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2.2- Le tout paysage

Dans le document L'espace ouvert pour une nouvelle urbanité (Page 131-135)

La vision paysagère vient à la fois renforcer la logique d’espace ouvert des NAF, mais en même temps brouiller la dualité bâti/ouvert que nous venons d’exposer en instaurant un « tout paysage ».

En France, la législation sur le paysage trouve son origine dès le début du 20e siècle dans la loi de 1906 portant sur les monuments et les sites naturels. Les textes qui se succèdent jusqu’au début des années 1990 abordent le paysage à travers l’esthétique (monuments ou sites naturels et bâtis) ou l’environnement (conservation du milieu naturel). Ce cadre normatif a des implications sur le paysage bien que le paysage n’en soit pas l’argument principal. Celles-ci conduisent à produire une grande diversité de classements, périmètres et zonages variant les termes de l’intervention publique et les formes de protection ; les unes et les autres font le plus souvent appel à l’interdiction ou à la limitation d’usage, parfois à la maîtrise foncière comme dans le cas du conservatoire du littoral ou des espaces naturels sensibles ou encore à la contractualisation comme dans les parcs naturels régionaux ou les sites Natura 2000 (Reygrobellet 2007). Le caractère paysager de ces espaces protégés relève encore de l’exception. La loi n°93-24 du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages

et modifiant certaines dispositions législatives en matière d'enquêtes publiques, puis la convention européenne du paysage de 2000 en application en France depuis 2006 (Décret n° 2006-1643 du 20 décembre 2006 portant publication de la convention européenne du paysage, signée à Florence le 20 octobre 2000), marquent un changement important dans l’approche de la protection des paysages.

Ces textes font directement référence au paysage comme une « composante essentielle du cadre de vie des populations, expression de la diversité de leur patrimoine commun culturel et naturel, et fondement de leur identité » (convention européenne du paysage, 2000). Le paysage est donc un bien commun à préserver et relève de tous types d’espace « naturels, ruraux, urbains et périurbains ». La protection « inclut les espaces terrestres, les eaux intérieures et maritimes. Elle concerne, tant les paysages pouvant être considérés comme remarquables, que les paysages du quotidien et les paysages dégradés » (convention européenne du paysage, 2000). Le paysage est partout et tout est susceptible d’être paysage puisqu’il s’agit d’une « partie de territoire telle que perçue par les populations ». En termes de politiques publiques, cela se traduit par une obligation de qualité paysagère dans l’ensemble des politiques sectorielles et dans les différentes collectivités territoriales. La loi paysage a ainsi des répercussions dans les différents codes : code rural, code des communes, code de l’urbanisme (Blanc et Glatron 2005). Le paysage s’impose aux outils de l’aménagement (Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager, ZPPAUP)64 et à tous les projets territoriaux. La protection paysagère n’impose pas nécessairement le recours au zonage, elle vise avant tout à promouvoir une « qualité » censée s’imposer à l’ensemble des activités humaines et des territoires qui en émanent. C’est bien cette portée englobante et intégratrice qui peine à s’imposer dans des pratiques d’aménagement qui restent, elles, largement sectorielles comme nous le verrons par la suite.

Si l’approche paysagère peut gommer les effets d’une vision par trop urbanistique du territoire, son risque est de promouvoir une harmonisation des formes de l’intervention publique qui tende à une homogénéisation. En effet, l’intention de préservation des paysages est bien de porter un intérêt particulier à leur diversité, naturelle comme culturelle, mais les envisager par le prisme d’un appareillage technique imposé par la loi et conditionné par une approche urbanistique (loi SRU) conduit à agir « en dépit des paysages » (Couderchet 2008). Utiliser le formatage des documents d’urbanisme pour penser le développement territorial d’une agglomération de 500 habitants ou de 500 000 habitants expose effectivement à ce risque. Par ailleurs, la vision paysagère participe à la construction d’une image d’ensemble des espaces NAF qui tend à gommer la diversité propre au paysage. Il devient une vaste étendue sur laquelle s’ouvre l’habitat, un espace ouvert au sens fonctionnaliste du terme, un horizon.

« On pourrait multiplier à loisir l’inventaire des espaces et zones naturelles faisant ou devant faire l’objet de mesures de protections, destinées à devenir des infrastructures écologiques et à rentrer dans la sémantique de l’aménagement » (Kalaora 2008, p. 252). L’argument environnemental justifie l’infrastructure écologique mais c’est bien au domaine à l’aménagement du territoire qu’elle fait référence. La conjonction des politiques publiques que nous venons d’évoquer donne corps à cet outil destiné à construire la cohérence du territoire du

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En France, une Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP) est un dispositif instauré par la loi de décentralisation du 7 janvier 1983, dont le champ fut étendu par la loi « paysages » du 8 janvier 1993, et qui constitue depuis le 24 février 2004 l'article L642 du Code du patrimoine. Elle a pour objet d'assurer la protection du patrimoine paysager et urbain et mettre en valeur des quartiers et sites à protéger pour des motifs d’ordre esthétique ou historique.

local au global dans le souci qui est celui d’une société urbaine qui se sent menacée par son propre fonctionnement.

Conclusion

Les politiques publiques territoriales visent une double intégration : à la fois horizontale entre les différents aspects sectoriels et également verticale dans une logique transcalaire. L’interprétation systémique des dynamiques conduit à un affichage de la cohérence comme un argument central : introduire de la cohérence territoriale à tous les niveaux. Le réseau, la trame sont les outils privilégiés de cette mise en cohérence du territoire.

L’espace ouvert s’en trouve nettement renforcé. Il quitte l’enceinte de l’aire urbaine pour s’étendre à l’ensemble du territoire. Tout espace, ordinaire ou pas, protégé ou pas, est susceptible de fournir des services à la société urbaine. La distinction urbain/rural viendrait-elle à être évacuée du domaine de l’action territoriale ? Restons prudents sur ce point ; dans la pratique les identités restent fortes (cf. chapitre 7).

La cohérence du modèle s’effrite un peu lorsque celui-ci est confronté à la réalité du territoire. La logique transcalaire est séduisante mais son application impose nécessairement des réajustements, des remises en question, des recompositions de l’action territoriale. Le réseau Natura 2000 en donne un bon exemple. Il montre, en l’occurrence, les difficultés du passage de l’échelle du territoire à l’échelle de l’urbain. Entendons par urbain l’aire de projet telle qu’envisagée par les documents d’urbanisme (le SCOT en France). Dans cette limite, l’espace ouvert se trouve réduit, contraint ; d’abondant il devient rare ; le contexte change, les lois aussi. Toutefois, il reste trop vaste pour l’urbaniste habitué à traiter l’aménagement au mètre carré et à l’hectare. Il déroute. Pour le prendre en compte, on l’enferme dans de nouvelles limites dans lesquelles on définit un projet de territoire. Le parc en est la figure principale.

C H A P I T R E 7

E S P A C E O U V E R T E T P R O J E T T E R R I T O R I A L

D A N S L E S P É R I P H É R I E S U R B A I N E S

Les projets d’agglomération qu’expriment les schémas directeurs analysés dans les parties 1 (chapitre 2) et 2 (chapitre 5) relèvent du discours, de l’intention. Ils sont un préalable à la mise en visibilité de l’espace ouvert. Au fil du temps et des modes on a vu ainsi s’affirmer la place, la lisibilité, la consistance, la fonctionnalité des espaces en creux. Il existe néanmoins une distance forte entre l’intention et l’action qui se met en œuvre pour préserver ces espaces. Les diverses coupures d’urbanisation inscrites dans ces schémas ont eu et ont bien du mal à lutter contre la pression urbaine. La voie réglementaire ne suffit pas. Sans entrer dans l’illégalité, comme dans le cas du Portugal et de Lisbonne (bidonvilles), de multiples stratégies conduisent à orienter le règlement (pression dans l’élaboration des lois) ou l’adapter à des situations mouvantes (principe de la révision des documents d’urbanisme). Le non-urbanisable s’urbanise envers et contre tout. L’injonction à la préservation s’affirme aujourd’hui dans les principes de la ville durable et du renouvellement urbain. La difficulté est de rendre réelle cette injonction. L’objectif de ce chapitre est de comprendre les mécanismes qui permettent le passage des intentions de préservation des espaces ouverts dans le contexte des aires urbanisées, à l’action pour la protection et la gestion de ces espaces. La figure de parc constitue l’outil privilégié permettant l’articulation des échelles, des modes d’intervention. La généralisation de l’usage du parc pour toute forme d’aménagement pose problème : le parc peut être naturel, paysager, à thème, résidentiel, etc. C’est pourquoi, dans un premier point, nous précisons les contours de cette figure et en soulignons les limites. La deuxième partie de ce chapitre est consacrée à l’analyse d’un cas : le parc des Jalles de l’agglomération bordelaise.

1- La territorialisation de l’espace ouvert : le rôle du parc

Le terme de parc renvoie à plusieurs acceptions. Originellement il s’agit d’un espace clos, limité par une clôture pour le pacage du bétail (Brunet 1992). Dans l’évolution du sens, soulignons les principales significations qui émergent.

1- Le parc distingue un dedans et un dehors même si, comme c’est le cas pour les parcs naturels, la limite n’est pas forcément matérialisée par une clôture.

2- Le parc qui était au départ un espace privatif, généralement boisé, dépendant de châteaux ou de propriétés de familles aisées et destiné à la promenade, devient surtout à partir du 19e siècle un espace public dédié à la récréation des citadins.

3- Le parc qui est une construction on ne peut plus sociale peut être conçu à partir du 19e siècle comme « naturel ». Le premier parc naturel naît en 1864 aux États-Unis (vallée du Yosémite). Il témoigne à la fois de la valeur octroyée par la société américaine à la nature (wilderness) mais aussi d’une vision citadine soucieuse de préserver ce que la société urbaine détruit. Rappelons que l’architecte paysagiste F. Olmsted, concepteur du Central Park de New-York, est également rédacteur du dispositif de protection du parc du Yosémite (Debarbieux 2003). À l’espace de récréation vient s’adjoindre, dans le terme de parc, l’idée de nature préservée qui

va donner lieu à tout un ensemble de déclinaisons de zonages environnementaux aux fonctions et périmètres variés.

4- L’idée de fermeture reste forte dans les formes d’aménagement destinées à accueillir des activités spécialisées dans la périphérie des agglomérations. Il peut s’agir d’un parc d’activité (activités industrielles ou de services), d’un parc de loisir, d’un parc à thème, d’un parc résidentiel, etc. Bien que les espaces soient ouverts au public, ce sont avant tout des espaces privés dédiés à la consommation.

Le parc qui est choisi pour la préservation des espaces ouverts est un parc associé à l’idée de nature. Toutefois, selon le qualificatif qui lui est accolé, le terme « parc » a des significations radicalement opposées. National, il est un des statuts de protection de la nature les plus stricts ; régional naturel, il est une forme intercommunale de développement socioéconomique teinté d’environnement et de tourisme vert ; urbain, il est un espace vert récréatif construit de toutes pièces ; paysager, il devient alors englobant de toutes autres formes de projet. Le parc maintient le sous-entendu environnemental associé à la qualité. Même les parcs d’activité oeuvrent à cette image par la qualité architecturale des bâtiments et des environnements arborés qui se sont multipliés.

Dans les aires métropolisées, auxquelles nous nous intéressons ici, le parc est l’outil privilégié pour la préservation des espaces ouverts ou de plus faible densité. Outil environnemental et paysager, il est utilisé dans ce contexte avant tout comme un outil d’aménagement du territoire. Nous montrons dans un premier temps le rôle qu’il joue dans la construction des structures vertes des projets urbains et régionaux. En prenant le cas des espaces protégés de Madrid, nous proposons un approfondissement de l’analyse de l’ambiguïté de l’utilisation d’un outil environnemental pour mener une politique territoriale. Le parc est un outil multi-facettes dont il convient de cerner les limites.

Dans le document L'espace ouvert pour une nouvelle urbanité (Page 131-135)