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devenir des descendants des immigrés

6.1.4 Pauvreté, chômage et exclusion sociale

La tertiarisation, le progrès technologique, l’internationalisation des échanges économiques et la mondialisation des marchés du travail ont engendré des transformations sociales profondes. Aujourd’hui, l’insécurité sociale et économique caractérise de plus en plus la vie de millions d’individus en Europe. La désindustrialisation a contribué à l’intensification de la fragmentation

sociale et à l’émergence de nouvelles formes de pauvreté et d’exclusion sociale.4 Ces processus de

1

Cf. Roger Waldinger et Howard E. Aldrich, « Ethnicity and entrepreneurship », Annual Review of

Sociology 16, 1990, p. 111-135.

2

Cf. Emmanuel Ma Mung, L’expansion du commerce ethnique : Asiatiques et Maghrébins dans la

région parisienne, Revue Européenne des Migrations Internationales 8(1), 1992, p. 39-57.

3

Cf. Edna Bonacich, « A theory of middleman minorities », American Sociological Review 38,

1973, p. 583-594.

4

Cf. Enzo Mingione, « Fragmentation et exclusion : la question sociale dans la phase actuelle de

transition des villes dans les sociétés industrielles avancées », Sociologie et sociétés 30(1), 1998,

fragmentation et d’exclusion sociale ne s’arrêtent pas aux frontières de l’origine nationale ; bien au contraire, les inégalités liées à cette dernière viennent souvent se superposer aux inégalités liées à l’origine sociale. Ainsi, les familles d’immigrés sont souvent plus vulnérables face à ces changements.

Diagramme 9 Taux de pauvreté en France et en Allemagne en 1994 et 2001 selon l’origine nationale

0,0 5,0 10,0 15,0 20,0 25,0 30,0 35,0 40,0 45,0

Total Natifs EU Non EU Total Natifs EU Non EU

1994 2001

FRANCE ALLEMAGNE

Source : Panel Européen des ménages ECHP 1994-2001, données pondérées.

Notes : le seuil de pauvreté est fixé à 60 % de la médiane du revenu équivalent total net du ménage l’année précédent l’enquête (nouvelle échelle OECD).1

Pour Silver, les mutations économiques en Amérique du Nord et en Europe à l’œuvre depuis les années 1970 ont fait apparaître l’exclusion sociale et la nouvelle pauvreté qui touchent aujourd’hui

les populations les plus vulnérables.2 Le concept d’exclusion sociale, concept multidimensionnel,

décrit les répercussions de l’expérience du chômage sur les individus, la dissolution des liens

1

L’ensemble de la population est prise en compte. La nationalité des enquêtés a été utilisée comme critère de différentiation étant donné que le critère du pays d’immigration qui aurait été plus approprié n’est pas disponible pour l’Allemagne. Ici, le contexte du ménage a été pris en compte dans le sens où toutes les personnes vivant dans un ménage sont considérées comme « étrangères EU ou non EU » lorsqu’une personne au moins de cette nationalité vit dans le ménage. Pour les ménages mixtes, la procédure suivante a été appliquée : Natif/EU : EU, Natif/Non EU : Non EU, EU /Non EU : Non EU. Pour les détails sur la méthode, voir Joachim R. Frick et Ingrid Tucci, « Analysen mit Bezug zu 'Migration und Gesundheit' auf Basis des Sozio-oekonomischen Panels

(SOEP) », in Robert Koch Institut (Hrsg.), Migrationssensible Studiendesigns zur Repräsentation

des Migrationsstatus in der Gesundheitsforschung, Tagung am 25. November 2005, Robert-Koch-Institut, Berlin, p. 49-54.

2

Cf. Silver Hilary, « Social exclusion and social solidarity : Three paradigms », International

sociaux et l’affaiblissement de la protection et des droits sociaux qui reviennent aux individus au sein de l’Etat-providence. L’exclusion sociale comprend une dimension économique et le taux de pauvreté est un indicateur du degré d’exclusion sociale. Il permet donc d’appréhender, dans une perspective comparative, la situation de précarité économique dans laquelle se trouvent certains individus et de tirer des conclusions quant aux répercussions que peut avoir cette situation de pauvreté sur la vie sociale des individus et en particulier sur le devenir des descendants des immigrés. Le diagramme ci-dessus illustre bien la vulnérabilité des immigrés et de leurs familles face à la pauvreté prise dans sa dimension monétaire.

La comparaison des taux de pauvreté de la France et de l’Allemagne selon l’origine fait apparaître une évolution à peine positive puisque, entre 1994 et 2001, le taux de pauvreté est passé, en France, de 15 % à 14 % et celui de l’Allemagne de 13 % à 11 %. L’Allemagne a donc été un peu plus performante que la France en ce qui concerne la réduction de la pauvreté entre ces deux dates. Dans les deux pays, la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté est plus élevée pour celles qui vivent dans des « ménages immigrés », les plus vulnérables étant celles ayant une origine extra européenne. Le risque de pauvreté de ce groupe de personnes n’a d’ailleurs pas diminué de manière significative entre 1994 et 2001. En France, plus de 40 % d’entre elles vivent dans des ménages pauvres en 2001, contre 20 % en Allemagne. Compte tenu la faible différence entre les deux pays en ce qui concerne le taux de pauvreté de l’ensemble de la population, ces chiffres sont le signe empirique d’une exclusion économique des immigrés d’origine

extra-communautaire bien plus forte en France qu’en Allemagne.1

Selon les derniers rapports soumis aux gouvernements français et allemand sur l’évolution de la pauvreté dans ces sociétés, la pauvreté chez les enfants est un phénomène qui inquiète dans ces deux pays. L’expérience de la pauvreté dans l’enfance et l’adolescence a des effets sur la santé des enfants, qui sont plus souvent mal nourris, et peut constituer un handicap à évoluer et à se construire un capital culturel et social. Le diagramme ci-après met en valeur les différences entre la France et l’Allemagne dans ce domaine. Les jeunes dans les ménages « autochtones » sont un peu plus souvent confrontés à la pauvreté en France qu’en Allemagne. Les jeunes vivant dans les ménages immigrés, quelle que soit l’origine du ménage (E.U. ou Non E.U.), ont en revanche un risque de pauvreté deux fois plus élevé en France qu’en Allemagne. En France, le chiffre est même plus qu’alarmant puisqu’un jeune de moins de 17 ans sur deux vit dans un ménage pauvre, contre un jeune sur cinq en Allemagne. Certains facteurs tels que le type de ménage et le type d’activité

1

Ce n’est donc pas sans raison que la Commission Européenne a souligné dans un rapport la vulnérabilité des populations issues de l’immigration et appelé les Etats membres à engager des mesures afin de lutter durablement contre l’exclusion. Les états membres de l’Union Européenne ont fait de la lutte contre l’exclusion sociale un des objectifs centraux de la modernisation du modèle social européen. A cet effet, chaque état membre est chargé de l’élaboration d’un plan

d’action national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, cf. Conseil de l’Europe, Rapport

au sein du ménage sont prépondérants lorsqu’il s’agit d’expliquer le risque de pauvreté. Les immigrés, en particulier lorsqu’ils sont d’origine extra-communautaire, sont plus exposés au

chômage et les enfants de cette origine représentent un quart de la population des enfants pauvres.1

Le fonctionnement du système de protection sociale joue également un rôle prépondérant dans l’éradication de la pauvreté. En France, les jeunes de moins de 25 ans n’ont pas droit à l’aide sociale lorsqu’ils sont au chômage, à moins qu’il aient un enfant à charge. Lorsqu’ils sont au chômage, ils n’ont pas d’autre solution que de vivre chez leurs parents dans des conditions de logement souvent difficiles. En Allemagne en revanche, ils peuvent en cas de chômage, et si les parents ne peuvent pas subvenir à leurs besoins, faire une demande d’aide sociale (Hartz IV), i.e. quitter le domicile de leurs parents et vivre ainsi de manière autonome, avec tous les avantages et inconvénients que cela comporte. L’aide sociale allemande, même si elle ne permet pas de s’élever au-dessus du seuil de pauvreté, donne ainsi aux jeunes une certaine indépendance financière et leur permet de quitter le ménage familial.

Diagramme 10 Taux de pauvreté en France et en Allemagne en 2001 selon la tranche d’âge et l’origine nationale 0,0 10,0 20,0 30,0 40,0 50,0 60,0 moins de 17 ans 17-40 ans moins de 17 ans 17-40 ans moins de 17 ans 17-40 ans FRANCE ALLEMAGNE Natifs EU Non EU

Source : Panel Européen des ménages ECHP 1994-2001, données pondérées.

Notes : le seuil de pauvreté est fixé à 60 % de la médiane du revenu équivalent total net du ménage l’année précédent l’enquête (nouvelle échelle OECD).2

1

Sur le thème de la pauvreté chez les enfants en France, cf. Fabien Dell, Nadine Legendre et

Sophie Ponthieux, « La pauvreté chez les enfants », Insee Première 896, avril 2003.

2

L’ensemble de la population est prise en compte. Ici la nationalité des enquêtés a été utilisée comme critère de différentiation. De plus, le contexte du ménage a été pris en compte dans le sens où

Le chômage est une des principales causes de la pauvreté monétaire. De ce fait, en France comme en Allemagne, résoudre le problème du chômage, en particulier le chômage de longue durée et le chômage des jeunes, est devenu un objectif majeur dans la lutte contre l’exclusion. Les pays de l’Union Européenne ne sont pas tous confrontés au chômage avec la même intensité. De même, les étrangers sont plus vulnérables dans certains pays que dans d’autres. Le diagramme ci-dessous illustre ces différences quant à l’évolution du taux de chômage en France et en Allemagne entre 1983 et 1999. Le taux de chômage a bel et bien augmenté dans les deux pays mais l’augmentation a été plus prononcée en France. Dans les deux pays, les étrangers non ressortissants de l’Union Européenne, sont plus touchés par le chômage que les étrangers ressortissants d’un des pays membres de l’Union Européenne mais c’est avant tout en France, à partir du milieu des années 1980, que le taux de chômage a augmenté considérablement parmi les étrangers ayant une nationalité des pays tiers. En 1999, plus de 30 % d’entre eux sont au chômage en France contre un peu moins de 20 % en Allemagne la même année.

Diagramme 11 Evolution du taux de chômage en France et en Allemagne entre 1983 et 1999

0 5 10 15 20 25 30 35 1983 1987 1995 1999 1983 1987 1995 1999 Natifs Total étrangers Etrangers U.E. Etrangers non U.E. FRANCE ALLEMAGNE

Source : Werner, Heinz et Ingeborg König (2001) : Integration ausländischer Arbeitnehmer in die Arbeitsmärkte der EU-Länder – Ein europäischer Vergleich. IAB-Werkstattbericht 10.

Selon des chiffres plus récents, de 2004, près de la moitié (45 %) des demandeurs d’emploi de nationalité étrangère en France sont des Maghrébins. Le taux de chômage des Maghrébins est d’ailleurs un des plus élevés : 30 % des Algériens et des Marocains sont au chômage contre 8 %

l’ensemble des personnes d’un ménage est considéré comme « étranger EU ou non EU » lorsqu’une personne au moins de cette nationalité vit dans le ménage. Pour les ménages dits mixtes, cette procédure a été appliquée : Natif /EU : EU, Natif/Non EU : Non EU, EU /Non EU : Non EU.

des étrangers ayant une nationalité d’un des pays membres de l’Union Européenne.1 En Allemagne, les Turcs sont les plus exposés au chômage : leur taux de chômage a plus que doublé entre 1990 et 2004 passant de 10 % à 26 %. Dans l’ensemble, les immigrés européens ont un taux de chômage moins élevé : les immigrés italiens sont les plus touchés (20 % en 2004) et les

immigrés espagnols les moins exposés (14 % en 2004).2

Une autre différence structurelle entre la France et l’Allemagne en matière de chômage doit être abordée ici. Si on la compare aux autres pays européens, la France est le pays dans lequel le chômage des jeunes est un des plus élevés. Selon les chiffres de l’OECD, avec un taux de chômage des jeunes atteignant 21 % en 2003, la France arrive en quatrième place derrière l’Espagne (22 %), l’Italie (23 %) et la Grèce (26 %). L’Allemagne est au neuvième rang parmi les pays de Union

Européenne avec un taux de chômage des jeunes de 12 %.3

Diagramme 12 Evolution du taux de chômage chez les moins de 25 ans selon l’origine nationale en France et en Allemagne entre 1983 et 1999

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 1983 1987 1995 1999 1983 1987 1995 1999 Natifs Etrangers E.U. Etrangers non E.U. FRANCE ALLEMAGNE

Source : Werner, Heinz et Ingeborg König (2001) : Integration ausländischer Arbeitnehmer in die Arbeitsmärkte der EU-Länder – Ein europäischer Vergleich. IAB-Werkstattbericht 10.

Le taux de chômage des jeunes, en particulier ceux dont les parents sont immigrés, s’est accru depuis le début des années 1990. Les chiffres rapportés dans le diagramme ci-dessus indiquent

1

Cf. Observatoire de l’ANPE, Les demandeurs d’emploi étrangers, Les Essentiels, ANPE, 2005.

2

Cf. Jana Bruder et Katharina Frosch, Erfolgschancen ausländischer und deutscher

Arbeitssuchender im Vergleich : die Bedeutung des Alterseffekts, Rostocker Zentrum Diskussionspapier 10, 2007, p. 3.

3

Cf. Thorsten Hellmann et Eric Thode, « Youth unemployment in Europe. An empirical

overview », in Alexander Schumann et Eric Thode (eds.), Fostering youth employment. current

situation and best practices. International Reform Monitor, Special Issue, Verlag Bertelsmann Stiftung, Güterloh, 2006, p. 20-32.

l’évolution du taux de chômage entre 1983 et 1999 chez les moins de 25 ans en France et en Allemagne, selon leur nationalité regroupée. Les niveaux des courbes témoignent bien des degrés différents en termes de risque de chômage entre les origines. Alors que le taux de chômage des jeunes en France a augmenté en moyenne entre ces deux dates, il a stagné en Allemagne. En France en particulier, 46 % des jeunes étrangers d’origine extra-communautaire se retrouvent sans

emploi en 1999, contre 26 % des Français la même année.1 En 1999, 18 % des jeunes étrangers

extra-communautaires étaient au chômage contre environ 8 % des jeunes allemands. Ces chiffres révèlent les écarts importants existant entre la France et l’Allemagne dans le domaine du chômage des jeunes puisqu’en 1999 le taux de chômage chez les jeunes en France est trois fois plus élevé que chez les jeunes en Allemagne.

Tableau 6 Expérience du chômage dans les sept années suivant la sortie du système éducatif et transition sur le marché du travail

France Allemagne

Durée moyenne de chômage en mois 13,3 7,1

Pourcentages de personnes ayant connu : - aucune période de chômage

- une période de chômage

- au moins deux périodes de chômage

37,1 27,9 35,0 54,5 20,6 24,8

Source : Quintini, Martin et Martin 2007. Données tirées de l’exploitation du panel Européen des ménages (ECHP), p. 37.

Pour les jeunes, l’entrée sur le marché du travail est par ailleurs plus difficile en France qu’en Allemagne. Le tableau ci-dessus, même s’il ne distingue pas les origines, confirme les difficultés qu’ils rencontrent en France dans le processus de transition vers l’emploi. Alors que la moitié de ceux qui sortent du système éducatif allemand n’ont jamais connu le chômage dans les sept ans qui suivent la sortie du système éducatif, c’est le cas d’un peu plus du tiers des jeunes en France. En France, plus du tiers des jeunes ont connu au moins deux fois l’expérience du chômage, contre le quart d’entre eux en Allemagne. Enfin, les jeunes ont en France une durée de chômage moyenne deux fois plus élevée qu’en Allemagne. Ceci peut-être expliqué notamment par le taux relativement faible de chômage des jeunes et par le fonctionnement du système d’apprentissage professionnel qui leur permet une entrée plus rapide sur le marché du travail.

Même si le taux de chômage des jeunes n’est pas le seul indicateur mesurant l’exclusion sociale, on peut facilement imaginer quelles sont les répercussions du chômage et du manque de

1

Notons ici que les chiffres distinguent entre étrangers et allemands/français et, pour la France, il faudrait avoir les chiffres de l’évolution du chômage chez les enfants d’immigrés français de naissance. Différentes statistiques montrent que ces derniers ont également un taux de chômage supérieur à la moyenne. En ce qui concerne l’Allemagne, le problème se pose moins.

perspectives professionnelles sur la vie de beaucoup de jeunes et sur les sociétés mêmes dans lesquelles ils vivent. Le travail est une activité sociale permettant d’accéder à un certain niveau de revenus et un moyen de créer des attaches entre les individus et la collectivité. Il permet entre autres aux individus de développer des orientations sociales et des réseaux sociaux décisifs pour

leurs parcours social et professionnel.1 Si la division du travail, selon la conception de Durkheim,

constitue un élément moteur de la cohésion sociale et de renforcement du lien social dans les sociétés industrielles, puisque des solidarités se créent au sein du travail, l’expérience du chômage est problématique pour les individus : ils se retrouvent dans l’impasse, pour les moins diplômés d’entre eux sans perspective professionnelle et parfois dans l’impossibilité de fonder une famille ou d’avoir une vie familiale stable. Avec le chômage, c’est souvent la pauvreté qui s’installe et avec elle une frustration de plus en plus forte et le sentiment de ne plus pouvoir suivre.

La sociologie de l’immigration ne peut faire l’impasse sur le degré de concentration des différents groupes dans l’espace physique. C’est dans l’espace physique que l’espace social se dessine et que les inégalités sociales atteignent le paroxysme de leur représentation ou symbolisation :

« La structure de l’espace social se manifeste ainsi dans les contextes les plus divers, sous la forme d’oppositions spatiales, l’espace habité (ou approprié) fonctionnant comme

une sorte de symbolisation de l’espace social. »2

Le déclin de la classe ouvrière caractérisé par la fermeture des usines à la périphérie des villes françaises et allemandes a profondément bouleversé cet espace. De ce fait, les difficultés sociales rencontrées par les habitants des quartiers touchés par la précarité et l’exclusion sociale peuvent être interprétées comme étant le reflet de la polarisation sociale qui atteint les sociétés française et allemande. La vulnérabilité des familles immigrées face aux transformations économiques et aux

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