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l’intégration nationale

5.2 Quelles politiques d’intégration ?

5.3.1 L’immigration : un phénomène constitué en problème social

Dans le discours scientifique, ce sont avant tout les « problèmes » accompagnant l’immigration qui sont devenus des objets de la sociologie et d’autres disciplines. Comme le souligne Sayad,

« l’immigration a fini, sous l’influence de différents facteurs, par être constituée en ‘problème social’ avant de devenir objet de la sociologie. Plus que tout autre objet social, il

n’est de discours à propos de l’immigré et de l’immigration qu’un discours imposé ; plus

que cela, c’est même toute la problématique de la science sociale de l’immigration qui est

une problématique imposée. »1

Dans le domaine politique, l’accent est rarement mis sur les apports de l’immigration, que ce soit dans le domaine de la culture ou de l’économie. En effet, on oublie volontiers que sans la main d’œuvre étrangère, ni la France ni l’Allemagne n’auraient pu, après la Seconde Guerre mondiale, relancer aussi rapidement leurs économies et remédier à leurs problèmes démographiques. Pourtant, de récents travaux montrent que les immigrés, par leur travail, ont considérablement

contribué au maintien des systèmes de protection sociale.2 En France, il existe aujourd’hui un

certain nombre d’idées reçues sur l’immigration, notamment l’idée selon laquelle la France serait

un pays d’immigration massive3, alors que les lois sur l’immigration qui ont été votées en 2006

limitent fortement l’immigration à une immigration « choisie ». La tendance en Allemagne est identique. Le sentiment d’invasion par les immigrés s’est vite propagé dans l’opinion publique

allemande. En juin 1973, l’hebdomadaire Der Spiegel titrait un de ses articles de la manière

suivante : « Les turcs arrivent ! Sauve qui peut ». Ainsi, le discours médiatique tend à associer l’immigration à un problème qu’il faut résoudre. Une convergence des politiques d’immigration peut d’ailleurs être observée dans les deux pays, avec une volonté de « choisir » les immigrés, ce qui renforce à nouveau la thèse de la fonction économique de l’immigration pour les pays d’Europe occidentale. L’Allemagne a récemment voté la loi sur l’immigration entrée en vigueur au

1er janvier 2005 et qui prévoit de limiter l’immigration de personnes peu qualifiées et d’encourager

celle de personnes hautement qualifiées.4

1

Cf. Abdelmalek Sayad, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, Editions Universitaires et

De Boeck, Bruxelles, 1991, p. 62-63.

2

Cf. Felix Büchel et Joachim R. Frick, « Immigrants in the UK and in West Germany – Relative

income positions, income portfolio, and redistribution effects », Journal of Population Economics

17, 2004, p. 553-581.

3

Cf. François Héran, « Cinq idées reçues sur l’immigration », Population & Sociétés 397, 2004.

4

A l’époque de l’immigration du travail en Allemagne, l’immigration fut dictée par une fonction purement économique et c’est cet aspect-là qui prévaut aujourd’hui encore dans les politiques d’immigration des pays européens. Le vieillissement de la population et ses effets sur les systèmes de protection sociale sont, entre autres, les raisons pour lesquelles la France et l’Allemagne ont mis en place une politique d’immigration contrôlée visant à faire entrer sur le territoire les immigrés les plus « avantageux » pour l’économie, c’est-à-dire les immigrés les plus qualifiés, et à refouler aux frontières, dans la mesure du possible, les autres, en particulier les demandeurs d’asile.

L’immigration n’a pas été constituée en problème social dès le départ ; c’est une fois la lutte des classes épuisée que le phénomène migratoire est devenu un problème social. L’épuisement de la lutte des classes qui a accompagné le passage de nos sociétés à l’ère postindustrielle est l’expression de l’affaiblissement des clivages sociaux traditionnels. La persistance de la lutte des classes en France et en Allemagne après la guerre, a permis dans un premier temps « d’oublier l’immigration ». Avec l’apparition de la nouvelle question sociale, l’augmentation du chômage, l’émergence des problèmes urbains, etc., l’immigration a été progressivement tenue responsable

des dysfonctionnements sociaux.1 Aujourd’hui, ce sont avant tout les descendants des immigrés

qui sont présentés, dans les discours publics et politiques, comme étant à l’origine des problèmes sociaux. Une part de l’opinion publique voit en eux la cause de la désintégration sociale, de la criminalité et, dans le cas de la France, de l’insécurité. En Allemagne, les problèmes de repli sur la communauté sont considérés comme une cause des « déficits d’intégration » des descendants des immigrés, en particulier de ceux qui sont nés de parents turcs, non comme sa conséquence. L’immigration étant présentée comme une source des inégalités sociales, le discours public crée ainsi l’illusion d’une société n’étant plus divisée selon les clivages sociaux traditionnels mais selon

des critères identitaires marquant la distinction entre « Nous » et « Eux ».2 Cette fragmentation

culturelle que l’on peut observer dans la plupart des sociétés occidentales est indissociable de la crise de l’Etat-nation. Selon Eder, la raison de cette représentation de l’immigration en tant que problème est liée premièrement au fait qu’elle remet en question l’Etat-nation au niveau de son intégration structurelle et deuxièmement parce qu’elle représente un défi pour l’intégration culturelle. C’est précisément l’articulation de ces deux sortes de conflits qui rend possible l’utilisation du phénomène migratoire comme instrument de communication dans la sphère

publique des problèmes rencontrés par les sociétés européennes.3 De plus, la présence d’individus

qui ne sont pas des citoyens nationaux rend difficile la légitimation du principe universel d’égalité puisqu’ils sont exclus d’un des plus grands principes en vigueur dans les sociétés démocratiques occidentales, celui même de l’égalité.

En France, les études sociologiques prenant les populations issues de l’immigration comme objet d’étude se sont multipliées après des révoltes qui eurent lieu dans les banlieues à la suite de bavures policières et qui coûtèrent la vie à plus d’une centaine de jeunes, maghrébins pour la

plupart.4 Ces analyses mettent en lumière les effets dévastateurs du chômage et de l’exclusion

sociale au sein de certaines communautés. Elles soulignent également les difficultés sociales

1

Cf. Michel Wieviorka, « Zur Überwindung des Konzeptes der Integration. Eine Lektion aus

französischen Erfahrungen der Gegenwart », in Yves Bizeul (Hrsg.), Integration von Migranten.

Französische und deutsche Konzepte im Vergleich, op. cit., p. 1-11.

2

Cf. Klaus Eder, « Warum ist Migration ein soziales Problem?... », op. cit.

3

Ibid., p. 72-73.

4

François Dubet et Didier Lapeyronnie, Les quartiers d’exil, op. cit. ; Adil Jazouli, L'action

collective des jeunes maghrébins de France, C.I.E.M.I et L'Harmattan, 1986 et Michel Wieviorka,

spécifiques aux jeunes issus de l’immigration, victimes de discrimination dans la recherche d’emploi et frustrés de ces expériences. En Allemagne, c’est en particulier dans le domaine de la sociologie de l’éducation que le devenir des enfants des immigrés est devenu un objet de recherche depuis le milieu des années 1980. Là aussi, les sociologues se penchent sur les transformations urbaines, la désintégration sociale et l’émergence éventuelle de conflits qui peuvent découler de

ses mutations sociales.1 Néanmoins, la recherche en Allemagne est moins souvent placée dans le

contexte social général ; ce qui provient du fait que les questions liées à l’intégration sont conçues et perçues de ce côté du Rhin comme ne concernant que les populations immigrées ou issues de l’immigration.

Les réticences des individus face à l’immigration et les processus de stigmatisation de certains groupes de population ne contribuent pas à rétablir le lien social qui s’effiloche depuis quelques années sous l’effet des différentes crises économiques et sociales, bien au contraire. Les élections françaises de 2002 et le succès de Jean-Marie Le Pen, candidat du Front National, au premier tour des élections présidentielles ont montré que le retour en force de l’ idéologie de l’extrême droite est fortement liée une crise politique combinée à une l’insatisfaction profonde d’une grande partie de la population. La peur de l’Autre se traduit par des attitudes négatives envers tout ce qu’il peut représenter. Il est donc intéressant ici de montrer quel est le degré d’acceptation du phénomène migratoire et de la présence des immigrés et de leurs familles au sein de ces deux Etats.

Les attitudes face à l’immigration dépendent d’un certain nombre de facteurs tels que le niveau de diplôme, le statut professionnel, le type d’activité, l’âge etc. et il n’est pas possible ici de se

pencher sur l’ensemble de ces facteurs en détails. L’enquête nommée « European Social Survey »2

a porté entre autres en 2001, la première année d’enquête, sur les perceptions des européens face à l’immigration. Trois domaines sont exploités ici : les effets positifs ou négatifs de l’immigration sur l’économie nationale, sur la qualité de la vie et sur la culture. Si on se penche sur ce sujet pour la France et l’Allemagne, dans une perspective purement descriptive, on s’aperçoit alors que des similarités et des disparités existent entre les deux pays. En France et en Allemagne, on retrouve à peu près le même nombre d’enquêtés estimant que l’immigration est un phénomène positif pour l’économie (environ 15 %) et la qualité de la vie (environ 12 %). En revanche, dans le domaine culturel, près du tiers des enquêtés en Allemagne estiment que l’immigration constitue un enrichissement contre un peu moins du quart des enquêtés en France. C’est en France, enfin, que le plus grand nombre d’enquêtés voit dans l’immigration un phénomène ayant des effets négatifs

1

Voir en particulier Wilhelm Heitmeyer et Reimund, Anhut, Bedrohte Stadtgesellschaften, op. cit.

et Wilhelm Heitmeyer (Hrsg.), Die Krise der Städte. Analysen zu den Folgen desintegrativer

Stadtentwicklung für das ethnisch-kulturelle Zusammenleben, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 1998.

2

Cf. R. Jowell and the Central Co-ordinating Team, European Social Survey 2002/2003, Technical

puisque dans les trois domaines présentés, le taux de réponses dans les catégories reflétant une

attitude négative est supérieur à celui de l’Allemagne.1

Diagramme 4 Perceptions face à l’immigration en France et en Allemagne

0 5 10 15 20 25 30 35

Vie culturelle appauvrie Lieu de vie déprécié Mauvais pour l'économie Vie culturelle enrichie Meilleur lieu de vie Bon pour l'économie

%

France Allemagne

Source : European Social Survey 2001, données pondérées. Les enquêtés répondent à ces questions en utilisant une échelle de 0 à 10. Dans la catégorie « Good for… », les réponses 0 à 3 ont été regroupées. Dans la catégorie « Bad for… » les réponses 8 à 10 ont été regroupées.

Le caractère symboliquement négatif qui pèse sur le phénomène migratoire et sur la présence des immigrés ne s’arrête pas à la première génération. Les processus et mécanismes de stigmatisation, qui reposent sur une asymétrie de pouvoir et en sont à la fois la garantie, ont tendance à perdurer. Les descendants des immigrés subissent les répercussions des représentations de l’immigration comme « problème social » et deviennent à leur tour un « problème » pour la société dans laquelle ils grandissent. Il est donc important de garder en mémoire que l’assignation des populations issues de l’immigration à certaines positions dans la société est un processus influencé par ces représentations collectives et que ces dernières se perpétuent aujourd’hui jusqu’à la troisième génération. En effet, les acteurs qui furent au cœur des émeutes qui ont eu lieu dans les banlieues françaises en novembre 2005 ne sont pas, pour beaucoup d’entre eux, les descendants directs des immigrés et n’appartiennent donc pas à la « seconde génération ». Il s’agit en grande partie de la « troisième génération », donc des enfants des descendants d’immigrés qui à leur tour, voient leur situation marquée par un rapport de domination et une situation de discrimination et de relégation

1

Les questions portant sur les attitudes posent certains problèmes méthodologiques, notamment

celui du biais de « désirabilité », social desirability bias. Les enquêtés confrontés à ces questions

sont souvent tentés de répondre conformément à ce qui est souhaité socialement. Cf. Allyson L. Holbrook, Melanie C. Green et Jon A. Krosnick, « Telephone versus face-to-face interviewing of national probability samples with long questionnaires : comparisons of respondent satisficing and

qui les dépasse et les exaspère. La présence des immigrés étant considérée comme problème social, la perception collective de ce phénomène pèse sur le destin des enfants d’immigrés et vient compliquer leur intégration au sein de la nation. Les représentations collectives du phénomène migratoire agissent comme une « déterminante invisible » et viennent structurer les parcours des descendants des immigrés, en particulier de ceux et celles qui sont le plus associés à l’émergence des problèmes sociaux et, dans le cas des musulmans et/ou de ceux qui sont d’origine arabe, à une menace terroriste qui pèserait sur les sociétés occidentales : les jeunes d’origine maghrébine en France et d’origine turque en Allemagne.

5.3.2 Héritage de l’immigration et héritage de la colonisation

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