• Aucun résultat trouvé

Pour les paysans indiens du Mexique, la chasse est aujourd’hui une activité tout à fait secondaire, mais son statut dépend de divers facteurs : les traditions de chasse, leur

Dans le document La chasse. Pratiques sociales et symboliques (Page 192-195)

impor-tance (liée à l’histoire des droits d’accès), les savoirs associés et l’état de conservation du

milieu naturel. Ainsi, chez les Mayas des basses terres, la chasse est encore relativement

vivace

23

, mais dans bien d’autres endroits, l’environnement est tellement dégradé que la

faune se fait rare. Dans le pays mixtèque, les grands félins ont disparu et d’autres

espè-ces, dont le cerf, se sont raréfi ées

24

. Peu d’hommes y sont réputés être de bons chasseurs.

En mixtèque, il n’y a pas de terme particulier pour « chasser », on dit simplement « aller

chercher des animaux » (nuku kiti). Comme nous l’avons vu, la tradition et les savoirs sur

la chasse ont été restreints car réservés à une élite. Actuellement comme antérieurement,

les deux types de chasse utilitaire et organisée et ritualisée se distinguent toujours. La

première est souvent réalisée au cours d’autres activités et la seconde, plus occasionnelle,

20. ACUÑA 1984 ; CASAS et al., pp. 115-127 ; MACNEISH 1967 ; FLANNERY 1986.

21. KATZ à paraître.

22. D’après HÉMOND 1996, il est possible de diff érencier un animal ordinaire d’un nahual en détectant un détail insolite dans son apparence ou dans son comportement, qui le distigue du commun de ses congénères.

23. MARCH 1987 ; GREENBERG 1992.

est principalement centrée sur le cerf, fi gure hautement symbolique

25

. Ce modèle semble

valable pour l’ensemble des Indiens du Mexique.

La chasse utilitaire vise la satisfaction des besoins alimentaires. En pays mixtèque

comme dans le Mexique, l’alimentation paysanne aujourd’hui est encore basée sur

l’asso-ciation maïs-haricot. L’élevage a été adopté par les Indiens mais souvent à petite échelle :

une basse-cour, un cochon, parfois quelques caprinés. Jusqu’aux dernières années, avant

l’arrivée massive des poulets de batterie, la plupart des paysans des régions pauvres du

centre et du sud du pays consommaient de la viande d’élevage, de la volaille surtout, une

fois par quinzaine. La situation ne s’est guère améliorée depuis le xvi

e

siècle. Les animaux

sauvages, plus ou moins disponibles selon le milieu naturel et les contraintes sociales, ont

donc toujours constitué un supplément protéique. À San Pedro Yosotato, le couvert

fores-tier autour du village était plus important jusque dans les années 1940, et la faune plus

abondante. Les gens disposaient de moins d’argent pour acheter de la viande d’élevage,

aussi les familles dont un membre savait chasser se nourrissaient-elles de gibier, comme en

témoigne une habitante née vers 1930 : « Quand j’étais petite, nous étions pauvres, mais

nous n’avons jamais eu faim, car mon père était un bon chasseur. Il trouvait toujours des

animaux, et en vendait une partie ». Cet homme chassait alors uniquement au moyen de

pièges, la technique la plus fréquente jusqu’à cette époque.

Pour chasser les oiseaux, des sarbacanes étaient utilisées dont les projectiles étaient les

noyaux de « sarbacane » (cerbatana), en mixtèque titi sno’o (Saurauia oreophila). Dans les

années trente, les Zapotèques de la Vallée d’Oaxaca utilisaient cette arme de la même

façon avec des boulettes d’argile en guise de munitions, et son usage chez les Aztèques et

les Mayas est mentionné au moment de la conquête

26

. Aujourd’hui, les enfants chassent

les oiseaux et les écureuils au lance-pierre et les adultes n’utilisent plus que des armes à feu.

Malgré le coût de ces objets, plusieurs personnes possèdent des fusils de chasse et certains

hommes portent toujours un pistolet à la ceinture.

Actuellement, des hommes se lancent parfois dans une chasse intentionnelle, seuls ou

en petit groupe, avec des fusils. Ils chassent le plus souvent le lapin ou le lièvre à

l’appro-che, de préférence la nuit dans les friches. Les paysans chassent plus communément au

cours de leurs déplacements ou de leurs autres activités, surtout dans les espaces cultivés.

Ils emmènent leur pistolet ou leur fusil et à l’occasion tirent sur des petits animaux : un

écureuil, un oiseau, un tatou… Il arrive que des hommes ou des femmes tuent un

ani-mal avec un bâton, dans les caféières et dans les jardins près des maisons. Un opossum

juché dans un arbre peut en être délogé à l’aide d’une perche puis saisi par les chiens, qui

attrapent aussi des petits animaux dans les caféières. Cette symbiose entre chasse et

agri-culture, mise en évidence par Linares, est tout à fait caractéristique des modes de gestion

du milieu par les Indiens du Mexique comme probablement du reste de l’Amérique

tropi-cale. Chaque espace donne lieu à une « utilisation multiple des ressources »

27

, qui s’oppose

totalement à la monoculture. Il n’y a pas, comme dans d’autres sociétés, de séparation

marquée entre le sauvage et le cultivé, entre l’agriculture et la cueillette ou l’agriculture

et la chasse. Avec l’agriculture sur brûlis, un espace cultivé a pour vocation de retourner

ensuite au sauvage, de même qu’un espace sauvage (monte) est susceptible d’être défriché.

Et un champ fournit non seulement des plantes cultivées mais aussi des adventices, des

25. MONTOLIU 1978 ; GREENBERG 1992 ; HÉMOND 1996 ; FAUGÈRE 1998 ; DEHOUVE, ce volume.

26. LINNÉ 1937, p. 58 ; FLORES 1984, p. 37.

Esther KATZ 189

insectes comestibles et des animaux prédateurs des récoltes

28

. Ce type de prises s’apparente

à la collecte des insectes qui, désignés comme « petits animaux », dans la taxinomie locale

ne forment pas une catégorie séparée

29

.

Le cerf est la proie par excellence et sa chasse, bien qu’occasionnelle, reste de loin la

plus élaborée : au fusil, à la battue et avec des chiens. Des hommes se postent avec leur

fusil sur les sentiers empruntés par l’animal tandis que les rabatteurs le poursuivent avec

les chiens. Autrefois les chasseurs plaçaient sur ces sentiers un piège constitué d’une

bran-che recourbée à laquelle est attachée une liane d’une espèce particulière recouverte par des

feuilles, la « liane de cerf » (mecate de yakwa de venado/yakwa ‘isu), mais il ne fonctionne

qu’en saison des pluies, quand la liane reste humide. Lorsque le cerf se prend la patte dans

la liane, la branche se redresse et l’animal, propulsé en hauteur, va s’assommer contre les

arbres. Ce piège, commun en Mésoamérique pour attraper de grands animaux comme

pécaris ou cerfs, servait aussi à la guerre et il est attesté que des conquistadors s’y sont fait

prendre

30

.

Il convient d’ajouter que le symbolisme sexuel de la chasse s’exerce particulièrement

pour le cerf. Si un chasseur rêve d’une femme, celle-ci incarne le cerf, et son succès auprès

d’elle présage de la réussite de la chasse. La présence d’une femme dans une partie de

chasse éloignerait le cerf, s’il sent « le relent (tufo) de son sexe et ses aisselles ». L’acte sexuel

est désigné dans l’argot masculin local par « tirer un cerf », et la viande cuite en four de

terre est une métaphore des parties génitales féminines.

Les chasseurs de Yosotato émettent l’idée qu’il ne faut pas prélever trop d’animaux,

dont les oiseaux « car ils amènent la pluie ». Ils empêchent leurs chiens de toucher à

la viande de l’animal chassé, car ils perdraient toute chance de trouver du gibier. Les

habitants de Santiago Nuyoo considèrent que si un chasseur tue trop d’animaux, saint

Eustache, la divinité de la montagne (nu ñu’un yuku), sera off ensé. Après avoir tué un cerf,

le chasseur doit encenser la dépouille de l’animal et off rir à saint Eustache un cuissot, qu’il

enterre sur le lieu de la prise, afi n d’assurer sa chance prochaine. Ce saint, qui est aussi

le « maître » (ito’o) du cerf, est décrit comme un grand cerf mâle avec une tache blanche

en forme de croix sur le pelage de la tête

31

. Il y a persistance dans la représentation de la

divinité des chasseurs décrite au xvi

e

siècle sous les traits d’un cerf. Les chasseurs triquis de

Chicahuaxtla font un rituel après avoir tué un cerf, afi n que l’animal les pardonne.

L’iguane, propre aux basses terres, est le gibier le plus apprécié des Mixtèques de

Jamiltepec et donne lieu à une chasse ritualisée. Les chasseurs passent la nuit au pied

d’une montagne « sanctuaire » où ils fument du tabac et brûlent de l’encens pour s’attirer

les grâces du Chaneque, le « maître » des animaux, puis se rendent au sommet pour lui

dédier des off randes

32

.

La chasse, même ritualisée, ne donne pas lieu à collectionner des trophées. Seuls

quel-ques restes osseux servent d’objets rituels ou d’outils agricoles. Certaines populations

uti-lisent le crâne et les bois comme coiff e pour des danses. Un tel objet a été retrouvé dans les

fouilles d’El Cerén

33

. Les Mixtèques et d’autres groupes se servent des carapaces de tatou

28. KATZ 1990, 1991.

29. KATZ 1996.

30. FLORES 1984, p. 21.

31. MONAGHAN 1995, pp. 103, 215, 218. Sur les rites de chasse dans la région voisine de la Montaña du Guerrero, voir DEHOUVE, ce volume.

32. FLANET 1982, pp. 168-169.

comme récipients à semences et transforment des os de cerf en aiguille pour récolter le

Dans le document La chasse. Pratiques sociales et symboliques (Page 192-195)

Documents relatifs