• Aucun résultat trouvé

Instabilité de l'emploi et choix d'ajustement interne externe

Section II : Instabilité et insécurité de l’emplo

B) Instabilité de l'emploi et choix d'ajustement interne externe

En matière de modulation du temps de travail193, une impulsion forte avait été donnée dans le cadre de la mise en place des 35 heures194 et les négociations au sein des entreprises avaient souvent conduit à des accords permettant d’accroître la flexibilité conjoncturelle.

Les procédures de prévention des difficultés195 de l’entreprise196 et celles de licenciement197 prévoient bien des obligations de formation198 et de reclassement199y compris dans le groupe de sociétés200 et à l’étranger201 en vertu de l’article L 1233-1 du code du travail, mais il s’agit d’incitations bien tardives se développant dans des situations économiques difficiles.

De manière générale, les entreprises ne sont pas amenées à prendre en compte le coût du chômage que leurs pratiques de gestion peuvent générer. Les cotisations chômage étant seulement fonction de leur masse salariale, les entreprises n’ont pas à contribuer spécifiquement au financement des allocations chômage202 ou au coût des actions d’aide au retour à l’emploi de leurs anciens salariés devenus chômeurs, du moins jusqu'à l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013203.

Cependant il existe des dispositifs dans certains Etats qui amènent les entreprises à devoir prendre en compte ce coût du chômage dans la gestion de leurs ressources humaines. Ces pratiques sont en œuvre dans des situations très différentes du marché du travail français, comme, par exemple aux Etats-Unis avec la méthode de l’expérience-rating. L’experience rating consiste à calculer le taux de cotisations chômage de chaque entreprise en modulant, chaque année, le taux général par un coefficient calculé en rapportant le montant des prestations chômage versées aux anciens salariés aux cotisations chômage versées par l’entreprise. Ces méthodes doivent être soigneusement

193 Cass. Soc., 10 juillet 2013, Arrêt n° 12-14737, connexité avec les pourvois n° S 12-14. 737 à W 12-14. 741, accord de modulation du temps de travail

194 Loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail (dite loi Aubry I), JORF n°136 du 14 juin 1998 ; LOI no 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail (dite loi Aubry II), JORF n°16 du 20 janvier 2000

195 Loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, JORF n°173 du 27 juillet 2005. Celle-ci modernise le droit des entreprises en difficulté

196 Cass. Soc., 9 mars 2011, Arrêt n°619 FS-P+B+R+I N°10-11.581

197 Cass. Soc, 1er février 2011, Arrêt n°334 F-P+B N° 10-30.045 à 10-30.048 198 Cass.soc 25 fév. 1992, Dr.soc 1992, 379

199 Cass.soc.8 avril 1992, RJS 1992, n°598 ; Cass. Soc., 12 juin 2012, Arrêt n°1408 FS – P+B N°10-14.632

200 Cass. Soc. 25/6/1992, Bull.civ.V n° 420 ; Cass. Soc 5/4/1995 Thomson et TRW REPA, 2 arrêts, Bull.civ. V n° 123,

p.6.

201 Soc. 30/3/1999, RJS 99, n°644.

202 DUMEZ C., "La piste de l'activation de l'indemnisation du chômage", La Dépêche du Midi - Rubrique Economie,

1998

203 Accord national interprofessionnel transposé dans la Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, JORF n°0138 du 16 juin 2013

précisées avant d’être adaptées au cas français204.

Compte tenu du niveau plus élevé de l’indemnisation du chômage, la modulation pourrait concerner une part limitée du coût total ; elle pourrait également comporter une modulation sectorielle comme dans le cas des cotisations d’assurances accidents du travail, pour sanctionner les secteurs recourant de façon immodérée à la flexibilité externe ou, au contraire, alléger la charge de ceux connaissant des difficultés structurelles particulières.

Au total, sous réserve de vérifier sa praticabilité en France, l’adaptation de l’expérience-rating pourrait inciter les entreprises à arbitrer davantage en faveur de la mobilité interne.

Dans nombre d’activités, de services notamment, la prestation fournie est d’une durée faible205 : elle ne peut garantir un emploi à temps plein ou un emploi sur une longue durée. Les salariés concernés perçoivent alors une trop faible rémunération et leur horizon est précaire206. Certes, ils peuvent pratiquer le multi-salariat et exercer plusieurs emplois207, chacun à temps partiel et à horaires décalés, ou exercer leur activité chez divers utilisateurs ou encore cumuler une activité salarié à temps partiel avec une activité indépendante telle que l’auto entrepreneuriat. Mais dans tous ces cas, l’instabilité de l’emploi est accrue pour ces salariés.

Plusieurs voies ont été développées ou proposées pour réduire cette instabilité : d’un côté le « groupement d’employeurs » 208; de l’autre, la relation d’emploi « triangulaire » faisant intervenir un employeur - entreprise prestataire de services, association, etc. différent de l’utilisateur de la prestation209 ; voire CDI intermittent prévu par l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013210.

Le CDI intermittent est un contrat destiné à pourvoir des postes spécifiques, en raison d'une activité liée à une forte saisonnalité. Il peut s'agir d'emplois liés aux récoltes de fruits ou légumes, d'emplois

204 LOKIEK P., "Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 : les excès du droit négocié", Recueil Dalloz,

mars 2013, pp. 579-580

205 FABRE E., RICCARDIS (de) N., « Les contrats courts vus par les salariés : une précarité de l’emploi qui n’induit pas nécessairement une précarité du travail », Premières Informations et Premières Synthèses, mars 2007, n° 12-3,

pp 1-5

206 FAVENNEC-HERY F., "La sécurisation des parcours professionnels, sésame de toutes les réformes ?", Droit social,

novembre 2007, p.1105 et s.

207 VATINET R., "La mise à disposition des salariés", Droit social, juin 2011, p. 656

208 POUEY O., Les groupements d’employeurs, les difficultés des relations triangulaires, JCP (S) 2007, 1807 ; CASAUX-LABRUNEE L., "Les groupements d'employeurs solidaires", Droit social, octobre 2012, n°10, pp. 871-

880 ; DEPREZ J. et CHIREZ A., La répartition entre les employeurs des sommes dues aux salariés : Semaine sociale Lamy 19 août 1985, suppl. p. D. 44

209 CHIREZ A., « Les collaborateurs de l’entreprise : la licéité des opérations de fournitures de main d’œuvre », Colloque de l’Institut de droit des Affaires, Aix-en-Provence, 10 février 1995

210 Accord national interprofessionnel transposé dans la Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi publiée au JO du 16 juin 2013

liés aux fêtes de fin d'année, d'emplois liés à des périodes de promotions (soldes), etc.

Pour ces emplois, le CDI intermittent est une alternative à la succession de contrats précaires. Ce type de contrat de travail permet de fidéliser et de valoriser le travail des salariés intervenant lors des surcroîts d'activités, en alternant des périodes travaillées et des périodes non travaillées. Sa mise en œuvre suppose en règle générale une convention ou un accord collectif de branche étendu ou d'entreprise. Toutefois, un accès direct au CDI intermittent est autorisé depuis le 29 juin 2013 dans les 3 secteurs d'activité professionnelle suivants : formation, commerce des articles de sport et des équipements de loisirs, confiserie-chocolaterie-biscuiterie.

Le regroupement de plusieurs entreprises permet de mutualiser le risque d’instabilité des emplois et donc de le réduire211 ; il peut aussi permettre d’assurer un emploi à temps plein pour un salarié partageant son temps entre les différents membres du groupement. Cette idée se situe dans la logique du « contrat d’activité » proposée par le rapport Boissonnat212, lequel va plus loin en proposant de combiner, au sein de ce contrat, des périodes d’emploi et d’autres de formation.

Crées en 1985, les groupements d’employeurs213 demeurent un dispositif marginal au vu du nombre de salariés et d’entreprises concernés : de nombreuses difficultés d’ordre juridique limitent en effet leur développement214 comme par exemple la nécessité de relever de la même convention collective.

Plus importante sans doute est la structuration des services aux personnes215. Qu’il s’agisse des emplois à destination sociale : garde d’enfants, aide aux personnes dépendantes, etc. ou des autres emplois de service : tâches ménagères, soutien scolaire, etc., le premier constat est leur relativement faible développement en France, au regard des expériences étrangères. Le second constat est la très forte instabilité de l’emploi pour les salariés. Elle est liée en partie au fait que, le plus souvent, c’est l’utilisateur de la prestation qui est l’employeur direct du salarié, système dit du gré à gré, même si son recrutement passe par un organisme comme c’est le cas dans le système du mandataire.

Ces modes de gestion ont été favorisées par une politique d’allocations ou d’avantages fiscaux

211 JOUBERT F., "Le groupement d'employeurs : une solution économique et sociale au service du travail et de l'emploi", Droit social, octobre 2012, n°10, pp. 881-889

212 BOISSONNAT J., "Le travail dans vingt ans", rapport de la commission du CGP (présidée par), Ed. Odile Jacob, La Documentation française, 1995

213 Créés par la Loi n° 85.772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social, JORF n°0172 du 26 juillet 1985

214 CHIREZ A., DEPREZ J., La répartition entre les employeurs des sommes dues aux salariés : Semaine sociale Lamy 19 août 1985, suppl. p. D. 44

215 GINON A-S., GUIOMARD F., " Les nouvelles formes de mutualisation. Réflexions sur la portabilité des droits issue de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008", Droit social, novembre2009, p. 1054 et s.

bénéficiant à l’utilisateur final dès lors qu’il est employeur direct ou pour les associations ou entreprises agrées agissant comme mandataires. Pour s’assurer un temps de travail suffisant, le salarié doit alors, dans la plupart des cas, trouver plusieurs employeurs. De plus, le contrat de travail avec chaque employeur est rompu dès lors que la prestation n’est plus nécessaire216.

Au total, le développement de prestations de services aux personnes dans le système de mandataires, entreprises ou associations, pourrait permettre une plus grande stabilité de l’emploi que la relation directe d’emploi actuellement pratiquée. Elle n’est pas pour autant garantie, puisque le secteur assez comparable des services opérationnels aux entreprises connaît, en France, une très forte instabilité de l’emploi.

§ 2 : Instabilité de l’emploi : les mécanismes « observés »

Il peut paraître surprenant qu’aucune mention n’ait pratiquement été faite, jusqu’à présent, de la diversité des contrats de travail. Il s’agit pourtant de la distinction, en apparence, la plus évidente entre emplois stables et instables.

C’est la fin des contrats à durée déterminée ou des missions d’intérim qui nourrit les flux les plus importants de sortie de l’emploi dans les statistiques de mouvements de main-d’œuvre, les fins de CDD ou d’intérim représentent plus de la moitié de l’ensemble des sorties des établissements de dix salariés et plus en 2002 et d’entrées au chômage indemnisé (48 % en 2002)217.

Comme nous avons pu le constater, l’instabilité du marché du travail est particulièrement liée à cer- taines formes de contrats : CDD, intérim... Face à ce constat établi notamment par le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale218, regardons les pistes évoquées pour lutter contre l’insécurité professionnelle (A).

Par ailleurs, nous avons pu noter que les salariés les plus soumis aux aléas économiques sont les salariés en statut précaire, c'est-à-dire pour une très grande part les contrats à durée déterminée, les intérimaires, les stagiaires et les contrats aidés. A noter que les apprentis bénéficient d’une situation particulière : leur contrat est certes précaire mais ils reçoivent une formation (B).

216 RAY J.-E., "Droit du travail, droit vivant", Editions Liaisons, 2012

217 Déclaration de Mouvement de Main d'Œuvre (D.M.M.O), Ministère du travail, 2002

218 Rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), « La sécurité de l’emploi face aux défis des transformations économiques », 2005.