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3.1- La culture paysagiste et l’espace ouvert : des rapprochements entre la France et le Portugal

Dans le document L'espace ouvert pour une nouvelle urbanité (Page 106-109)

Architectes, urbanistes et paysagistes ont en commun de revendiquer une compétence dans la maîtrise d’œuvre du cadre de vie (Champy 2000). En France et au Portugal les paysagistes sont architectes paysagistes. Ils partagent avec les architectes la culture de projet et l’intérêt pour la création et l’esthétique. Ils s’en différencient par la spécificité de la matière sur laquelle ils interviennent : principalement le vivant. Celui-ci impose d’aborder le projet comme un processus évolutif. Progressivement, le paysage ouvre les paysagistes au territoire. La capacité de prendre en compte le changement d’échelle et de concevoir le projet en termes dynamiques leur donne des atouts pour appréhender la ville étendue dans la longue durée. Pour certains paysagistes, la fonction devient celle de l’urbaniste plus que de l’architecte. Les urbanistes ancrés dans une pratique largement technicienne et réglementaire se sentent mal à l’aise avec les nouvelles configurations de la ville territoire, les paysagistes en tirent profit (Champy 2000). Le plus souvent ils jouent sur les deux tableaux : ils interviennent dans l’organisation de l’espace urbain comme dans l’art paysager des jardins. Dans ce cas, ils cherchent de plus en plus à intégrer le projet paysager au contexte urbain dans lequel il s’inscrit. A. Chemetoff se déclare ainsi paysagiste, urbaniste et architecte. Le projet de l’île de Nantes n’est pas pour lui un projet d’espace public mais un projet de ville. Il insiste sur le fait de ne pas « regarder les choses pour elles-mêmes mais en relation les unes avec les autres » (entretien d’A. Chemetoff par F. Moiroux 2007, p. 61). La participation des paysagistes à la planification métropolitaine ouvre la pratique professionnelle à l’urbanisme stratégique. On retrouve ainsi les étapes qu’évoque B. Reichen dans son parcours d’architecte : « je suis passé d’une position architecturale aux logiques du projet urbain et aux problématiques plus larges d’un urbanisme stratégique » (Reichen 2005, p. 15). Il se rapproche ainsi des paysagistes lorsqu’il invoque l’urbanisme de valorisation comme démarche « qui décrit la façon de s’installer dans des territoires non stabilisés, mais dotés d’une longue histoire pour accompagner leur mutation » (p. 15).

En France, l’intérêt des paysagistes pour le « grand paysage » s’affirme dans les années d’après-guerre. J. Sgard en serait l’initiateur, influencé par les cultures du nord de l’Europe (Blanchon 1999). Il soutient un mémoire d’urbanisme sur le thème de « Récréation et paysages aux Pays-Bas », réflexion qui l’amène sur le chemin du grand paysage et de la planification territoriale dans la logique du landscape planning (Donadieu 1998). Avec Pierre Roulet et

Jean-Claude Saint-Maurice, il fonde « L’atelier du paysage », lieu de rencontre et de débats pour de nombreux étudiants de Versailles (Blanchon 1999). Les années 1990 témoignent de la consécration des paysagistes dans l’aménagement urbain et territorial, qui enregistre un regain d’intérêt pour les espaces publics. Si les parcs urbains continuent à être une matière essentielle de leurs interventions, celles-ci proposent aussi une vision plus globale qui alimente le débat urbain. « Érigeant le site en horizon programmatique, ils mettent en lumière la portée signifiante de l’espace qu’ils structurent en portant leur attention sur le vide, l’entre des choses, leur enchaînement ou leur emboîtement. Ils s’attachent à la question de seuil, de limite, d’interférence ou d’incidence. Leur positionnement pionnier sur le terrain des délaissés urbains et des territoires en crise contribue indiscutablement au renouveau de la pensée urbaine » (Moiroux 2007, p. 56). L’architecte paysagiste en France est sensible à la réalité du site, à sa géographie et son histoire, mais il reste relativement distant de la question écologique (Donadieu 1998). Les grands projets de paysagistes qui font référence se construisent à travers un discours dominant sur la composition et l’esthétique (Masboungi 2002). La nature est assumée comme artefact « transformée, fabriquée, sophistiquée, cultivée » (p. 9). Le discours demeure celui du projet architectural ; certes on ne crée pas totalement la matière mais on s’en imprègne pour lui donner une nouvelle forme. La culture du paysage est pour A. Chemetoff « l’invention du projet à partir du site ou dans des aller-retour entre le site et le programme » (Moiroux 2007, p. 60). Le paysagisme reste un acte de création plus que de gestion. C’est en cela qu’il se raccroche à l’art. C’est en cela que le paysagiste gagne une notoriété. F. Champy évoque à ce titre les aspects potentiellement négatifs de la notoriété de certains paysagistes qui restent somme toute peu nombreux : « le star system qui commence à toucher les paysagistes pourrait contribuer à rapprocher la pratique de certains d’entre eux de celle des architectes les moins modestes et les plus formalistes » (Champy 2000, p. 232). En d’autres termes, le risque serait de privilégier la création et l’esthétique sur la valorisation de la matière pour elle-même, de mettre en avant le ressenti, l’émotion, plutôt qu’une responsabilisation à l’égard de l’environnement. « Si une trentaine de paysagistes en France s’ingénient à faire de la ville et du territoire leur jardin d’élection, la tendance dominante à l’esthétisation ou à la sophistication du paysage ne peut-elle pas, par ailleurs, s’avérer à terme la pire ennemie de celui-ci ? » (Moiroux 2007).

Au Portugal, l’influence allemande donne une place plus marquée à l’écologie dans la formation des paysagistes. Les premiers enseignements sont mis en place en 1942 par Francisco Caldeira Cabral, diplômé de l’Institut fur Gartengestaltung de l’Université de Friedrich-Wilhelm. Pour lui, la formation d’architecte paysagiste doit allier une dimension artistique (dessin, histoire de l’art, projet) à une connaissance des sciences de la terre, du climat et des plantes55. À travers le concept de « continuum naturel », il intègre la dimension écologique à l’art paysager des jardins. Appliqué au paysage urbain comme rural, ce concept est à l’origine de l’idée de structure verte reprise par G. Ribeiro Telles dans le plan vert de Lisbonne (1987) et développée par M. Raposo Magalhães dans la structure écologique du paysage (2007). Son activité professionnelle l’amène à intervenir à l’échelle du jardin comme à celle de la ville. Ainsi, de 1956 à 1960 il intervient sur les études du plan directeur de Lisbonne. Les architectes paysagistes connus au Portugal comme Ilídio de Araújo ou Ribeiro Telles ont été ses élèves. Au Portugal et en France, la formation d’architecte paysagiste naît dans des écoles dédiées à l’horticulture et à l’agronomie. À Lisbonne, elle est insérée à l’Instituto Superior de Agronomia

55 http://proffranciscocaldeiracabral.portaldojardim.com/biografia/, site créé à l’occasion du centenaire de F. Caldeira Cabral.

(ISA), à Paris à l’École nationale d’horticulture de Versailles puis à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles, créée en 1976. Aujourd’hui cinq universités proposent un cursus pour devenir architecte paysagiste au Portugal : Université de l’Algarve, Université d’Evora, Université de Porto, Université Tras-o-Montes e Alto Douro et bien sûr Université Technique de Lisbonne. Lisbonne et Evora sont les plus réputées. En France, la formation de paysagiste est dispensée dans différentes structures : deux écoles d’architecture et du paysage (Bordeaux et Lille), l’École nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois et l’École nationale d’ingénieurs des travaux d’horticulture et de paysage d’Angers, pour ne citer que les principales. Les formations prônent des conceptions du projet paysager souvent nuancées, voire sensiblement différentes. Il en est ainsi pour l’École du paysage de Versailles qui reste attachée à une vision plus esthétique du projet et celle de Bordeaux qui défend une approche plus territoriale dans la lignée du géographe G. Bertrand.

Dans le contexte lisboète, deux écoles de pensée s’affrontent quant au rôle de l’espace ouvert dans la planification urbaine. Une tendance radicale plaide pour une protection des espaces ouverts qui soit reconnue par la loi et orientée par des normes. Pour G. Ribeiro Telles et M. Raposo Magalhães, actuellement responsable de la formation d’architecte paysagiste de l’ISA, les espaces ouverts doivent assumer les fonctions de production, récréation et protection. Une méthodologie précise permet de définir le contour de la Estructura Ecológica Fundamental (EEF) à partir de laquelle doit se penser l’organisation du territoire. Cette méthode a donné lieu à l’élaboration de plusieurs plans verts à l’échelle de municipalités (Lisbonne, Loures, Seixal…) ainsi qu’une proposition de structure écologique à l’échelle métropolitaine (Raposo Magalhães 2007). Une tendance plus pragmatique préfère éviter une protection environnementale trop ample des espaces ouverts, jugée irréaliste et inefficace en milieu urbain. Le PROT adopte ce point de vue en prônant une co-construction des objectifs urbanistiques et environnementaux. Ainsi, les paysagistes-urbanistes tels que H. Bettencourt ou S. Pardal soulignent l’irresponsabilité des « écologistes » qui mettent sous cloche le territoire sans lui donner les moyens de son développement (Pardal 2002). Ce débat qui fait souvent la une des journaux en cache un autre qui est celui du statut des Réserves écologiques nationales (REN) et des Réserves agricoles nationales (RAN) (cf. partie 3). Dans le débat portugais, c’est avant tout la dimension foncière qui est mise au premier plan : la préservation de l’espace ouvert, dans quel but ? La question de la limite est alors essentielle car elle détermine la portée du règlement. La participation des paysagistes au PROT de l’Aire Métropolitaine de Lisbonne et au Schéma directeur de Bordeaux révèle l’évolution de la pratique professionnelle vers un urbanisme stratégique. Bien que nous réservons à la troisième partie l’analyse du passage du discours à l’action, il convient de mentionner ici les difficultés d’interprétation de l’idée de stratégie.

Dans le cas du PROT-AML, alors que le choix de flèches somme toute assez grossièrement dessinées semblait attester d’une approche plus conceptuelle que spatiale du couloir écologique, ces dernières sont devenues au fil du temps les prescripteurs d’une limite. Le jeu impossible était alors de transcrire les limites de ce qui n’était pas un zonage mais un axe en un zonage précis à l’échelle du plan urbain (1/10 000e voire 1/5 000e). Un vent de panique a alors soufflé chez les urbanistes des services municipaux chargés d’inscrire le réseau écologique métropolitain à l’échelle des plans directeurs municipaux devant être révisés. Cette confusion souligne à la fois le poids que l’on attribue à la représentation cartographique traduite en termes de « destination d’usages » et la probable insuffisante préparation des techniciens de la CCDR censés faire comprendre le sens du plan auprès des urbanistes municipaux (entretien

J. Correia). Il en a résulté une interprétation plus réglementaire que stratégique du PROT. H. Bettencourt a été amené à réaliser un important travail d’information, voire de formation, pour faire passer le message stratégique auprès des services techniques (entretien 2006). Dans le cas du Schéma Directeur de Bordeaux, la portée stratégique semble bien comprise, la portée englobante du paysage facilitant sans doute les choses. Pour B. Folléa, la « trame paysagère » doit favoriser la mise en réseau « des espaces non bâtis qui font la ville intercommunale, qui l’organisent et la structurent » et faciliter la complémentarité et le dialogue entre le vide et le plein, et ceci à toutes les échelles (Folléa 2008). L’interprétation à l’échelle du PLU donne néanmoins lieu à des écarts importants et donc des règlements différents. La CUB a développé un PLU pour les 27 communes en cherchant à traduire les principes du SD, densification et requalification des espaces ouverts à travers la trame verte et le système de parc. En ce qui concerne les communes hors CUB, en revanche, chacune d’elles a interprété à sa manière le sens de la trame paysagère, certaines privilégiant la densification par de l’habitat collectif en mutualisant les espaces verts, d’autres poursuivant le modèle de lotissement de maisons individuelles sur des parcelles plus réduites, d’autres enfin conservant une urbanisation éparse de faible densité, forte consommatrice d’espace et de réseaux.

La question paysagère n’est pas totalement évacuée dans le PRESMA ; elle est plutôt envisagée par le biais de l’écologie, dans une approche qui se veut plus scientifique que technique.

3.2- L’espace ouvert et la planification physique dans le contexte madrilène

Dans le document L'espace ouvert pour une nouvelle urbanité (Page 106-109)