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Les conséquences économiques des règles de droit actuelles

Section II : Le glissement d'une législation du travail à une législation de l'activité professionnelle

A) Les conséquences économiques des règles de droit actuelles

La protection de l’emploi, en France, repose sur la combinaison de règles assez restrictives de recours aux emplois temporaires, peu contrôlées dans les faits, et sur des procédures de licenciement complexes conduisant à un coût a priori élevé et très aléatoire pour l’entreprise307. Ce coût est ainsi évalué à un an de coût brut de la main-d’œuvre dans le cas d’un licenciement sans plan de sauvegarde de l’emploi ou PSE et atteint des montants sensiblement plus élevés en cas de

301 BLANCHARD O., TIROLE J., "Protection de l’emploi et procédures de licenciement", Les rapports du conseil d’Analyse économique, n° 44, Paris, La Documentation française, 2003.

302 CAHUC P., KRAMARZ F., "De la précarité à la mobilité: vers une sécurité sociale professionnelle", La Documentation française, février 2005

303 GAUDU F., "Libéralisation des marchés et droit du travail", Droit social, mai 2006, pp. 505-513 304 ROY-LOUSTANAU C., "Le nouveau CDD : un mauvais...projet", Droit social, mars 2008, pp. 307-310

305 VIRVILLE de M., "Pour un code du travail plus efficace", Rapport au ministre des Affaires sociales, du travail et de la Solidarité, Paris, La Documentation française, 2004

306 MAZEAU A., "Droit du travail", 8° édition 2012, Droit social, octobre 2012

PSE308.

La différence importante entre, d’une part, les CDD ou missions d’intérim, où le coût des séparations est limitée aux éventuelles, primes de précarité et, d’autre part, les CDI, pour lesquels les coûts des procédures de licenciement sont importants et partiellement imprévisibles, pousse les entreprises à recourir plus aux premiers qu’aux seconds.

Les entreprises peuvent aussi être tentées de limiter la durée des contrats de travail. Si le besoin d’utiliser un salarié en CDD se prolonge au-delà de son contrat, l’entreprise pourrait transformer le contrat en CDI.

Elle y est financièrement incitée à court terme : la prime de précarité, lorsqu’elle existe, n’est pas due. Mais le changement de nature du contrat se traduit par un saut important du coût anticipé d’une séparation éventuelle, surtout si elle devait avoir lieu dans le cas d’un licenciement collectif. Au total, de nombreuses entreprises préfèrent alors embaucher un nouveau salarié en CDD, quitte à contourner les règles relatives à l’enchainement des contrats temporaires, en en respectant pas les délais de carence prévus par le code du travail en fonction de la durée des contrats, renouvellement compris. Ces comportements conduiraient à la segmentation de l’emploi entre une fraction relativement stable, en CDI, protégée par les règles de licenciement, et une fraction instable, en contrat temporaire, le passage de la deuxième catégorie à la première étant freiné par la hausse du coût anticipé d’une séparation.

Néanmoins, convient-il de faire de ce facteur légal et réglementaire la cause principale de la segmentation des emplois, avec ses conséquences sur la partie la plus fragile des salariés, au point qu’une modification radicale de ces règles devrait être mise en œuvre ?

Les analyses présentées nous conduisent à penser que la segmentation de l’emploi trouve son origine dans des causes plus profondes, de nature économique et sociale309, que dans le cadre juridique. Au demeurant, les rares travaux économétriques existants montrent que la croissance de la part des emplois temporaires est plus due aux changements dans les modes de production qu’à l’évolution de la législation sur les CDD310.

308 CAHUC P., « Pour une meilleure protection de l’emploi », Documents de travail, n° 63, Chambre de Commerce et

d’Industrie de Paris, 2003

309 BELEVA I., « Long-Term Unemployment as Social Exclusion », Rapport sur le développement humain, PNUD 1997

Actuellement, les entreprises reçoivent peu d’incitations financières directes à prendre en compte, dans la gestion de leur main-d’œuvre, le coût social du chômage. Ce coût social comprend, au minimum, le montant des allocations chômage versées et le coût des aides au retour à l’emploi. Le mode de financement de l’assurance chômage n’incite pas l’employeur à prendre en compte le coût social des ruptures de contrat ou des fins de contrats qu’il met en œuvre. En effet, les cotisations chômage payées par l’employeur, assises sur la masse salariale, sont indépendantes de son comportement en termes de gestion de main-d’œuvre.

La seule exception qui concernait les salariés de plus de 50 ans, à savoir la contribution Delalande instituée par la loi du 10 juillet 1987311, qui « punissait » financièrement l’employeur lors de licenciement de salariés de plus de 50 ans, a été supprimée le 01 janvier 2008312.

Pour ce qui concerne le coût du reclassement, certains économistes313soulignent que les entreprises pratiquant des licenciements économiques sont tenues d’engager des dépenses en vue du reclassement et sont donc amenées à prendre partiellement en charge ce coût social, mais, estiment- ils, de manière inefficace.

Faute d’incitations pertinentes, les entreprises mettraient donc fin à trop de contrats de travail par rapport à ce qui serait optimal socialement.

Le cadre juridique actuel des contrats de travail et des procédures de licenciement serait au total peu efficace. Les délais importants de procédure n’empêchent pas les licenciements : ils les retardent seulement, au risque d’aggraver les difficultés de l’entreprise, sans améliorer la situation des salariés licenciés ou maintenus.

D’autre part, comme on vient de le voir, les procédures de licenciement imposent aux entreprises, à partir d’une certaine taille, de participer elles-mêmes au reclassement de leurs salariés. Cette fonction n’entrant pas, en général, dans leurs compétences, il serait plus efficace que les moyens financiers utilisés soient affectés à des opérateurs spécialisés du Service public de l’emploi.

311 Instituée par la Loi du 10 juillet 1987 (n°518) relative à la prévention et au chômage de longue durée, JORF du 12 juillet 1987

312 La contribution Delalande était due à l'Assédic en cas de rupture de contrat en C.D.I. d'un salarié âgé de 50 ans et plus à la date de la notification de la rupture. La contribution Delalande était due à l’Assédic en cas de rupture de con- trat en C.D.I. d’un salarié âgé de 50 ans et plus à la date de la notification de la rupture. La contribution pouvait repré- senter de 1 à 10 mois de salaire brut (selon l'âge du salarié et la taille de l'entreprise). L'article L 321-13 du Code du travail étant abrogé: à compter du 1er janvier 2008, toute fin de contrat de travail d'un salarié âgé de 50 ans ou plus ne donnera pas lieu à l'appel de cette contribution supplémentaire " Delalande", Circulaire Unedic n° 2007-05 du 14-02- 2007.

313 CAHUC P., « Pour une meilleure protection de l’emploi », Documents de travail, n° 63, Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, 2003

Enfin, globalement, la protection de l’emploi réduirait l’incitation à l’embauche314. Il en résulterait non pas une réduction du niveau de l’emploi global, contrairement à ce qui est souvent énoncé, mais un allongement des épisodes d’emploi et de chômage et une diminution des transitions entre ces deux états315.

La question qui se pose alors est la suivante : la protection de l’emploi serait-elle plus efficace, aurait-elle davantage d’impact sur les décisions des entreprises, si elle s’appuyait davantage sur des