements interlocutoires tels

qu’ils surviennent naturellement, indissolublement en tant qu’activité sociale et en tant qu’activité discursive (Trognon, 1999 ; Trognon & Kostulski, 1999 ; Trognon & Coulon, 2001) » (Trognon, 2003, p. 414)

L’analyse interlocutoire prend comme unité minimale d’observation l’énoncé. La méthode permet de modéliser finement ses composants élémentaires (les actes de langage, leur contenu propositionnel, leurs modalités et leurs connecteurs interactifs éventuels) et les liens qu’ils entretiennent entre eux. Pour illustrer les composants du discours, nous présentons l’extrait d’un entretien de la recherche exploratoire. Dans cette séquence conversationnelle (encadré 3), Monsieur G, atteint d’une démence mixte (maladie d’Alzheimer à composante vasculaire) à un stade modéré, partage un souvenir personnel et collectif lorsqu’il regarde un arbuste du jardin en interaction avec l’expérimentatrice (psychologue).

Encadré 3: Extrait d’une séquence conversationnelle avec Mr G devant un buddleia lors d’une promenade dans le jardin (Yzoard, Batt, Trognon et al., 2017)

225Ga : (rires) + celle-là 225Gb : j'vais vous dire un nom

225c : que toute (en riant) toute ma génération connaît (↓)

225Gd : dans (→) euh (→) dans mon jargon mon jargon (inaudible) (↓) c'est un arbre de la mère Martin (en riant) (↓)

225Ge : c'est

Notes : Les caractéristiques démographiques et cliniques de Mr G sont accessibles dans l’article (Yzoard, Batt, Trognon et al., 2017).

Tableau 17 : Illustration des composants élémentaires des énoncés de Mr G et l’entrée visuelle d’un arbuste (buddleia)

Les énoncés contiennent une variété de propriétés possibles. Ils rendent compte des processus psychologiques sous-jacents impliqués dans le dialogue émergeant dans un contexte singulier devant une entrée perceptive. Dans cet extrait (tableau 17), les assertifs décrivent un événement actuel, passé ou à venir (prédicats conjugués). Le partage de connaissances générales est matérialisé par une modalité épistémique et l’expression verbale de la mémoire des sémantique (« dans mon jargon »), qui sera lié dans un second temps, à un souvenir

personnel (mémoire épisodique) et collectif (« toute ma génération connaît »). Les rires exprimés par le sujet soulignent les émotions positives suscitées par les réminiscences personnelles du contexte passé et de ses composants vivants perçus lors d’une relation sociale.

La méthode interlocutoire repose sur l’analyse des propriétés du langage qui ont été décrites par plusieurs auteurs. La théorie d’Austin et celle de Searle & Vanderveken sur les actes de langage étayent les descriptions des contenus discursifs (Austin, 1970 ; Searle, 1972 ; Searle & Vanderveken, 1985).

Un énoncé est décrit en classifiant le type d’acte de langage d’un locuteur tout en précisant son contenu propositionnel (Searle & Vanderveken, 1985). Ce dernier peut-être lui-même décomposé en mettant en exergue ses contenants (e. g., son prédicat, un ou plusieurs arguments éventuels qui y sont associés).

Enonciation Non-verbal Acte de langage Connecteur interactif Modalité Contenu propositionnel Prédicat Arguments

225Ga (rires) Illocution (assertion) « Celle-

là » (buddleia = B)

225Gb en riant Assertif Futur proche

Dire

(G, « un nom »)

225Gc Assertif que épistémique Présent

connaitre Génération de Mr G 225Gd en riant assertif (épistémique) « Dans mon jargon » Présent Etre (B, Un arbre de la Mère Martin)

225Ge Assertif Présent Etre ∅

225Gf Assertif parc’que Spatiale (locatif) Passé Avoir (il, une

La classification des actes illocutoires de Searle (1972) a été inspirée des travaux d’Austin. Le philosophe a mis en évidence trois actes qui composent de façon systématique un énoncé (Austin, 1970 ; Trognon & Blanchet, 2005 ; Trognon & Bromberg, 2007) : l’acte 1) « locutoire » : rend compte de l’usage simultané de trois sous actes par la production de sons organisés et d’éléments syntaxiques et sémantiques ; 2) « illocutoire » : représente l’action associée à la production langagière articulée. L’action de produire verbalement un énoncé est ainsi elle-même adjointe d’une action du locuteur qui s’accomplit dans l’ici et le maintenant de la scène énonciative (Ghiglione, 1986) ; 3) « perlocutoire » : a une fonction intrinsèque qui concerne les effets d’un énoncé sur l’auditeur.

Selon la théorie de Searle & Vanderveken (1985), Les êtres humains ont dans toutes les langues du monde entier cinq façons de s'exprimer, par la production d’actes illocutoires assertif, directif, promissif, expressif et déclaratif. Chaque acte contient une force illocutoire et un contenu propositionnel qui sont susceptibles d'être analysés. La force illocutoire est elle- même composée d’un but et d’une direction d'ajustement (Ghiglione & Trognon, 1993). L’acte de langage assertif décrit le monde au sens large. Le contenu propositionnel de l’acte est la description d’un état de fait. La direction d’ajustement de l’acte est orientée du monde aux mots. Son but à une valeur descriptive par la mise en mot d’un fait partagé. L’acte directif est pour sa part une requête de deux formes possibles : d’action ou d’information. Cette dernière est formulée sous différents types de questions : catégorielles, qui ouvrent l’univers du discours du répondant, et celles fermées par l’énonciation de questions propositionnelles (Hintikka, 1976 ; Batt, Trognon & Langard, 2010) ou disjonctives. L’acte de langage directif peut être décrit également selon ses composantes sémantiques. Les messages des requêtes d’information et d’action peuvent être qualifiés de direct ou d’indirect. L’acte de langage directif direct exprime explicitement l’intention communicative du locuteur dans la production d’un message littéral (Ghiglione & Trognon, 1993). L’acte directif indirect suppose, quant à lui, la mobilisation des traitements inférentiels chez l’auditeur. Les inférences permettent d’approcher le contenu latent de l’énoncé en suivant une approche pragmatique par la prise en compte du contexte interactif (Dardier, 2004 ; Grice, 1979 ; Searle, 1979). Un troisième type d’acte illocutoire, permet à l’individu de partager, par la production d’un acte expressif, ses ressentis, ses sentiments, et tout un panel d’affects et d’états mentaux issus de son système psycho-affectif (e. g., la nostalgie exprimée ou d’autres expressifs plus formels tels que ceux de politesse). Le quatrième acte de langage consiste à produire des mots pour s'engager personnellement à accomplir un état de chose. Il s'agit des

promissifs (e. g., « je serai là ») qui démontrent l’engagement que le locuteur accomplit par une simple énonciation. Enfin, on peut grâce aux mots, transformer le monde par la production de déclaratifs. Ces derniers sont liés au rôle et au statut du locuteur dans un contexte d’énonciation particulier (Ghiglione & Trognon, 1993).

La logique interlocutoire est ainsi une méthode qui favorise l’identification des composants élémentaires du discours mais également des liens logiques qui s’établissent entre des énoncés. Ces liens sont matérialisés par des connecteurs interactifs (i. e. « consécutifs », « argumentatifs », « contre-argumentatifs », « réévaluatifs ») (Batt, Trognon, Jonveaux et al., 2014 ; Batt, Trognon & Langard, 2010 ; Roulet et al., 1985). Les modalités sont d’autres éléments discursifs qui rendent compte des relations entre des éléments littéraux et les processus psychologiques sous-jacents. Les modalités représentent la « traduction intra

discursive de l’état psychologique du locuteur » (Batt, Trognon & Langard, 2010, p. 367).

Elles peuvent être qualifiées de « temporelle », « déontique », « épistémique », d’« ontique » (Gardies, 1979) et d’ « intentionnelle » (Batt, Trognon & Langard, 2010). Ainsi, chacune de ces unités discursives et des silences modélisent la trace et l’empreinte des processus cognitifs mobilisés lors de cette tâche (Sorsana, 2003). Les interactions auront immanquablement des répercussions sur les futures conduites interactives. Les modalités « spatiales » par l’emploi de locatifs (e. g. nom d’une commune citée) sont d’autres critères qui complètent sa désignation.

La Logique interlocutoire analyse ainsi des composants microscopiques des énoncés mais également à plus grande échelle, sur un plan macroscopique, les échanges, les séquences et transactions conversationnelles aboutissant à la co-construction des liens sociaux (Ghiglione & Trognon, 1993 ; Roulet et al., 1985 ; Trognon, 2003). L’analyse des conduites interactives met en évidence les effets du dialogue sur les processus psychologiques et les comportements sociaux des interactants. Trognon & Brassac (1992, p.76) font bien mention que « l'enchaînement conversationnel relève plus d'une logique de l'action (Labov & Fanshel,

1977 ; Moeschler, 1991 ; Trognon, 1984) ». C’est toute cette action au sens large,

matérialisée par le mode d’accomplissement des énoncés produits et leurs effets sur la sphère cognitive, psycho-affective et socio-relationnelle des interactants, qui sera modélisée. La démarche suivie favorise l’analyse des expériences individuelles esthétiques de l’art dans différents contexte d’exposition (jardin / bureau), lors de deux visites.