26. DURKHEIM 1990, p.631.
Christian LECLERC 131
regroupement proposée au terme de cette analyse. Les regroupements que les Baka
réali-saient périodiquement en forêt auparavant et celui qui est survenu en 1969 sont
compa-rables. En eff et, pour les hommes et les femmes se déplaçant vers la bordure de la route, il
n’y a pas eu de rupture. La vie sociale et l’occupation signifi cativement diff érenciée d’un
territoire, n’ont pas perdu leur effi cacité symbolique du jour au lendemain. Continuité,
donc, le rassemblement en bordure de route de groupes locaux peut être assimilé à des
funérailles ou à une chasse à l’éléphant. L’ampleur et la surprenante synchronisation du
mouvement à l’échelle de l’Est Cameroun, nous orientent plus volontiers sur la chasse à
l’éléphant, qui était pratiquée partout. À la suite d’une forte exploitation de l’ivoire au
cours des années 1940 et 1950, une raréfaction massive de la ressource à l’échelle de cette
grande région est plausible. Si tel fut bien le cas, on peut supposer que les Baka ont
par-tout été confrontés à l’insuccès répété des chasses, la rareté de la ressource compromettant
le bon déroulement d’une activité collective. Celle-ci remplissait une fonction symbolique
de première importance en réaffi rmant la solidarité catégorielle des humains et assurant
la reproduction de la société dans sa totalité. En se regroupant en bordure de route
dura-blement, c’est cette effi cacité symbolique des regroupements qui aurait été compromise
si la dispersion n’avait pas été remplacée par la suspicion et la jalousie. Cette substitution
préserve l’alternance du temps ordinaire, où prévalent la diff érenciation et la méfi ance, et
le temps extraordinaire où s’affi rment l’unité de la société et la solidarité.
L’exemple baka permet de conserver l’espoir d’étudier la dynamique des sociétés en
évitant les typologies. Un système de relations caractéristique du groupe avant et après
l’évènement à l’origine du dynamisme, peut être décrit et analysé. Et il est possible, après
avoir identifi é ces relations, d’affi rmer sans paradoxe que les changements s’opèrent dans
la continuité.
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