• Aucun résultat trouvé

La campagne prenait place durant la période de reproduction, lorsque les

Dans le document La chasse. Pratiques sociales et symboliques (Page 161-164)

pois-sons, en bancs importants, longeaient le

littoral du pourtour méditerranéen – en

particulier le long du détroit siculo-tunisien. Les yeux fi xés sur la mer depuis des

pro-montoires situés sur la côte, des guetteurs signalaient le passage des bancs aux pêcheurs

qui organisaient alors une véritable battue : répartis sur des embarcations légères, les

hom-mes disposaient habilement leurs fi lets en les resserrant progressivement jusqu’au lieu de

la mise à mort : les poissons étaient alors transpercés à coup de harpons ou assommés à

coups de gaff e. C’est la pêche à la madrague, bien connue des pêcheurs méditerranéens et

encore pratiquée aujourd’hui en Tunisie sous le nom de matanza. Quelques documents

fi gurés antiques en conservent le souvenir : une mosaïque du milieu du iii

e

s. trouvée dans

la maison « de l’Oued Blibane » à Sousse en Tunisie (fi g. 3) montre un pêcheur, debout

dans sa barque, assommant avec un aviron un gros poisson arrêté par les mailles d’un

fi let disposé en demi-cercle

24

. On songera aussi à la description faite par Philostrate d’un

tableau fi gurant les pêcheurs de thon du Bosphore

25

.

La capture d’un autre poisson de gros calibre, l’espadon, nécessitait la mise en œuvre

d’une technique de pêche particulière que Strabon, citant Polybe, n’hésite pas à

com-parer à l’une des chasses les plus dangereuses qui soit, celle au sanglier. Le texte mérite

d’être cité, tant il pourrait – à la nature près des animaux pêchés – s’appliquer à la scène

de Nabeul : « […] un veilleur fait le guet, pour le compte d’une série de pêcheurs qui

attendent à l’écart dans des barques à deux rames, deux hommes par barque ; l’un dirige

le bateau, l’autre se tient debout à la proue, lance en main, dès que le veilleur signale

l’ap-parition de l’espadon. Un tiers environ de l’animal émerge de l’eau. Quand la barque le

touche presque, l’homme frappe l’animal à portée de main, puis retire du corps la lance,

sauf la pointe de fer ; celle-ci est en forme d’hameçon, peu solidement fi xée à la lance,

intentionnellement ; elle est attachée à une longue cordelette que les marins laissent fi ler,

une fois la blessure faite jusqu’à ce que l’animal soit fatigué de se débattre et de fuir ; alors

on le tire sur la grève ou on le hisse sur la barque, à moins qu’il ne soit vraiment de très

22. À Neapolis même étaient installées des fabriques de salaisons : STERNBERG 2000.

23. OPPIEN, Hal. III ; ÉLIEN, NA XV, 5-6.

24. Musée de Sousse inv. 10.457 (57.027) : FOUCHER 1957, fi g. 19 et 21 ; FOUCHER 1960, pp. 9-11, pl. V.

25. PHILOSTRATE, Imagines, I, 13. Je remercie Agnès Rouveret d’avoir attiré mon attention sur cette ecphrasis, d’autant plus intéressante que le tableau en question présente d’assez nombreux points communs avec les peintures qui ornent le bassin de Nabeul : paysage panoramique animé de personnages – y compris des chasseurs – et d’embarcations, et ponctué d’architectures.

Fig. 3 - Détail d’une mosaïque de la « Maison de l’Oued Blibane », Sousse (d’après FOUCHER 1960, pl. V).

Pascale LINANTDE BELLEFONDS

155

grande taille. […] La vigueur de l’animal est comparable à celle du sanglier, et sa chasse

l’est aussi. »

26

Ainsi, pratique halieutique et pratique cynégétique fi nissent, dans certains cas, par se

confondre, requérant des qualités comparables d’observation, d’adresse, de bravoure et de

force physique

27

. Dès lors, on comprend aisément que les pêcheurs du cap Bon aient su

prendre le relais des chasseurs pour achever leur travail en capturant les cerfs que ceux-ci

avaient intentionnellement poussés vers la mer.

Il convient, pour terminer, de s’interroger sur le caractère unique de la peinture de

Nabeul. Une première raison possible est que cette stratégie de chasse qui nécessitait, on

l’a vu, la rencontre de circonstances particulières, n’était guère répandue. L’autre raison,

c’est qu’elle concernait une population modeste – des chasseurs trop pauvres pour s’off rir

chevaux et bons chiens de chasse, et des pêcheurs. Or, traditionnellement, l’imagerie de la

chasse a surtout privilégié le caractère héroïque ou aristocratique de la vénerie. Si le sujet

a néanmoins été retenu pour orner le bassin d’une riche demeure de Neapolis, c’est

proba-blement parce qu’il s’insérait dans un programme iconographique où l’aspect anecdotique

et local était prédominant aux yeux du commanditaire. Au même titre que les tableaux

voisins, cette scène familière et plaisante évoquait le cadre naturel, la vie quotidienne de la

population de pêcheurs et de marins des environs de Nabeul. Il n’en reste pas moins que

cette peinture revêt un intérêt documentaire exceptionnel, en apportant le témoignage

visuel d’une pratique cynégétique dont on pensait jusque-là qu’elle relevait plutôt du

mythe, de l’imaginaire poétique ou de la reconstruction intellectuelle.

Bibliographie

AlexanderM.A. et EnnaiferM., éd. (1976), Corpus des Mosaïques de Tunisie, I (3), Tunis, Institut national d’archéologie et d’art, pp.31-33, n° 279, pl.XIX.

BarbetA. (1999), «Une peinture de bassin dans la maison des Nymphes à Nabeul. Ses relations avec les mosaïques», in La Mosaïque gréco-romaine, VII, Tunis, Institut national du patrimoine, pp.311-319, pl.CXLV-CXLIX.

BorgeaudP. (1979), Recherches sur le dieu Pan, Rome, Institut suisse de Rome.

DomagalskiB. (1990), Der Hirsch in spätantiker Literatur und Kunst, Münster, Aschendorff sche Verlag.

DunbabinK.M.D. (1978), Th e Mosaics of Roman North Africa, Oxford, Clarendon Press. FoucherL. (1957), Navires et barques fi gurés sur des mosaïques découvertes à Sousse et aux environs,

Tunis, Imprimerie offi cielle de la Tunisie.

FoucherL. (1960), Inventaire des mosaïques, Feuille n°57 de l’Atlas Archéologique, Sousse, Tunis, Imprimerie offi cielle de la Tunisie.

JostM. (1985), Sanctuaires et cultes d’Arcadie, Paris, Librairie philosophique J.Vrin.

LubtchanskyN. (1998), «Le pêcheur et la métis. Pêche et statut social en Italie centrale à l’époque archaïque», MEFRA 110, 1998 (1), pp.111-146.

26. STRABON, I, 2, 16, traduction G. AUJAC, Paris, 1969 (Coll. des Universités de France).

27. Ce rapprochement entre chasse et pêche a bien été mis en évidence, à la lumière de l’iconographie étrus-que et d’Italie centrale, par N. LUBTCHANSKY 1998.

MazonP. (1943), Le Chasseur ou Histoire eubéenne, Bourg-la-Reine, P.-E.Colin.

PoplinF. (1996), «Les cerfs harnachés de Nogent-sur-Seine et le statut du cerf antique», CRAI, 1996, pp.393-421.

SchnappA. (1997), Le Chasseur et la cité, Paris, Albin Michel.

SternbergM. (2000), «Données sur les produits fabriqués dans une offi cine de Neapolis (Nabeul, Tunisie)», MEFRA 112, 2000 (1), pp.135-153.

Dans le document La chasse. Pratiques sociales et symboliques (Page 161-164)

Documents relatifs