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Un passage des règles de droit du travail à un « pilotage » par les incitations financières

Section II : Le glissement d'une législation du travail à une législation de l'activité professionnelle

B) Un passage des règles de droit du travail à un « pilotage » par les incitations financières

droit du travail ? Ces éléments de réforme sont, pour leurs auteurs, étroitement liés. Il est cependant utile de discuter chacun d’eux séparément.

B) Un passage des règles de droit du travail à un « pilotage » par les incitations financières

Dans quelle mesure peut-on renforcer les incitations financières des entreprises à moins recourir à la flexibilité externe ou, ce qui est pratiquement équivalent, à tenir compte du coût social des ruptures ou fins de contrat ?

On analysera ici la proposition formulée par messieurs BLANCHARD et TIROLE316 concernant les modalités de financement de l’allocation chômage, les avantages ou les risques qu’elle comporte de l’avis même des auteurs, avant d’en présenter une discussion plus générale. Les auteurs analysent, dans un premier temps, le seul cas du licenciement et non celui du recours aux emplois temporaires. Ils proposent de réformer le mode de financement des assurances chômage en liant la cotisation de l’entreprise à sa politique en matière de licenciement. Pour que le coût social d’un licenciement soit totalement internalisé par l’entreprise, la contribution devrait être égale à la somme des allocations chômage versées par Pôle Emploi.

Plusieurs arguments plaident néanmoins pour que la contribution reste inférieure à cette somme, ce qui revient à conserver une part de mutualisation dans le financement de l’assurance, comme c’est le cas, au demeurant, dans l’un des rares pays pratiquant actuellement ce système, à savoir les Etats- Unis.

314 BELEVA I., « Long-Term Unemployment as Social Exclusion », Rapport sur le développement humain, PNUD 1997

315 Perspectives de l’emploi, OCDE, 2004

316 BLANCHARD O., TIROLE J., "Protection de l’emploi et procédures de licenciement", Les rapports du conseil d’Analyse économique, n° 44, Paris, La Documentation française, 2003

En contrepartie de cette responsabilisation financière des entreprises, la décision de licencier devrait, selon les auteurs, leur être laissée. L’administration et le juge ne devraient donc plus intervenir dans la procédure de licenciement. En revanche, le système judiciaire devrait continuer à vérifier que les licenciements pour motif personnel découlent bien d’une cause réelle et sérieuse propre à la personne du salarié et qu’il ne s’agit pas d’un licenciement économique déguisé.

Quels seraient les avantages attendus de cette application du principe du "pollueur-payeur" à l’assurance chômage ?

D’abord, les entreprises qui licencient beaucoup verraient leur contribution augmenter. Elles seraient donc incitées à moins licencier. A l’inverse, pour celles qui ne licencient pas ou peu, le coût du travail diminuerait, elles devraient donc être incitées à embaucher.

Cette solution devrait permettre de réduire l’incertitude pesant sur la durée de la procédure de licenciement économique et sur son coût.

Licencier un salarié susceptible de rester longtemps au chômage deviendrait plus coûteux pour l’entreprise. Les entreprises devraient donc être incitées à moins licencier ceux de leurs salariés qui auraient un risque élevé de ne pas retrouver rapidement un emploi, faisant en cela coincider leurs intérêts et l’intérêt général.

Cette solution aurait également l’avantage d’encourager les entreprises à investir dans la formation continue et, d’une manière plus générale, dans la gestion du marché interne du travail.

L’effort de formation et d’amélioration des qualifications permettrait de plus, si un licenciement s’avérait nécessaire, de réduire la durée de l’épisode de chômage et, par-là même, le coût d’indemnisation du chômeur et donc le coût pour l’entreprise.

Cette proposition est aussi porteuse de certains risques.

Le premier risque est celui d’une plus grande sélectivité à l’embauche. Les entreprises éviteraient de recruter des salariés qui, en cas de licenciement, risqueraient de rester longtemps au chômage par exemple les salariés peu qualifiés ou âgés.

De même elles seraient incitées à prendre moins de risque dans l’embauche des salariés dont la qualification et les compétences devraient être développées ultérieurement, ce qui risquerait de pousser, encore plus qu’il n’est actuellement déjà observé, au recrutement de personnes

surqualifiées et déjà dotées de références.

Le deuxième risque serait de fragiliser par l’exigence d’une contribution financières des entreprises déjà en difficulté, au risque de les conduire au dépôt de bilan, ce qui appellerait aussi probablement une nouvelle réforme du droit des procédures collectives afin de pouvoir intervenir encore plus en amont avant même toute procédure de sauvegarde. Plus généralement, certaines entreprises évoluent dans des environnements très concurrentiels et n’ont d’autres choix que de gérer leur main-d’œuvre de façon plus flexible que d’autres entreprises plus protégées. Il est difficile de les en rendre entièrement responsables.

Des entreprises anticipant un fort risque d’avoir à licencier leurs salariés dans certaines activités, pourraient être tentées de transférer ces activités à des sous-traitants moins bien armés financièrement et techniquement ou alors à l’étranger en délocalisant définitivement317.

Le licenciement économique devenant plus coûteux, certaines entreprises pourraient être incitées à camoufler des licenciements économiques en licenciement pour faute.

Enfin, le système devrait être étendu aux emplois temporaires et pas limité aux seuls licenciements salariés en CDI. A défaut, les employeurs seraient incités à embaucher beaucoup plus en CDD. Les auteurs en concluent qu’il est indispensable alors de définir un contrat unique de travail.

Trois questions méritent une discussion plus approfondie. La première concerne les rôles respectifs des incitations financières et de la règle (ou du droit) dans ce domaine sensible des relations du travail318, la seconde porte sur le degré de mutualisation du risque chômage, la dernière porte sur le corollaire, le contrat unique.

Il faut d’abord rappeler que règles et incitations ne doivent pas être opposées de façon systématique319, étant entendu que, en droit comme en fait, l’entreprise reste, en matière de licenciement, maître de la décision. Les règles relatives aux licenciements constituent, de fait, des incitations financières visant à deux niveaux à réduire le recours au licenciement. Le premier est que, de manière générale, recourir à un licenciement a un coût procédural important et surtout incertain. Le second niveau concerne la prévention des risques de licenciement pour motif

317 CAMDESSUS M., "Le sursaut vers une nouvelle croissance pour la France", Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, Collection des rapports officiels, Paris, La Documentation française, 2004.

318 VALENTIN V., « Les conceptions néo-libérales du droit », Economica, Corpus Essais, 2002 319 PELISSIER J. (dir.), "Droit de l’emploi", Dalloz Action, 1999

économique et, notamment, les efforts de formation et d’adaptation des salariés. La loi fait obligation à l’employeur de prévoir cette adaptation. Lorsque le juge est amené à se prononcer sur le licenciement, le constat de l’insuffisant respect de cette obligation peut l’amener à récuser l’existence de cause réelle et sérieuse et donc accroître très fortement le coût du licenciement.

Dans le cas particulier de la proposition de messieurs BLANCHARD et TIROLE, la question posée revient à savoir si la modulation des cotisations d’assurance chômage est plus à même de limiter les ruptures de contrats ou les fins de contrats, en encourageant les entreprises à adapter leur main- d’œuvre aux changements plutôt qu’à la renouveler.

L’analyse de cette proposition nous conduit à souligner que la modulation pourrait être introduite comme un mécanisme incitatif complémentaire, et non substitutif, des règles du droit de licenciement ; celles-ci doivent sans doute être aménagées mais non supprimées.

En effet, pour la couverture de la plupart des risques sociaux notamment la santé ou l’incapacité de travailler du fait de l’âge ou du handicap, il est recouru à une mutualisation, au moins partielle, du financement.

C’est le principe qui inspire les régimes obligatoires de protection sociale notamment les régimes de base de l’assurance santé, la composante de retraite par répartition mais aussi la protection complémentaire d’entreprise. Jusqu’à présent il en est de même pour l’indemnisation du chômage.

En proposant de moduler les cotisations chômage selon les entreprises, BLANCHARD et TIROLE proposent de réduire ce degré de mutualisation, mais pas de le supprimer. Ils estiment qu’une partie de la cotisation chômage de l’entreprise devrait rester, comme aujourd’hui, proportionnelle à la masse salariale. De plus, la part salariale des cotisations chômage resterait entièrement mutualisée.

Pour fixer les limites entre mutualisation et responsabilisation, il est alors nécessaire de séparer, dans le recours à la flexibilité externe, plusieurs composantes qui, chacune, contribuent au coût de l’assurance chômage, ou au coût social plus large du chômage.

Il y a une composante « macro-économique » : un ralentissement de la croissance dû à des chocs extérieurs pèse sur le nombre de chômeurs et il conviendrait d’y faire face en utilisant les réserves constituées en période de meilleure conjoncture. Il est logique, dans ce cas, que la mutualisation joue un rôle central, même si certaines activités sont plus particulièrement sensibles à certains chocs.

Il y a des composantes structurelles affectant certains secteurs comme par exemple, la disparition des charbonnages par épuisement des ressources naturelles exploitables, et sans doute aussi plus récemment la réduction sensible de la sidérurgie lourde.

Par contre, il existe des secteurs ou le recours à une flexibilité extrême est une pratique généralisée difficilement justifiable économiquement et socialement. On a évoqué, dans la première partie, le cas des intermittents du spectacle, où les formules retenues pour l’indemnisation du chômage dans ces activités particulières en sont venues à structurer la profession, tant du point de vue des entreprises que des salariés.

Elles conduisent, au total, à faire financer partiellement par l’assurance chômage le soutien aux activités culturelles, conduisent à des abus dans la gestion des contrats de travail tout en maintenant certain des intermittents dans une précarité réelle. On pourrait évoquer, aussi, les taux de rotation excessifs de certains secteurs tels que la restauration ou encore les activités touristiques, etc., ou le CDI intermittent pourrait, sans difficulté majeure et sans surcoût salarial, se substituer au CDD d’usage ou au CDD saisonnier dans nombre de cas.

Une solution pourrait être d’appliquer des taux différenciés de cotisations patronales par secteur en fonction du surcoût qu’ils provoquent structurellement pour l’assurance chômage. C’est, au demeurant, le mécanisme mis en jeu dans le cas des assurances sur les accidents du travail.

Ce faisant, on n’inciterait pas individuellement chaque entreprise à gérer autrement sa main- d’œuvre : il s’agirait d’un mécanisme de prise en compte d’une responsabilité collective au niveau de la branche d’activité.

Il est sûr que, pour faire prendre en charge partiellement par les entreprises, le coût social de leurs décisions de gestion de main-d’œuvre et pour ne pas encourager encore plus le recours aux contrats temporaires, un tel dispositif devrait porter sur l’ensemble des séparations : fins de contrats, licenciements, ruptures négociées par les deux parties.

Il semble bien qu’il soit possible de moduler les cotisations chômage des entreprises en fonction du coût des allocations chômage que les anciens salariés perçoivent quelle que soit la nature du contrat de travail (en CDI ou en CDD). Du moins, le type de solution retenue dans les systèmes

Dans l’experience rating mise en œuvre au niveau des Etats fédérés des Etats unis d’Amérique, le taux de cotisations chômage de chaque entreprise est calculé en modulant, chaque année, le taux général par un coefficient calculé en rapportant le montant des prestations chômage versées aux anciens salariés aux cotisations chômage versées par l’entreprise. Le calcul s’effectue soit depuis la création de l’entreprise, soit sur un nombre donné d’années. Ceci nécessite d’établir pour chaque entreprise un compte recensant ces éléments.

Etablir un tel système dans le cas français nécessiterait que Pôle Emploi enregistre, lors de l’entrée en indemnisation d’un chômeur, les références de l’entreprise qui s’est séparée de lui. Ceci peut s’appliquer aussi bien à un licenciement qu’à une fin de CDD.

Une objection peut cependant être faite : les droits à assurance chômage et donc le montant des prestations qu’un salarié peut percevoir sont acquis parfois, voire souvent, dans plusieurs emplois successifs. C’est le cas pour les CDD ou l’intérim. Pour les salariés qui, en fin de CDD ou d’intérim accèdent à l’assurance chômage, la contribution devrait-elle être supportée par le seul dernier employeur ou par l’ensemble des employeurs précédents, au prorata des durées des emplois successifs, ce qui revient à poser le problème de la diversité et de la pluralité des contrats et des employeurs et à se demander si la réponse ne serait pas un contrat unique

§ 2 : La réponse à la diversité des contrats et procédures : un contrat unique

Pour les partisans du contrat unique, la pluralité des contrats tend à segmenter le marché du travail, car il existe par nature des freins à la transformation d’un contrat temporaire en un contrat à durée indéterminée320. Cette décision marque, en effet, une rupture dans le calcul du coût de séparation dont la source ne se trouve pas dans le montant de l’indemnité, légale ou conventionnelle, de licenciement, mais dans les coûts associés à la procédure de licenciement et par l’incertitude sur l’issue s’il y a contestation devant les juridictions compétentes.

En effet, un salarié en CDI avec moins d’une année d’ancienneté, depuis la loi de juin 2008321, n’a droit à aucune prime de licenciement sauf convention collective plus favorable que le minimum légal, alors que la prime de précarité due en fin de CDD, s’il n’est ni saisonnier ni «d’usage » atteint 10 % des salaires versés.

320 Cass. Soc., 2 juin 2010, Arrêt n°1188 FS-P+B N°09-41.416

Une telle réforme serait-elle susceptible de concilier la flexibilité nécessaire aux entreprises et une sécurité de l’emploi améliorée pour les plus fragiles ? Ceci dépendrait, bien entendu, du droit régissant ce nouveau contrat unique.

Remplacer CDI et CDD par un contrat de travail unique, plus «flexible» : est une idée récurrente que la crise pourrait remettre sur le devant de la scène. Dans un rapport très critique envers la France, rendu en mai 2011322, la Commission européenne préconise un certain nombre de réformes libérales. «Pour améliorer le fonctionnement du marché du travail en France, il conviendrait de

continuer à réduire sa segmentation», écrit Bruxelles, qui juge excessif le nombre de contrats de

travail différents, et trop important le coût des licenciements individuels pour les employeurs.

A l’instar de la Commission, le FMI et l’OCDE sont également partisans du contrat de travail unique, selon des modalités similaires323 : un contrat à durée indéterminée, mais facile à briser, censé inciter l’entreprise à embaucher. Le but est d'en finir avec un marché du travail «coupé en deux», qui surprotégerait les titulaires de CDI, mais maintiendrait les salariés en CDD dans la précarité324 (A).

Si le contrat unique n’a jamais vu le jour, est expliqué par le fait que du côté des acteurs de l'économie, personne n’est vraiment enthousiaste.

Pour les organisations syndicales représentatives de salariés, elle revient à généraliser la précarité.

«Un contrat de travail unique se traduirait avant tout par un mode de rupture unique du contrat de travail, jugeait la CFDT lors des négociations de 2007. Il ne pourrait s’agir que d’une rupture simplifiée d’un contrat conclu sans fixation préalable d’un terme faisant supporter la précarité aux nouveaux embauchés, principalement les plus jeunes».

322 COMMISSION EUROPEENNE, « Recommandation du conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2011 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité actualisé de la France pour la période 2011-2014 »

323 « Nous constatons avec préoccupation que les négociations [sur la modernisation du marché du travail] semblent plutôt partir du principe que le cadre juridique actuel est largement immuable, freinant ainsi de possibles réformes du contrat de travail. Une véritable rupture avec le passé et une amélioration réelle du fonctionnement du marché du travail nécessitent d’amender les dispositions juridiques régissant actuellement le licenciement économique, de manière à faciliter les ajustements de main-d’œuvre sans passer par la solution, coûteuse, du licenciement individuel. Le système judiciaire devrait moins intervenir dans les relations entre employeurs et salariés : l’issue des conflits en serait accélérée et moins aléatoire… », FMI, novembre 2007. « Assouplir la législation sur la protection de l’emploi. Les règles relatives aux licenciements collectifs, les taux légaux de compensation élevés, les dispositions limitant le recours aux contrats à durée déterminée (CDD) et les restrictions relatives au temps de travail gonflent à la fois les coûts de main-d’œuvre et les coûts de licenciement, ce qui freine les recrutements. Recommandations : Limiter le rôle du système judiciaire aux cas les plus épineux. Les règles destinées à limiter le recours aux CDD devraient être assouplies, et les dispositions relatives aux « plans sociaux » (qui accompagnent les licenciements collectifs) modifiées. », OCDE, 2005.

324 BELEVA I., « Long-Term Unemployment as Social Exclusion », Rapport sur le développement humain, PNUD 1997

Les organisations représentatives des employeurs ne sont pas plus demandeuses d’une uniformisation des contrats de travail. «Ce n’est pas une piste de travail pour nous, on a besoin de

CDI, de CDD, de contrats extra. Tous ces contrats sont utilisés. Même si on peut assouplir les conditions de séparation entre chefs d’entreprise et salariés»325.

Le Medef lui-même paraît se contenter de la création, suite à l'accord de 2008, de la rupture conventionnelle de contrat qui permet à employeur et salarié de se séparer facilement d’un commun accord. «Pour les patrons, le contrat unique, qui tient du CDD et du CDI, n'est pas assez flexible, explique Jean-Christophe SCIBERRAS326. Alors que la flexibilité des contrats précaires est un

atout qu'ils ne sont pas prêts à lâcher sans de véritables contreparties en termes de facilité de licenciement» (B).