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Si dans les documents analysés, les acteurs de terrains semblent finalement peu tenir compte de la complexité dans le processus méthodologique de développement – mise en œuvre – et d’évaluation de leurs interventions, cela ne veut pas pour autant dire qu’ils ne la considèrent pas. En effet, même si la mise en œuvre et l’évaluation des interventions s’inscrivent globalement dans une démarche qualité commune à toutes les interventions de la structure, elle se veut assez flexible pour permettre aux acteurs de réaliser des adaptations en fonction du contexte dans lequel ils déploient leurs interventions.

Comme identifié précédemment dans la partie relative aux dimensions de complexité des interventions, la flexibilité de l’intervention, et ce même pour les actions de routine, est un des éléments les plus cités par les acteurs de terrain (n=96). Plus précisément, notre analyse a permis d’identifier, à nouveau essentiellement au travers de l’analyse des entretiens, que les outils et les stratégies d’intervention ainsi que la durée et l’échelle de réalisation de l’intervention étaient les principaux éléments sur lesquels les acteurs étaient amenés à réaliser des adaptations.

Lorsqu’elles concernaient les outils et les stratégies d’interventions, ces adaptations étaient faites en regard des demandes et des caractéristiques ou de l’évolution des caractéristiques de la population ciblée par l’intervention. Ainsi, dans les extraits suivants, ces deux acteurs interrogés sur la même intervention expliquent la nécessaire adaptation de leur stratégie d’intervention en regard de l’évolution des pratiques de leur population cible :

« EC1E2 : Euh… la prostitution a aussi pas mal évoluée. Euh vers, vers, vers les sites. Prostitution classique, euh de migrants, beaucoup de chinoises, qui sont dans des réseaux de prostitution. Mais aussi, des autonomes, des auto-entrepreneuses et entrepreneurs du sexe, qui, souvent des étudiantes, en majorité, plutôt jeunes, qui financent leurs études et leur train de vie en pratiquant une forme de prostitution sur, sur les sites. Euh… comment ça s’appelle papi, euh bref, j’y vais pas c’est pour ça que je connais pas c’est sites là. Donc il y a des sites de rencontres, de prostitution. Et donc il faut qu’on fasse évoluer aussi nos actions en direction de ce public là. Sur la prostitution on a, il y a sans doute du boulot à mener en direction de la prostitution sur internet. […] c’est vraiment sur internet, sur les RDR 2.0 que ça tapine fort dans les Vosges et sur Epinal. » ;

«EC1E3 : Ben notamment sur toute la question, le volet prostitution sur internet quoi. C’est le, c’est la chose à développer. Voilà c’est, c’est le grand projet pour, pour les prochaines

années parce que la prostitution elle change. Forcément c’est plus la même, euh celle qu’on voit dans la rue c’est souvent des personnes les plus précaires, on ne va pas voir celle qui est cachée, qui est sur internet c’est un autre style de prostitution avec des personnes qui font à domicile ou qui vont, qui vont carrément chez le client, enfin voilà c’est complètement différent. Il faudrait essayer de toucher ce public là. Euh, par le biais ben du coup en contactant directement avec les petites annonces qu’elles laissent sur les sites euh, genre le bon coin ou sur viva street des choses comme ça. ».

Cet autre exemple, extrait d’un bilan national, met en évidence les adaptations communes d’une intervention, initialement clé en main, par les acteurs mobilisés pour la mettre en œuvre :

« EC3D30 : Ce qui est ressorti nettement cette année est un assouplissement de l’utilisation des outils. Le programme Fil mauve constitue un tout structuré avec une logique propre mais les animateurs ont apporté chacun à leur manière quelques petits aménagements.

La séance 3 dont il a été dit dès le début qu’elle était centrale puisque portant sur la communication ne permet pas toujours de laisser un temps suffisant pour traiter également de l’aménagement du domicile. Cette question peut être abordée facilement dans l’atelier 4 qui porte sur les aides techniques, financières et juridiques.

Quelques remarques ont été faites sur l’aspect des fiches « aménagement du domicile » que certains animateurs trouvent un peu simplistes.

Plusieurs animateurs proposent une 5ème séance après 3 mois pour faire le point. Cette idée devrait être discutée car elle répond au souci exprimé par les participants qui regrettent la fin de l’atelier… ».

Lorsque les adaptations portaient sur la durée et l’échelle de réalisation de l’intervention, il s’agissait d’une part des adaptations que les acteurs de terrain devaient faire en regard des

différents calendriers des parties prenantes de l’intervention. Les calendriers entre les financeurs et les partenaires de l’intervention ne sont pas les mêmes d’autant plus si la population ciblée par l’intervention est jeune et scolarisée, les uns ayant alors un calendrier en année civile, les autres en année scolaire. Par exemple, cet acteur nous précise la complexité à la fois d’avoir des financeurs multiples avec des calendriers différents et d’avoir des partenaires avec des calendriers d’action différents du sien :

« EC2E1 : ça complexifie la chose pareil, chaque financeur a des, a des demandes particulières, a des objectifs particuliers. Bon alors après, enfin c’est plutôt au niveau administratif aussi que ça complexifie les choses. […] Par exemple. Hein les bilans euh au 30 juin, au 30, au 31 décembre. Le suivi du projet. Euh je l’intègre dans quoi, dans quel financement… voilà quoi c’est pas, c’est ça qui est pas forcément le plus simple quoi. […] Ben après là, ce qui peut être compliqué aussi c’est euh d’avoir, de, comment dire, de, c’est le temps impartit à ce projet là. Comme c’est un projet qui… de coordination, faut que je puisse être disponible aussi pour les différents intervenants donc ce que j’essaie de faire mais voilà c’est difficile, ils ont des calendriers aussi autres que les miens. Moi le plus souvent mes temps forts c’est plutôt en périodes scolaires, eux c’est plutôt en période de vacances par exemple. »

D’autre part, ces adaptations pouvaient porter sur leurs pratiques évaluatives et plus précisément sur les objectifs d’évaluation de leurs interventions. En effet, nous avons vu précédemment que le principal objectif d’évaluation des acteurs de terrain était de mesurer la fidélité de leur intervention à ce qui était prévu. Cependant, certains acteurs ont précisé lors de leurs entretiens qu’ils aimeraient aller au-delà de cette simple évaluation et essayer de mesurer l’impact de celle-ci, si ce n’est en termes de résultats de santé au moins en termes de changement de comportement ou de représentations. Toutefois, comme le précise cet acteur, une telle évaluation nécessite un suivi, et donc un financement sur un plus long terme dont ils

ne disposent pas, leurs financeurs étant dans l’attente d’un résultat immédiat :

« EC4E2’ : Et quand vous parliez effectivement des différentes sphères et de l’attente, enfin les décideurs, voilà, la difficulté des actions de prévention de façon globale ou promotion de la santé ou de ce type d’approches là, c’est que, il vous faut du temps, pour pouvoir en mesurer vraiment les impacts sur une population. Et nos décideurs c’est tout de suite quoi. C’est tout de suite. Actions – résultats. […] Nos décideurs sont effectivement très attentifs aux résultats rapides et euh, si vous avez fait un peu de santé publique vous savez bien comme moi que tout ce que vous conduisez n’a pas un effet immédiat sur la population, et voir même à plus vingt ans si on est sur des actions de prévention primaire. Donc euh l’enjeu il est d’arriver sur un certain nombre d’actions à pouvoir montrer qu’elles ont des résultats immédiats, sur le nombre de personnes mobilisées, enfin sur des aspects qui ne sont pas celui, qui ne sont pas ceux qu’on attend en santé publique, en tout cas que moi j’aurai pu attendre en santé publique, qui sont le bénéfice pour la personne et est-ce que pour ces personnes là on a retardé euh, voilà. L’espérance de vie est-ce qu’elle est meilleure, est-ce qu’on est sur les déterminants de la santé, est-ce que on les a améliorés, est-ce qu’on a amélioré les inégalités sociales de santé, tous ces paramètres qui vous permettent de dire que votre programme euh effectivement joue. ».

4.

Un contexte peu favorable au développement