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1. Les savoirs expérientiels des acteurs dans la démarche probante

1.2. Le partenariat acteur-chercheur

Si la recherche en santé publique et plus particulièrement en promotion de la santé ne peut se concevoir ni se conduire sans les acteurs qui font, et sont au cœur de l’intervention, il convient de reconnaître les professionnels comme acteurs de changement, et d’en faire de véritables partenaires de la recherche. Ce partenariat chercheur-acteur contribuant directement aux enjeux conceptuels et méthodologiques entourant les interventions complexes lors du développement, de la mise en œuvre et de l’évaluation d’une intervention nécessite que les chercheurs et les acteurs se mettent d’accord sur les éléments composant l’intervention : alors que les chercheurs pourront mettre l’accent sur certains déterminants influençant l’intervention, les professionnels pourront spécifier les particularités du contexte ou de la population cible. Ainsi, la prise en compte de la parole des acteurs de terrain, pour qui la complexité est synonyme de routine, est essentielle si l’on souhaite tenter de détricoter cette routine et d’en appréhender toute la complexité dont la mise en œuvre finale est rarement réalisée comme prévue initialement. À cet égard, il faut « un ensemble de connaissances fondées sur l'expérience pratique de la prestation des programmes sur le terrain » afin de mieux comprendre les circonstances qui améliorent la mise en œuvre et l’évaluation de l’intervention (88).

Cette reconnaissance de l’importance des savoirs expérientiels des acteurs de terrain a impliqué une nécessaire évolution de la démarche d’evidence-based health promotion. Si jusque-là, la production de preuves était majoritairement scientifique et issue de la recherche, le champ de la promotion de la santé doit également intégrer les données expérientielles et les données issues du contexte à la construction de ses preuves. Ainsi, les données scientifiques peuvent être nuancées, contextualisées et complétées par les savoirs expérientiels théoriques et pratiques des acteurs acquis au cours de ces cinquante dernières années (93).

Cette participation est nécessaire à deux niveaux. Le premier niveau est relatif à la complexité des objets de la promotion de la santé. Comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre, toute intervention en promotion de la santé peut être comprise comme un système constitué de multiples éléments propres à l’intervention, à son contexte, à ses acteurs… dans lequel opèrent de nombreuses relations, interactions, retro-actions... Ce système, fortement dépendant de son contexte d’implantation, est aussi « apprenant » (86), c’est-à-dire qu’il va subir des transformations et des enrichissements au cours de la pratique des acteurs en regards des difficultés, des obstacles, des incohérences rencontrés. Le second niveau concerne quant à lui l’apport historique des interventions. Nous avons vu qu’une des limites de la démarche classique d’evidence-based en promotion de la santé était de pouvoir mesurer la réelle efficacité de l’intervention dont les effets sont souvent observables de nombreuses années après l’intervention. Or dans le contexte français, contrairement aux interventions de terrains, les études de recherche sont généralement développées, mises en œuvre et évaluées sur d’assez courtes durées (2 à 3 ans) ne permettant pas d’en observer les effets à longs termes. Les acteurs de terrain, mettant parfois en place une même intervention pendant dix voir vingt ans, représentent une riche source d’informations non seulement sur l’histoire de l’intervention, son évolution depuis sa création, les adaptations réalisées et en regard de quoi elles ont été réalisées mais également sur les effets de l’intervention qu’ils ont pu observer sur une population cible suivie depuis de nombreuses années et qu’ils rencontrent régulièrement. L’intégration des professionnels de terrain dans les processus de production de données probantes est donc primordiale. Au cœur des interventions, l’acteur permet d’identifier tous les éléments qui peuvent influencer de façon positive et négative le résultat d’une intervention et ainsi de pouvoir juger les conditions de transférabilité d’une intervention en conditions réelles ainsi que les adaptations nécessaires à réaliser pour conserver l’équilibre entre de l’intégrité de l’intervention expérimentale et la flexibilité nécessaire à sa mise en œuvre pour

l’atteinte des effets attendus (67). Ainsi, par leur vision holistique des composantes de l’intervention, de son contexte et de leurs interactions, les acteurs de terrains complètent utilement les apports issus de la recherche sur les éléments à considérer pour juger du possible transfert d’une intervention d’efficacité prouvée.

1.3.

ASTAIRE : un exemple de l’apport des

savoirs des acteurs de terrain dans

l’identification des éléments influant le

résultat d’une intervention

Nous avons pu démontrer l’apport du regard des acteurs dans la compréhension des mécanismes et des résultats de l’intervention, dans une étude de cas menée en préparation à ce travail de thèse. Cette étude de cas avait pour objectif la validation de l’outil ASTAIRE (57). Cet outil d’analyse de la transférabilité et d’accompagnement à l’adaptation des interventions en promotion de la santé, réalisé à partir d’une méthode de consultation d’experts chercheurs et acteurs en promotion de la santé, a pour objectifs : d’analyser la transférabilité d’interventions de promotion de la santé ; d’accompagner au transfert de ces interventions ; de faciliter un report de données utiles à cette analyse par les chercheurs ou producteurs d’interventions. Il a été créé à visée des acteurs de terrain pour leur permettre d’évaluer la transférabilité d’une intervention d’efficacité prouvée dans leur propre contexte et recense les éléments relatifs à la population, à la mise en œuvre, à l’environnement et à l’accompagnement au transfert. Dans notre étape de validation de l’outil nous avons cherché à en analyser la pertinence des critères, leur importance respective et leur influence sur les résultats du point de vue d’acteurs de promotion de la santé (annexe 1). Pour ce faire nous avons, dans une perspective réaliste, menée une étude de cas à partir d’une recherche-action répliquée dans des contextes géographiques et temporels différents. Cette approche a été choisie car, comme nous l’avons vu précédemment, elle permet d’expliciter comment une

intervention a fonctionné dans la réalité ; les résultats attendus et non attendus obtenus ; et de comprendre pourquoi. Ainsi, pour chaque critère et sous-critères de l’outil ASTAIRE une première théorie a été générée, portant sur le processus par lequel ce (sous) critère de transférabilité était susceptible d’influencer le résultat de l’action. Au total, 20 hypothèses sur les mécanismes d'action d'une intervention ont été émises. Parmi les 24 établissements ayant participé à la recherche-action sélectionnée, 11 ont fait l’objet de notre étude de cas permettant la rencontre de 23 acteurs ayant participé à la mise en œuvre de l’intervention. Le discours des acteurs, nous a permis : d’une part d’analyser la concordance des critères proposés avec la réalité de terrain – parmi les critères initialement proposés dans l’outil, certains sont finalement peu reconnus par les acteurs (influence de l’environnement institutionnel) ou a contrario fortement identifiés comme ayant une influence sur l’effet de l’intervention (modalités d’intervention, modalité de mobilisation des acteurs, compétences des acteurs et accompagnement au transfert) – ; d’autre part de préciser les critères formulés voir d’en générer de nouveaux (turn-over des équipes). Cette co-construction est donc nécessaire pour assurer un format et un contenu approprié aux langages et aux pratiques différentes entre les chercheurs, les acteurs et les décideurs. Ceci est d’autant plus important dans le champ de la promotion de la santé où règne diversité de profils, de modalités et de pratiques.

Si cette étude de cas démontre l’importance du partenariat acteur-chercheur, elle nous a également permis de soulever un problème majeur lors du transfert d'une intervention : le transfert de connaissances. En effet, dans les processus de promotion de la santé fondés sur les preuves, on ne peut passer de la recherche (ou de l'innovation) à la pratique réelle sans soutenir les parties prenantes dans le transfert et sans les intégrer au processus de recherche. Nous avons effectivement vu que ce transfert ne peut se faire à sens unique au risque de mettre en péril l’intervention et implique un apprentissage mutuel entre les parties prenantes

et les chercheurs (scientifiques tirés de l'expérience des travailleurs sur le terrain) (90,91). Pour faciliter ce processus, de nouvelles formes de transfert de connaissances, telles que le courtage de connaissances, ont été essayées. Cette médiation est destinée à créer des liens entre les chercheurs et les parties prenantes pour faciliter leur interaction, les aider à comprendre les objectifs et les modalités spécifiques des différentes cultures professionnelles, leur permettre d'influencer les travaux de chacun, de créer de nouveaux partenariats et de promouvoir l'utilisation de preuve de recherche (92,93). Dans son idéal, le transfert de connaissances vise des échanges interactifs et continus entre les producteurs et les utilisateurs des données probantes – les chercheurs apprennent des savoirs expérientiels des acteurs et les acteurs apprennent des savoirs scientifiques des chercheurs (95) –. Une nouvelle conception des rapports entre chercheurs et acteurs de terrain est proposée en France : la recherche interventionnelle.

2.

La recherche interventionnelle : intégration