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CHAPITRE 2 La recension des écrits

3. Intervention éducative et thérapeutique de soin

3.1 Partage des connaissances

Paterson et Zderad (1976,1988) soutiennent que les personnes, impliquées dans le soin perçu comme dialogue, sont des lieux de savoir. Elles ont des connaissances et elles peuvent les partager : cependant, ces auteures ne précisent pas le contenu de ce partage, ni la façon de manifester ce partage, sauf pour ce qui est l'offre de choix. Plusieurs écrits soutiennent pourtant le partage des connaissances comme une intervention qui permet des apprentissages chez tous les participants de la relation éducative. Ces écrits proviennent de la théorie de l’agir communicationnel, de la conception de réciprocité thérapeutique ou de réciprocité éducative, de l’approche de la thérapie médicale de la famille ou

psychoéducative et de l’éducation pour la santé. Les principales manifestations du partage des connaissances seront identifiées dans les écrits recensés.

Agir communicationnel. Selon la théorie de l'agir communicationnel (Bouchard, 1994; Habermas, 1987), la famille et les intervenants arriveraient dans la relation avec des prétentions au pouvoir ou des prétentions à la validité.

La prétention au pouvoir des intervenants prendrait la forme de trois types d'agir qui mènent à la disqualification des familles (Bouchard, 1995). L’agir stratégique est l’expertise de la connaissance, l’agir normatif, celle de la gestion des normes et l’agir dramaturgique, l’expertise de leurs expériences personnelles. L'agir stratégique correspond à l'utilisation de connaissances objectives, de résultats de recherche ou de

l'évaluation du développement de la personne pour manipuler ou sanctionner les décisions de la famille. L'agir normatif consiste à référer aux normes sociales ou aux pratiques institutionnelles pour les convaincre. L'agir dramaturgique vise à imposer une décision en recourant à son expérience personnelle.

Par ailleurs, la prétention à la validité des intervenants constitue l'agir

communicationnel, le partenariat. Ces derniers rechercheraient la véracité, la justesse et l'authenticité de leur proposition, plus que l'autorité ou le pouvoir. Si nécessaire, ils seraient ouverts à négocier une proposition pour arriver à un consensus. Au cours de leurs interventions, les participants manifesteraient donc une ouverture à la négociation, une discussion de leur monde vécu respectif et une critique des propositions de chaque partie. Pour Bouchard (1995), les acteurs sont alors en position de témoigner de leur savoir et, ainsi d'apprendre les uns des autres. Force lui est de constater que cette situation se présente de façon plutôt inégale. L'analyse d'enregistrements de discussion de groupe sur le plan de traitement d'un enfant ayant des besoins de réadaptation démontre que les propositions des parents prétendent beaucoup plus souvent à la validité (70%) que celles des intervenants (30%). Les propositions de tous les participants ont été examinés, sans étudier les apprentissages qu'ils auraient pu en retirer. Les résultats n’ont pas été

présentés aux participants pour confirmation.

Inspiré par la même théorie, Porter (1994) a nommé « nouveau nursing » (new

nursing), cette approche de partenariat qui renonce à la relation traditionnelle d'expert dominant pour adopter une relation plus égalitaire et plus amicale. Ce chercheur a étudié les propos de 18 infirmières, interviewées sur la nature et l’évolution de leurs relations avec leurs patients sur des unités de médecine, chirurgie et de réadaptation. Il soutient que ce changement d’atmosphère améliore la communication entre l’infirmière et son

patient et bénéficie aux deux parties. À l’avis des infirmières, les patients étaient moins anxieux, plus ouverts à discuter de leurs préoccupations ainsi qu’à comprendre la nature et le but des soins qui leur étaient dispensés. Ils ressentaient un plus grand sentiment de contrôle sur leurs soins. Les infirmières se disaient davantage satisfaites de leurs relations avec leurs patients. Le partenariat encouragerait la participation des personnes dans leurs soins. Cependant, l’avis des patients n’a pas été recueilli.

Réciprocité. À la suite d’une analyse de concept, Marck (1990) définit la

réciprocité thérapeutique comme un échange probabiliste3 de mutualité et de

collaboration qui favorise l'épanouissement des parties impliquées et l’appropriation de leur capacité pour composer avec la situation qu'elles ont à vivre. Cette appropriation ne serait possible qu'en présence de personnes détenant un certain pouvoir, pouvoir reconnu et possible d'exprimer. Pour arriver à cette réciprocité, l’infirmière doit détenir une philosophie particulière qui reconnaît que la connaissance peut être obtenue par différentes sources et que la participation est essentielle à la relation de soin.

L’appropriation de leur capacité est alors possible. Ce concept a été analysé par Rodwell (1996) et décrit comme un « process of enabling people to choose to take control over and make decisions about their lives. It is also a process which values all those involved» p. 309. Les personnes peuvent alors faire des choix et en retirer un sentiment de

compétence.

Un lien entre la réciprocité et le sentiment de compétence est suggéré dans une étude phénoménologique conduite par Thorne et Robinson (1989) sur les relations de personnes atteintes de maladie chronique avec l'équipe de soins. Des informateurs, 77 personnes atteintes ou les membres de leur famille, ont soutenu que la confiance

réciproque était le facteur qui leur permettait de vivre leur expérience de santé avec le sentiment d’une plus haute compétence. Les patients et leur famille qui étaient perçus comme compétents par l’intervenant étaient stimulés à se sentir plus confiants à gérer leur maladie. Cependant, cette confiance réciproque était inhabituelle et considérée comme une caractéristique exceptionnelle de l’intervenant qui devenait celui en qui la confiance pouvait se développer. Par ailleurs, ces chercheures n’ont pas interviewé les intervenants.

La réciprocité éducative, quant à elle, est l’échange enrichissant qu’un enseignant entretient avec ses étudiants. Labelle (1996) a interprété 600 énoncés débutant par «Pour moi, la relation didactique, c'est... » produits par des étudiants universitaires inscrits en didactique générale. Même si la plupart des énoncés décrivent l’image dominante de la transmission de connaissances de l’enseignant vers l’apprenant, plus de 20% évoquent spontanément la réciprocité. Ces futurs enseignants notent l’importance de l’interaction et du dialogue dans le respect des singularités et la mise en valeur des différences. Ils

mettent en évidence la nécessaire confiance, c’est à dire la croyance que l’autre pourra répondre à son attente et espérer de lui d'en être assuré. Cette réciprocité éducative s’appuie sur une plus grande motivation et procure une plus grande satisfaction. Elle est cependant exigeante. En plus,

[l]'objet échangé semble changer de nature au cours de la transaction. Limité aux connaissances dans un premier temps, il s'étend à ce que les personnes peuvent livrer d'elles-mêmes dans le transfert... Il semble même que ce soit cette connaissance de l'autre qui fasse l'objet de l'enrichissement des personnes,

notamment de l'enseignant qui apprendrait ainsi à s'adresser à ses élèves. P. 18-19 En principe, les personnes recevraient et donneraient à travers l’échange des savoirs en tant que sujets, ce qui favorise la remise en question de soi. Cependant, les élèves de ces futurs enseignants ne se sont pas prononcés. L’adulte en situation

3 Probabiliste: se rapporte à un système philosophique selon lequel toute opinion a un certain degré de

d’apprentissage, plus libre et intéressé, serait plus favorable à ce type d’échange. La responsabilité de l’apprentissage appartient alors à l’apprenant. Mais dans un contexte de classe, le transfert de la responsabilité doit être graduel et présenté comme un défi (Brown & Palincsar, 1987).

Pour l’enseignant, il s’agit de partir de celui qui apprend, d’entendre ses interrogations plus que de chercher à leur répondre et mettre en suspens ses certitudes pour ouvrir les possibilités de «rebondir sur l’idée de l’autre » (Labelle, 1996). Cette approche favorise une communauté de discours, rendant explicites les dialogues internes qui ne peuvent manquer de survenir (Brown, 1994).

Thérapie médicale de la famille ou psychoéducative. Certains nomment thérapies

médicales de la famille (McDaniel et al., 1995), d’autres approches psychoéducatives (Laporta, 1996), les thérapies qui renseignent les membres de la famille sur la maladie, ses signes avant-coureurs et les traitements médicamenteux. L’intervenant cherche à éviter les rechutes ou les complications, tout en aidant les familles à développer des moyens de s'adapter aux changements entraînés par la maladie ainsi qu’à adopter les comportements qui leur permettront de développer leur potentiel de santé. Cet échange repose sur le principe que le client (personne, famille, communauté) est responsable de sa santé et que l'intervenant a pour rôle de l'inviter à faire des choix et à mobiliser ses ressources et celles de son environnement (Chadderton, 1995; Coyne, 1996).

Focht et Beardslee (1996) ont comparé, avec un devis expérimental avant et après, les effets d’une intervention psychoéducative auprès de familles comportant un adolescent dont un parent est atteint d’un problème de santé mentale. Les sujets ont été répartis de façon aléatoire, soit dans un groupe avec thérapie à court terme, soit dans un groupe avec probabilité sans être totalement vraie, ni totalement fausse. (Larousse).

présentation magistrale. Les deux groupes ont bénéficié de l’intervention, mais les sujets du groupe avec thérapie à court terme ont démontré plus de changement. Focht et

Beardslee (1996) ont alors interviewé les participants de ce groupe. Ils soutiennent que les renseignements à tendance « réaliste » sont utilisés pour enlever le stigma relié à la maladie. En effet, les personnes ont souvent tendance à se considérer responsables de leur problème et à s’approprier les caractéristiques désagréables qui lui sont associées.

L’intervenant peut alors offrir d’autres explications et permettre d’objectiver le problème, de le situer en dehors de la personne ou de la famille et ainsi « normaliser » l’expérience de la famille. Cependant, l’opinion des intervenants n’a pas été recueillie.

Éducation pour la santé. L’éducation pour la santé se distingue de l’éducation à la santé. L’éducation à la santé est davantage centrée sur le modèle biomédical, le

changement planifié par des experts et la compliance ou l’adhésion au traitement (Schoonbroodt, 1996). L’éducation pour la santé se distingue également des thérapies psychoéducatives par sa non – spécificité. L’éducation pour la santé s’adresse à toutes les personnes qu’elles vivent ou non des expériences de santé, à tous les âges de la vie et dans tous les contextes : en individuel, en groupe, dans toutes les sphères sociosanitaires. Cette démarche valorise la participation et l’échange de connaissances, la reconnaissance des besoins et intérêts des personnes, le respect de leurs valeurs et de leurs capacités cognitives, physiques et sociales (Hagan & Proulx, 1996). Elle devrait conduire à des apprentissages chez tous les participants, puisqu’il y a échange.

Selon Schoonbroodt (1996), l'apprentissage «est vu comme un processus de transformation » (p. 171), un processus de changement émergent, qui peut être favorisé par une dynamique d’auto-conscientisation, de responsabilisation et d’appropriation des comportements de santé. Cependant, cette approche est rare. Schoonbroodt (1996) a

recensé 40 articles portant sur l’intervention ou la recherche entourant la prévention du tabagisme chez les jeunes. Un seul article reconnaissait la subjectivité et le caractère construit des connaissances entourant le tabagisme. Deux articles faisaient référence à des valeurs, des croyances et des idéologies. Tous les autres s’inscrivaient dans une logique « absolue » de contrôle sociosanitaire, de compliance et de normalisation des

comportements, jugés malsains par des experts. Or, la compliance n’est pas un concept acceptable parce qu’il réfère à une notion de pouvoir irréconciliable avec l’engagement mutuel, la participation et le partage souhaités en éducation pour la santé :

The assumptions underlying the notion of compliance reflect social, traditional, professional, and even gender bases for certainty at the level of ethical immediacy. Connotations of power, paternalism, and coercion congruent with the definition of compliance pervade these assumptions. (Hess, 1996, p. 21).

En résumé, le partage des connaissances (voir tableau I page 51) se caractérise donc par la rencontre de deux partenaires qui ont confiance l’un dans l’autre et qui se donnent mutuellement du pouvoir en offrant un plus grand nombre de choix. Il se manifeste par une ouverture à la négociation, par la discussion et par la critique des propositions, ainsi que par une attitude plus amicale et plus égalitaire. Les partenaires s’échangent de l’information à partir de la perspective de celui qui en fait la demande et négocient une démarche afin d’en arriver à une entente respectable pour les deux parties. Ils en ressortent réciproquement enrichis, mais de façon différente. Le partage se fait à partir de connaissances dites objectives portant sur la promotion de la santé, sur les problèmes de santé ou sur leurs traitements. Le partage à partir de connaissances dites subjectives porte sur les choix possibles en fonction du contexte, les valeurs et les compétences des personnes impliquées. Bien que souhaité sur le plan philosophique, les études, sauf celle de Porter (1994), démontrent que ce partage reste exceptionnel.