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7 Inégalités dans les systèmes éducatifs allemand et francais

7.2 Eléments d’explication des inégalités en terme d’éducation et des variations nationales

7.2.1 Importance de l’origine sociale

Les résultats de l’enquête PISA ont montré que le lien entre origine sociale et performances scolaires reste fort dans certains pays, notamment en Allemagne. A côté de la Hongrie, la Belgique et la Slovaquie, c’est en Allemagne que la relation entre l’origine sociale et les performances en mathématiques dépasse la moyenne de l’OECD et que la différence constatée est statistiquement

significative.1 Pour la France, cette différence n’est pas statistiquement significative mais les

résultats présentés dans le présent chapitre ont montré que la prise en compte de l’origine sociale diminue les inégalités entre les groupes d’origine. L’expansion scolaire a entraîné une forte

diminution des inégalités des chances2 mais l’origine sociale continue aujourd’hui à déterminer les

carrières scolaires dans les deux pays ce qui place les descendants des travailleurs immigrés dans une situation de désavantage par rapport à l’ensemble de la population autochtone.

L’éducation repose en Allemagne sur le devoir parental et sur l’individualité. L’expérience du national-socialisme explique pourquoi l’Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, a rejeté l’idée d’un Etat intervenant fortement dans le domaine de l’éducation des enfants. Le fait par

1

Cf. OECD, Apprendre aujourd’hui, réussir demain, op. cit.

2

En Allemagne notamment, la démocratisation scolaire a permis de diminuer les inégalités entre les sexe, entre les régions et les confessions.

exemple que l’école n’ait lieu que le matin témoigne de cette volonté d’éviter que l’Etat ait la main mise sur les enfants, l’histoire ayant montré à quel point cette institution pouvait servir d’instrument d’endoctrinement. L’importance des parents dans l’éducation des enfants en Allemagne place les plus défavorisés d’entre eux devant des difficultés à la fois en termes de capital économique et de capital humain. Les descendants des immigrés en France sont également désavantagés sur ces points mais l’école se charge dans une plus grande mesure de leur éducation, les prenant en charge toute la journée.

Comme cela a été dit dans l’introduction, l’expansion scolaire française a débouché sur la création du collège unique, regroupant les élèves de toutes les origines sociales dans un même type

d’établissement. En Allemagne, le renforcement des Realschulen notamment a transformé les

Hauptschulen en classes de relégation. Il y a alors eu un « effet de passoire » : les jeunes natifs

allemands des classes moyennes ont accédé plus facilement aux Realschulen et aux lycées alors

que les jeunes issus des classes ouvrières, et parmi eux surtout les jeunes descendants des

immigrés, ont rempli les classes des Hauptschulen.1 L’idée de sélection est encore aujourd’hui

fortement ancrée dans les institutions scolaires allemandes alors que la sélection en France se fait de manière plus subtile (par l’héritage culturel notamment).

Les mécanismes de reproduction des inégalités en terme d’éducation en France sont différents sur un autre point. La distinction entre les « bons » et les « mauvais » établissements, entre le lycée

bourgeois du centre ville et le lycée de « périphérie » 2 ou de province, est au cœur de cette

distinction entre ceux qui arriveront par la suite, dans l’enseignement supérieur, à se plier aux exigences du système académique et à « s’acculturer » au point de devenir « invisibles » dans ce nouveau milieu social et ceux qui resteront fortement ancrés dans leur quartier d’origine et ne réussiront pas à rompre avec la culture qui caractérise ce dernier. Alors que la distinction se fait très tôt entre deux cursus en Allemagne, elle se fait en France entre des collèges situés dans des quartiers différents. En ce qui concerne l’école, il est donc important de prendre en compte également le degré de ségrégation du quartier dans lequel les écoles sont implantées. Différents

chercheurs ont montré que des inégalités existent dans les deux pays.3 C’est notamment dans les

établissement les plus ségrégués, dans les banlieues en France – avec une population immigrée importante – que les chances de réussite scolaire sont les moins grandes. Dans un travail récent, Van Zanten a par exemple introduit, pour parler de la ségrégation scolaire, la notion de « l’école de

1

On voit ici que la position des descendants des immigrés dans les filières les moins prestigieuses du système éducatif en Allemagne va de pair avec une meilleure scolarisation des enfants des natifs, tout comme la présence des travailleurs immigrés dans les positions sociales les plus basses a engendré une ascension sociale des ouvriers allemands.

2

Cf. Stéphane Beaud, 80 % au Bac, op. cit.

3

Cf. pour la France Georges Felouzis, « La ségrégation ethnique au collège », op. cit. et pour

la périphérie » 1 et montré que certains contextes d’enseignement sont loin de favoriser la réussite scolaire.

Diagramme 15 Effets des facteurs inhérents aux élèves et à leurs familles sur les performances en mathématiques, variance expliquée

0 5 10 15 20 25

France Allemagne Moyenne OECD

%

Uniquement par le statut professionnel le plus élévé des parents Uniquement par le niveau de diplôme le plus élevé des deux parents Uniquement par le patrimoine culturel classique

Uniquement par la famille monoparentale Uniquement par le pays de naissance Uniquement par la langue parlée à la maison Variance commune expliquée par plus d'un facteur

Source : OECD 2004, Apprendre aujourd’hui, réussir demain Premiers résultats de PISA 2003, p. 413.

L’impact des facteurs économiques, sociaux, démographiques etc. diffère selon le pays. Dans le cadre de l’enquête PISA 2003, différents facteurs explicatifs des variations de la performance scolaire des élèves dans les différents pays de l’OECD ont été étudiés, notamment le lien entre le

milieu socio-économique d’origine, familial, et les performances en mathématiques.2 Le

diagramme ci-dessous montre l’effet combiné de ces facteurs et indique la part de la variance dans les performances en mathématiques des élèves imputable à chaque facteur lorsque les autres facteurs sont contrôlés dans le modèle. En moyenne, dans les pays de l’OECD, 17 % de la variation des compétences mathématiques des élèves peut être attribuée aux caractéristiques

familiales des élèves3 (21 % en Allemagne et 19 % en France).

1

Cf. Agnès Van Zanten, L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue, PUF,

Collection Le lien social, Paris, 2001.

2

Cf. notamment le chapitre 4 dans OECD, Apprendre aujourd’hui, réussir demain, op. cit.

3

Statut professionnel des parents, niveau de diplôme, patrimoine culturel classique, type de ménage, pays de naissance, langue parlée à la maison.

L’effet important de l’origine « immigrée » en Allemagne apparaît dans ce diagramme puisque non seulement le fait d’avoir des parents immigrés mais aussi la langue parlée dans le ménage

contribuent grandement à expliquer les différences constatées entre les élèves.1 Il y a par

conséquent une superposition des dimensions « origine culturelle » et « origine sociale »

particulièrement forte en Allemagne au sein du système scolaire que l’on ne retrouve pas en France. En effet, alors que la position socioprofessionnelle des parents et leur niveau de diplôme sont les facteurs qui expliquent le plus les variations entre les performances des élèves en

Allemagne, le capital culturel sous sa forme objectivée2 a en France un effet considérable sur la

variance expliquée. L’objectivation du capital culturel sous forme de possession de biens culturels

(livres, tableaux etc.) est étroitement liée, comme l’a montré Bourdieu dans La Distinction3 à

l’habitus culturel. L’importance du patrimoine culturel classique semble être une caractéristique

prépondérante dans la société française.4 C’est inévitablement ce capital culturel objectivé qui

manque aux jeunes dont les parents sont immigrés. D’une part, le capital culturel transmis par la famille immigrée n’est pas valorisé dans la « société d’accueil » et, d’autre part, les parents immigrés ne sont souvent pas en mesure de transmettre à leurs enfants un héritage culturel qui leur permettrait de concurrencer les enfants sortis des grandes familles et des collèges les plus prestigieux. On voit donc ici que la réussite des descendants des immigrés dans le tertiaire n’est pas nécessairement une réussite totale en France.

Alors que la part des enfants vivant dans des ménages pauvres est plus élevée en France qu’en Allemagne, et que les jeunes issus de ménages immigrés sont particulièrement concernés par le problème de la pauvreté économique comme l’ont montré les résultats présentés dans le chapitre 5, l’école française semble plus en mesure de donner des chances de réussite scolaire que l’école allemande. Ceci indique aussi que les descendants des immigrés s’en sortent mieux en France à l’école malgré leur manque de ressources économiques. Ceci m’amène à aborder la question des aspirations et de la mobilisation parentale comme éléments explicatif des inégalités.

1

Il est intéressant de souligner ici que le maintien de la langue d’origine est une conséquence des conditions de vie objectives de certaines communautés. Les Turcs ont, selon Esser qui a exploité les données du SOEP, ont une probabilité supérieure aux étrangers provenant des autres pays de recrutement d’ « abandonner » leur langue d’origine quand les biographie migratoire et familiale

sont prises en compte, cf. Hartmut Esser, « Migration, Sprache und Integration »,

AKI-Forschungsbilanz 4, WZB, Berlin, 2006, p. 57. Ainsi, la relégation, à la fois politique et sociale, semble être un élément générateur du maintien de la langue turque dans les familles défavorisées.

2

Bourdieu distingue trois sortes de capital culturel : le capital culturel incorporé (habitus culturel), le capital culturel objectivé (biens culturels) et le capital culturel institutionnalisé (titres scolaires).

Cf. Pierre Bourdieu, « Ökonomisches Kapital, kulturelles Kapital, soziales Kapital », op. cit.

3

Cf. Pierre Bourdieu, La distinction, op. cit.

4

Les autres pays dans lesquels ce facteur est également particulièrement important sont le

Danemark, la Suède, la Norvège, l’Autriche et la Hongrie. Cf. OECD, Apprendre aujourd’hui,

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