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3.1 Fondements théoriques et philosophiques de la Chambre basse

3.1.3 Partisanerie

La représentation politique évolue de pair avec la partisanerie. Les représentants tendent à s’unir sous une même bannière afin de mettre en commun leurs ressources et d’avoir plus de chances de remporter une élection. Pour ce faire, ils doivent présenter un programme politique, lequel organise des actions envisagées autour d’une vision structurante. Ce programme relativement défini permet

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aux citoyens de se positionner par rapport aux enjeux actuels en publicisant l’ensemble des actions projetées comme un tout cohérent. Le programme politique correspond à une synthèse de données complexes rendues accessibles à la population. Autrement, celle-ci ne pourrait faire un choix éclairé, puisque la collecte de l’ensemble des informations nécessaires à la prise de décision représente une tâche colossale (Muirhead, 2006; Muirhead et Rosenblum, 2012).

Les partis politiques ont donc un rôle éducatif17. Toutefois, ce rôle ne se limite pas qu’à la présentation de la plateforme électorale. Les partis sont de puissants forums d’éducation politique pour les citoyens désirant s’y impliquer (White et Ypi, 2011). En plus de faire connaitre les rouages du monde politique, les partis politiques permettent de débattre de plusieurs enjeux, ce qui contribue à l’autonomisation intellectuelle des partisans (Walzer, 2007, dans White et Ypi, 2011).

Les partis politiques luttent pour accéder au pouvoir. Pour y parvenir, une bonne part de leurs efforts est destinée à critiquer les autres partis. Le mode d’opération des partis politiques tient plus de l’antagonisme que du consensus. Or, ce débat est nécessaire pour la diversité et la qualité des idées : « Partisanship breeds the conditions of adversarialism necessary to the generation and testing of acts of justification (White et Ypi, 2011 : 386). » Le débat d’idées permet à la population de soupeser plusieurs perspectives. De plus, comme les partis politiques se critiquent constamment entre eux, le débat les oblige à justifier leurs idées et à les améliorer lorsqu’elles ne reçoivent pas l’approbation de la population.

17 Évidemment, les partis politiques doivent être honnêtes avec la population et ne pas manipuler l’information

qu’ils lui donnent. Nous discutons plus loin des pathologies des partis politiques et présentons quelques moyens de les traiter.

Au lieu de chercher le consensus entre eux, les partis politiques se critiquent mutuellement. Cette division des partis politiques est caractéristique des divisions existant au sein de la population : « Multipartyism rests on recognition that the opposition is a legitimate institution and “is possible only under the assumption that the nation is not une et indivisible (Arendt, 1963, dans Rosemblum, 2008 : 38).” » La population ne forme pas un tout homogène. Les partis politiques recréent donc les lignes de fracture de la société. Un seul parti, dont la plateforme est nécessairement un tout synthétique, ne peut représenter l’ensemble de la population. Tout comme celle-ci est diverse, les options politiques doivent l’être aussi. Conséquemment, les partis politiques ne doivent pas chercher le consensus à tout prix ou se forcer pour proposer un programme politique similaire. Les partis politiques, à l’instar de la population, doivent être d’accord d’être en désaccord.

Si les partis politiques veulent se distinguer idéologiquement, ils tendent néanmoins à viser le centre de l’échiquier en raison du processus électoral. Pour rejoindre une majorité de citoyens, condition essentielle pour prendre le pouvoir, les partis doivent quand même présenter des idées fédératrices ou, du moins, rejoindre une large partie de la population (Muirhead, 2006; Urbinati, 2006; White et Ypi, 2011). Le but du partisan est de faire adhérer le plus de gens possible à ses idées. La partisanerie aide à créer des majorités appuyant des positions particulières, ce qui permet à l’État de soutenir qu’il agit pour la majorité.

Les partis politiques font l’objet de nombreuses critiques. À titre d’exemple, la machine politique oblige les individus à tordre leurs idéaux et à se compromettre pour une organisation. La partisanerie ne devrait pas prendre la place de l’impartialité et du jugement critique lors de l’étude d’une

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plateforme politique. Les partis politiques sont l’outil des élites politiques, lesquelles s’en servent pour atteindre leurs buts propres (Katz et Mair, 2009). Les partis politiques, tout comme la représentation en général, comportent un biais en faveur des classes favorisées au sein de la société (Schattschneider, 1960, dans Dovi, 2014). Ils tendent à reproduire les inégalités sociales puisque les classes défavorisées n’ont pas le temps ni les ressources pour s’investir au sein d’un parti (Phillips, 1995). De plus, les politiciens rendent obscur ou aseptisent leur message dans le but de tromper les électeurs (Muirhead, 2006). Ces points sont certes des pathologies possibles de l’esprit de parti, mais une façon efficace de les corriger n’est pas de limiter la partisanerie.

Les défauts de la partisanerie sont nettement moins graves que ceux à envisager avec une démocratie sans parti. Pour défendre la partisanerie, Goodin (2008) propose l’expérience de pensée d’une société sans parti politique18. Les partis, par le biais de leur plateforme, offrent une justification de leurs politiques. Les politiciens travaillent de concert à mettre en œuvre les positions de leur parti et sont mus par les mêmes raisonnements. Sans parti politique, les politiciens n’auraient plus besoin de s’entendre sur leurs motivations et la mise en œuvre de politiques publiques pourrait n’être que le fruit d’une coïncidence d’intérêts plutôt que de la poursuite d’un idéal. Également, la politique serait plus personnaliste et plus basée sur le charisme que sur les programmes. Les politiciens libres de la ligne de parti seraient plus facilement manipulables. Ainsi, les partis politiques jouent un rôle normatif au cœur de la démocratie et ne sont pas que le résultat d’une association purement instrumentale : « No-party Democracy is not democracy at all (Goodin, 2008 : 214). »

18 Bien que Goodin défende les partis politiques au sein de la démocratie délibérative, son argumentaire

Une des caractéristiques fondamentales de la partisanerie réside dans le compromis (Muirhead, 2006). Adopter un programme politique implique de ne pas pouvoir traiter chacun des enjeux individuellement. Comme dans le cas du représentant, le vote pour un parti s’inscrit dans la durée et dans un programme cohérent. D’ailleurs, afin de pouvoir mettre en application son programme politique, un parti a avantage à créer des partisans au sein de la population plutôt que seulement des individus atomisés. Les partisans adoptant la vision du parti sont plus prompts à accepter des compromis :

So long as citizens plant themselves in a merely “judicial” role, evaluating partisan proposals from afar, they will find much to dislike. Only if they possess (or develop) partisan sympathies will they come to see one bundle of compromises as superior to another, and bear the concessions that politics cannot avoid (Muirhead et Rosenblum, 2012 : 107).

Sur toutes les questions importantes, les citoyens non partisans trouvent des critiques à formuler. Conséquemment, les partis politiques doivent créer des partisans et ne pas juste avoir des votes sur des questions particulières. Comme chaque projet politique possède une faiblesse aux yeux des citoyens pris individuellement, ne pas faire des partisans expose les partis politiques à des critiques de toutes parts.

Selon Muirhead et Rosenblum (2012), le désengagement de la population par rapport à la politique est la conséquence de la faible capacité des politiciens à créer des partisans. Si les jeunes ne s’intéressent pas à la politique, il est possible que ce soit parce qu’ils ne s’identifient à aucun parti. Les tenants de l’impartialité en politique font face à un dilemme : « Onlookers are unlikely to be completely neutral to what they witness and at the same time interested enough to follow it. […] Partisanship invites one-sidedness, while impartiality breeds indifference (Muirhead, 2006 :722). »

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Évidemment, un dirigeant charismatique a plus de chances d’intéresser les gens à la chose publique qu’un gestionnaire taciturne.

Une question épistémique se pose quant à l’impartialité :

While prone to view opponents with suspicion, partisans usually do not perceive their own side as partisan at all, since their own side looks universally true. Each side sees itself as standing for a certain understanding of justice, and from this perspective the nation would be better off if their opponents in some sense did not exist (Muirhead, 2006 : 720).

Pour un parti, une position adverse peut avoir l’air partiale parce qu’elle contredit sa vision politique, alors que la sienne lui apparait objective en fonction de son cadre d’analyse à moyen et long terme. Ce genre de problème ne peut donc être réglé en demandant aux politiciens d’éviter d’être partiaux. Afin de permettre à la population de disposer de l’information la plus complète, il convient de multiplier les instances partisanes. La compétition entre les partis politiques offre plusieurs avantages épistémiques. Le processus électoral a tendance à modérer les politiques proposées par les partis appelés à prendre le pouvoir. Également, en multipliant les perspectives sur un enjeu particulier, la compétition permet aux électeurs d’obtenir une information plus complète que si un seul parti avait le monopole de la diffusion (Chong and Druckman, 2007, dans Disch, 2011).

Finalement, les partis politiques sont accusés de reproduire les inégalités et de tromper la population. Ici encore, limiter la partisanerie ne réglerait pas le problème. Au contraire, les citoyens aisés pourraient s’impliquer en politique et ne défendre que leurs intérêts. Les inégalités ont plus de chances d’être amoindries par des acteurs collectifs et organisés que par des individus :

where the pathologies of partisanship cannot be remedied by intraparty efforts at reform, they generate exactly the motivation for new partisan groupings to emerge. Denouncing those who have “sold out,” or who have ossified into a “political class,” is the favorite activity of new actors announcing their arrival on the political scene and is itself conducive to the circumstances of political justification as described. […] In other words, correcting the pathologies of partisanship involves creating more opportunities for partisanship, not fewer (White et Ypi, 2011 : 393).

Par exemple, Québec solidaire propose un programme politique complet à la défense des moins nantis. En raison des règles électorales, le parti jouit de fonds et de ressources qui ne sont pas à la portée d’individus isolés. La partisanerie favorise la représentation d’une multitude de points de vue. Elle favorise la formation de groupes et d’identités politiques. Elle ne fait pas juste reproduire la réalité, elle y participe.